Carnegie International Nuclear Policy Conference, March 20-21, 2017 : Reflecting on the Past and Looking Toward the Future

L’International Nuclear Policy Conference organisée tous les deux ans par la Carnegie Endowment for International Peace rassemble plus de 800 experts et spécialistes venus d’environ 45 pays. La conférence 2017, tenue en mars dernier, a mis l’accent sur les tendances récentes en matière de dissuasion nucléaire, désarmement, sécurité, et s’est également interrogée sur le futur du TNP, une question propice alors que le Traité célèbrera son 50e anniversaire cette année.

Parmi les séances plénières les plus intéressantes de la conférence, on peut signaler celle intitulée « Proliferation Prognostication: Predicting the Nuclear Future ». Cette session a rassemblé Angela Kane, maître de recherches au Vienna Center for Disarmament and Nonproliferation, Laura Kennedy, du World Affairs Council et ancienne diplomate au Département d’État, Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique et Ramesh Thakur, directeur du Center for Nuclear Nonproliferation and Disarmament à l’Australia National University. Elle était animée par James M. Acton, de la Carnegie.

Cette table-ronde avait pour objectif de formuler des prédictions sur l’avenir de l’ordre nucléaire global, et de les comparer avec celles réalisées sur les mêmes questions lors de la précédence conférence, en 2015. La discussion a eu pour objectif de souligner les différences et continuités entre les analyses de cette année et celles émises il y a deux ans. De nouvelles questions ont également été posées aux panelistes et aux participants pour envisager le futur ordre nucléaire mondial à l’horizon 2019. Les prédictions et spéculations ont été réalisées à la fois par les trois experts du panel, mais également par l’ensemble des participants.

Le premier thème abordé a concerné le retrait, par les États-Unis ou par la Russie, du traité New Start ou du Traité FNI. En 2015, les panelistes avaient été partagés sur ce sujet, et le public avait estimé à 62% que les deux traités survivraient sur la période. Commentant la justesse de ce pronostic, James Acton a estimé que depuis 2015, « la relation américano-russe s’était sensiblement détériorée, et pourtant les deux traités ont survécu, ce qui pourrait signifier qu’ils sont mieux isolés du contexte conjoncturel des relations entre les deux États que les experts le pensaient en 2015 ».

La deuxième question concernait l’adoption, d’ici à mars 2019, par l’Assemblée générale des Nations Unies, d’un Traité d’interdiction des armes nucléaires. Les votes du public ont été assez peu tranchés, mais les experts ont majoritairement pensé qu’un tel traité serait adopté dans les deux ans, avec des prédictions allant de 75% de chances (A. Kane), à 90% (L. Kennedy), 90% (B. Tertrais) et 60% (R. Thakur). Ramesh Thakur, le plus dubitatif sur ce point, a justifié son scepticisme par le fait que les négociations allaient s’ouvrir fin mars et qu’il n’existait pas encore de texte envisagé. Il était en effet difficile de savoir ce que le traité interdirait (l’usage ou la possession des armes nucléaires). Il a estimé que cette question provoquerait sans doute des divisions. En réalité, le Traité a, selon lui, de bonnes chances d’être adopté à un moment donné du fait du dynamisme continu qui l’entoure depuis plusieurs années. La question est de savoir si la fourchette de deux ans sera suffisante pour son adoption. Les autres chercheurs ont été plutôt convaincus que le délai serait suffisant, du fait du soutien important dont il bénéficie.

Bruno Tertrais a estimé que le Traité avait de bonnes chances d’être adopté dans un format court et simple, qui pourra être rapidement voté à la majorité simple par l’Assemblée générale des Nations Unies.

Une autre question a concerné le Groupe des fournisseurs nucléaires, et les intervenants se sont exprimés sur la probabilité que d’ici à 2019, l’Inde soit admise à rejoindre ce groupe. Le vote du public a été très réparti sur cette question, et aucune majorité ne s’est clairement dégagée, montrant les incertitudes qui entourent ce sujet. Parmi les panelistes, A. Kane a estimé qu’il existait une chance de 55% que cela se produise, L. Kennedy 40%, B. Tertrais 10% et R. Thakur 15%.

James Acton a lancé la discussion en constatant que l’initiative majeure lancée par les États-Unis depuis 2015 pour accompagner l’entrée de l’Inde au NSG était a priori entrée dans une impasse. Angela Kane a rappelé que son vote positif reflétait une prédiction en matière de probabilité, mais non sa préférence personnelle car elle reste convaincue que le NSG devrait être ouvert en fonction de critères objectifs. Grâce à sa longue expérience au sein de l’ONU, elle est consciente des arcanes politiques au plus haut niveau et, de ce fait, elle estime que la probabilité que l’Inde devienne un membre n’est que légèrement positive, notamment du fait de l’opposition plus marquée de la Chine ces derniers mois.

