On Extended Nuclear Deterrence

Observatoire de la dissuasion n°51
février 2018

Au vu des déclarations hasardeuses de Donald Trump lors de la campagne présidentielle de 2016, la gestion des alliances et la solidité de la dissuasion élargie américaine ont été des thèmes particulièrement étudiés lors de cette première année à la Maison Blanche.

Au titre des analyses théoriques, Matthew Fuhrmann propose une étude sur l’efficacité des alliances nucléaires et les moyens de les rendre plus solides. Il s’intéresse notamment à deux outils de gestion des alliances nucléaires : la signature d’engagements d’alliance formels et le stationnement d’armes nucléaires sur le territoire allié.

Les deux mesures lui paraissent signaler le lien fort entretenu entre défenseur et protégé : elles ont toutes les deux un coût important pour le défenseur (coût de réputation pour l’alliance formelle). En s’appuyant sur des données quantitatives actualisées, le chercheur évalue leur efficacité. Pour ce faire, il recense l’ensemble des pays depuis 1946 et leur chance annuelle d’être impliqué dans un conflit international faisant au moins une victime (base de données du Correlates of War’s Militarized Interstate Disputes). Il compare ainsi la probabilité d’être impliqué dans un conflit pour le groupe des Etats bénéficiant de la dissuasion élargie et ceux en étant exclus. Le taux est de 3% pour le premier groupe et 7% pour le second, ce qui semble indiquer que faire partie d’une alliance nucléaire décroit le risque d’être impliqué dans un conflit violent. Les contre-exemples sont généralement des cas spécifiques (agression du protecteur pour la Hongrie en 1956, conflit avec un Etat tiers pour le Pakistan en 1971, …) mis à part pour Taiwan. Néanmoins, Matthew Fuhrmann constate que la Chine de Mao n’a pas lancé d’invasion massive de l’île après la signature d’une alliance entre Taipei et Washington, peut-être justement grâce à la dissuasion élargie.

Fort de ces conclusions, le chercheur s’interroge sur l’existence d’un phénomène d’aléa moral pour les Etats protégés. Il s’agit de savoir si le parapluie nucléaire les incite à prendre des risques qu’ils n’auraient pas pris sans et donc de mener une politique aventureuse pouvant nuire au protecteur. L’exemple le plus typique de ce genre de comportement est celui de Fidel Castro ayant par ses propositions belliqueuses mis en péril les tentatives russo-américaines de préserver la paix lors de la crise de Cuba en 1962. Il remarque néanmoins que ce phénomène est rarement décrit lorsque les traités d’alliance stipulent leur nature défensive. Pour ce qui est des alliances nucléaires, peu de cas d’aléa moral ont été observés historiquement, les Etats protégés étant en réalité moins susceptibles d’initier des conflits armés que la moyenne. Cela peut traduire la peur d’être abandonné par son protecteur en cas de comportement déraisonnable ou justement l’intervention du protecteur pour prévenir l’escalade d’un conflit.

Enfin, Matthew Fuhrmann pose la question de l’efficacité du déploiement d’armes nucléaires dans des pays alliés. En utilisant la même base statistique, il montre que la probabilité d’être en conflit par année est de 3% pour les pays n’accueillant pas d’armes nucléaires, et de 7% pour ceux qui en hébergent. Ce résultat assez contre-intuitif peut être expliqué par le fait que le déploiement en lui-même peut-être source de tensions (Cuba, Pershing II), mais plus vraisemblablement selon l’auteur par le fait que les déploiements ont généralement lieu dans des pays déjà considérés comme vulnérables. Cela dit, ces résultats lui paraissent remettre en cause l’efficacité du déploiement avancé dans le renforcement de la dissuasion. Le cas de la Corée du Sud va dans ce sens, elle a été moins impliquée dans des conflits depuis le retrait des armes américaines. L’inefficacité dissuasive de ces politiques lui parait donc avérée depuis l’invention d’armes de portée globale, et il estime qu’elles sont justifiées pour d’autres raisons, en particulier la prévention de la prolifération dans les pays hôtes et la réassurance. Il cite également l’argument selon lequel leur retrait pourrait envoyer un signe de faiblesse à un adversaire. Néanmoins, en examinant les cas historiques de retrait des armes, il ne constate pas de chance plus élevée d’agression après le retrait. Cela pourrait bien entendu être dû au fait que le démantèlement des arsenaux intervient justement généralement dans un climat plus apaisé. Mais là encore, ces résultats ne permettent pas d’accréditer la thèse selon lequel renoncer à un déploiement avancé enhardirait un adversaire.

S’appuyant sur ces analyses statistiques et historiques, ainsi qu’en sa conviction que les déploiements avancés posent des risques en matière de sécurité, Matthew Fuhrmann estime que le déploiement de B61 en Europe, et les propositions de stationner à nouveau des armes en Corée du Sud, sont peu justifiées. Il conclut sur l’importance des messages et de la rhétorique dans la gestion des alliances, dont le rôle dissuasif semble plus avéré.

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