Ivo H. Daalder, Chuck Hagel, Malcolm Rifkind, Kevin Rudd (dir.), Preventing Nuclear Proliferation and Reassuring Nuclear Allies, The Chicago Council on Global Affairs, 2021

Parmi les nombreuses productions de « début de mandat présidentiel », ce rapport mérite une attention particulière, de par l’identité de ses signataires bien sûr mais surtout du fait de sa créativité, plus significative que la moyenne de ce type de publication.

Le cœur du sujet est une ancienne préoccupation américaine : comment affermir la crédibilité des alliances des États-Unis pour limiter le risque que leurs alliés, à force de douter de la solidité de la protection conférée, soient tentés par la voie nucléaire ?

Une série de propositions concerne l’implication des alliés dans la planification nucléaire. L’idée « d’impliquer les alliés dans le processus de planification nucléaire dès le départ » a de quoi séduire, même si sa traduction pratique n’irait pas d’elle-même. (Imagine-t-on le Stratcom accepter qu’un officier slovaque ou monténégrin puisse avoir accès au « saint des saints » ?À notre connaissance, seul un officier britannique est affecté au Stratcom, pour les travaux de déconfliction des planifications américaine et britannique. ) L’idée de créer un « Groupe asiatique des plans nucléaires », qui réunirait, outre les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud et l’Australie, est plus convaincante, y compris parce qu’un tel groupe pourrait servir de véhicule à l’implication dans la planification américaine, mais elle soulève elle aussi des questions : peut-on reproduire le modèle de l’OTAN sans une organisation de défense collective (et sans rôle nucléaire direct pour les alliés concernés) ? Il est plus crédible de pousser les feux, au moins dans un premier temps et comme le propose le rapport lui-même, de la coopération trilatérale États-Unis / Japon / Corée du Sud, qui ne va pas de soi.

Sur l’Europe, les propositions de la task force sont plus convenues. On notera l’appel lancé en faveur de l’inclusion du Royaume-Uni dans le dialogue européen proposé par le président Macron en février 2020 (ainsi que d’une « coordination étroite » de ce dialogue avec l’OTAN). Les auteurs recommandent une extension formelle et concertée de leur garantie nucléaire au continent, affirmant : « Au bout du compte, la coopération de défense européenne gagnerait à l’existence d’une capacité robuste, séparée du parapluie nucléaire américain, de dissuasion nucléaire en Europe ».

En revanche, on ne peut que se féliciter de l’appel des rédacteurs à une plus grande implication des responsables politiques dans les exercices politico-militaires à dimension nucléaire, tant celle-ci est faible depuis la fin des années 1980.

Enfin, la discussion sur les risques de prolifération nucléaire chez les pays alliés ou amis, si elle met l’accent, sans convaincre totalement, sur la question turque, omet curieusement celle de l’Arabie saoudite.

Une absence plus étonnante : celle de toute discussion du concept de sole purpose (« vocation unique » des armes nucléaire en réponse à une menace ou un emploi d’armes nucléaires) ardemment promu par le nouveau président depuis des années et sur lequel des débats au sein de l’administration et des alliances sont attendus. Sans doute la task force a-t-elle préféré mettre de côté un débat susceptible de créer de nouvelles tensions au sein de cette dernière, mais son travail semble du coup inachevé.

 

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Ivo H. Daalder, Chuck Hagel, Malcolm Rifkind, Kevin Rudd (dir.), Preventing Nuclear Proliferation and Reassuring Nuclear Allies, The Chicago Council on Global Affairs, 2021

Bruno Tertrais

Bulletin n°84, février 2021



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