Bruno Tertrais a pour les mêmes raisons estimé peu probable l’entrée de l’Inde. Pour lui, trois scénarios sont possibles sur cette question : soit le groupe n’admet pas de nouveau membre, soit l’Inde entre seule, soit l’Inde et le Pakistan sont admis conjointement. Il a jugé le troisième scénario le plus probable, mais qu’il faudra sans doute plus de deux ans pour que cela se produise. Il lui semble en effet peu plausible que la Chine abandonne son opposition à l’entrée de New Delhi dans les deux ans qui viennent.

Pour Laura Kennedy, il est très difficile de parier sur cette question maintenant. La Chine est dans une position très critique, et il n’est pas sûr que les États-Unis aient une influence sur cette question et/ou qu’ils choisissent de l’exercer. Elle estime que la Chine pourrait autoriser l’Inde à rejoindre le Groupe uniquement si le Pakistan est également admis. Pour elle, cette décision sera avant tout le reflet de la relation sino-indienne dans les deux années qui viennent.

Une question similaire avait été posée lors de la conférence de 2015. A cette époque, les panelistes et les participants avaient voté aux deux tiers pour indiquer leur scepticisme sur une telle option. Il y a donc une certaine continuité sur cette question depuis deux ans.

La suite de la discussion a porté sur la probabilité que le JCPOA survive d’ici à mars 2019, ou qu’un des participants renonce à ses engagements. Les panelistes ont été légèrement plus optimistes que le public : A. Kane a estimé à 15% le risque de renoncement unilatéral, L. Kennedy 35%, B. Tertrais 30% et R. Thakur 20%. Ramesh Thakur a jugé qu’il faudrait des inquiétudes sérieuses pour que les États-Unis choisissent de remettre en cause un accord qui bénéficie d’un fort soutien au sein de la communauté internationale. Etant donné que toutes les parties trouvent un intérêt à l’accord, toutes perdraient à ce qu’il soit démantelé, il n’y a donc pas d’intérêt à un retrait unilatéral immédiat.

Laura Kennedy a jugé que, malgré la rhétorique très critique de l’administration Trump, et les premières actions visibles, l’accord tiendrait car, selon elle, il est prévisible que l’administration Trump se focalise sur d’autres sujets que celui-ci pour lequel une solution existe.

Angela Kane a noté avec inquiétudes les premiers signes de fragilité de l’accord qui sont intervenus très tôt avec des premières questions sur le respect des engagements pris par l’Iran intervenus dès la signature de l’accord. Estimant que l’avenir du JCPOA se joue sur la capacité de l’Iran à être jugée comme fiable par les autres partenaires, elle a noté que personne n’avait intérêt aujourd’hui à un échec car l’accord apporte de la stabilité et un canal de négociation.

Bruno Tertrais a conclu ce point en rappelant qu’au vu du temps et de l’énergie investis dans les négociations et de leur complexité, il lui paraissait improbable que l’accord soit renégocié en vue d’une amélioration. Dans le cas où les États-Unis ou l’Iran décideraient d’en sortir, il serait très difficile de le sauvegarder en raison de son caractère multilatéral.

La dernière question étudiée a été la probabilité d’un déploiement de missiles (ICBM ou SLBM) par la Corée du Nord en 2019. Le public s’est montré plutôt convaincu par la perspective d’un tel développement, alors que les réponses des experts ont été très variées : A. Kane, 85%, L. Kennedy, 60%, B. Tertrais, 25%; R. Thakur, 35%. Bruno Tertrais a clarifié sa réponse en estimant que la dissuasion serait amenée à jouer sur cette question et pousserait selon lui la Corée du Nord à ne pas procéder au déploiement formel d’ICBM ou de SLBM. Angela Kane a en revanche indiqué qu’elle ne pensait pas la Corée du Nord sensible à des lignes rouges et ne voyait pas Pyongyang interrompre volontairement son programme nucléaire à ce stade. Cela serait notamment dû au refus de la communauté internationale d’engager des négociations avec la Corée du Nord et une trop grande attente des pressions exercées sur la Chine.

Deux questions finales ont été posées aux panelistes, qui auront vocation à être examinées en 2019 : la survie du traité FNI à l’horizon de deux ans et la décision par Washington d’adopter une politique explicite de déploiement de défense du territoire américain contre des missiles balistiques chinois.

Cette session a permis de constater la diversité des points de vue mais aussi une certaine continuité dans les analyses entre 2015 et 2017. Elle illustre la complexité d’étudier l’ordre nucléaire mondial sous un prisme prédictif, du fait de sa dépendance forte aux équilibres géopolitiques et l’influence exercée par les questions de sécurité internationale de manière large sur les décisions politiques liées aux questions nucléaires.

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