Le TNP et COVID-19 : la fable du dragon et du pangolin

La pandémie de COVID-19 met en exergue les failles et les succès du système international. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) fait face aux soupçons d’influence chinoise, ce qui pousse les Etats-Unis, son plus gros bailleurLes Etats-Unis ont suspendu leur donation de 500 millions de dollars en avril 2020. Voir AFP, « Donald Trump suspend le financement par les Etats-Unis de l'OMS, qu'il accuse d'avoir mal géré l'épidémie de coronavirus », France Info, 15 avril 2020.  , à suspendre sa participation financière. Au second plan, l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA) confirme discrètement mais efficacement la pertinence du TNP.

L’AIEA face au pangolin

Si pendant longtemps les médias ont consacré (et consacrent encore) leur attention sur la question de l’énergie, d’autres domaines sont suivis par l’AIEA : santé, industrie, eau, environnement et alimentation/agricultureTechnologie nucléaire et applications,AIEA.. De plus, l’Agence contribue à la sécurité internationale par sa capacité de contrôle et d’inspection en matière de non-prolifération des armes nucléaires.

Pour les 442 centrales nucléaires en activité dans 30 pays, l’AIEA a mis à disposition un « manuel d'exploitation des communications sur les incidents et les urgences »Laura Gil, New IAEA Operations Manual for Stronger Global Emergency Preparedness and Response, AIEA, 5 mai 2020. appuyant ainsi les Etats et les opérateurs afin de respecter les différentes mesures barrières pour lutter contre la COVID-19 tout en assurant la sécurité des sites nucléaires. Pour renforcer les opérateurs, l’AIEA a également organisé des webinaires destinés à appuyer les différents pays sur la radioprotection et la sûreté, mais également sur la protection des employés« Continuity in COVID-19 pandemic: How to run effective technical services for individual monitoring during a pandemic », Webinar, AIEA, 27 mai 2020.. L’Agence a publié des documents, notamment le « Guide d’analyse de la sûreté et documentation de délivrance de permis pour les installations du cycle du combustible nucléaire »« Safety Analysis and Licensing Documentation for Nuclear Fuel Cycle Facilities », Safety Reports Series No. 102, AIEA, 2020., afin d’aider les autorités nationales à renforcer leurs capacités dans le domaine de la sûreté des installations liées au cycle du combustible nucléaire, tout en maintenant leurs inspectionsIAEA, « The IAEA has chartered its own plane for the first time ever in order to get safeguards inspectors into the field. Despite #COVID19 and flights cancellations, our inspectors continue their work in verifying nuclear materials remain peaceful. », Twitter, 17 mai 2020..

Dans le domaine médical, l’Agence a dès le 9 mars annoncé par la voix de son directeur général Rafael Grossi qu’elle « fournirait des trousses de diagnostic et du matériel, et dispenserait une formation sur les techniques de détection dérivées du nucléaire aux pays demandant une assistance »« L’AIEA va aider les pays à détecter le nouveau coronavirus », AIEA, n°11/2020, 20 mars 2020., alors que l’OMS a attendu le 12 mars pour déclarer la situation de pandémie. Plus précisément, l’AIEA a mis à profit une expérience et une expertise indéniables et reconnues concernant la détection des flambées de certaines maladies virales et leur diagnostic. Le paludisme, le chikungunya, la dengue, la fièvre jaune, Zyka ou encore Ebola sont autant de maladies que l’Agence œuvre à éradiquerCarley Willis et James Howlett, « Lutte contre le chikungunya, la dengue, la fièvre jaune et la maladie à virus Zika : de nouvelles lignes directrices apportent une harmonisation à l’échelle mondiale », AIEA, 13 mai 2020.. Elle a donc été logiquement intégrée dans l’équipe de gestion de crise de la COVID-19 pilotée par l’OMS incluant 14 autres entités des Nations Unies« Secretary-General's Briefing to Member States on the Organization's Response to COVID-19 », Nations Unies, 20 mars 2020..

Sur la non-prolifération, Rafael Grossi affirme poursuivre la mission de lutte contre la prolifération des armes nucléairesRafael Grossi, « 2020 #NPT Review Conference has been postponed due to the #COVID19 crisis. When it happens @IAEAorg will be there as always. In the meantime, the Agency continues its activities under the NPT Treaty to verify nuclear remains peaceful », Twitter, 31 mars 2020., dans un contexte où, avant l’annonce de pandémie par l’OMS, l’AIEA avait manifesté son inquiétude face à la circulation de matières nucléaires non déclarées et d’activités nucléaires non déclarées par l’IranDean Calma, « Iran : l'AIEA s’inquiète d’éventuelles activités nucléaires non déclarées », ONU Info, 9 mars 2020..

La COVID-19 permet d’illustrer les décennies de travail de recherche des scientifiques de l’AIEA. Cela peut paraître anodin, mais il existe peu d’agence internationale capable d’une telle panoplie d’actions et de telles responsabilités, avec une telle réactivité, de tels résultats, et qui bénéficie en plus d’une confiance totale de tous ses Etats membres. Cette expertise est telle qu’en cette période de crise, l’Agence a réussi à collecter 22 millions d’euros de la part de ses Etats membres« IAEA Project to Help Countries Combat COVID-19 Draws €22 Million in Funding », n°17/2020, AIEA, 11 mai 2020.. « Ces fonds sont utilisés pour soutenir la capacité des Etats membres à diagnostiquer la pandémie. Nous avons réussi à collecter des fonds afin de pouvoir acheter des kits de diagnostic pour les laboratoires nationaux des Etats membres. Il est difficile de dire si ces fonds sont suffisants car les demandes des Etats membres continuent d'augmenter » explique Shota Kamishima, conseiller auprès du directeur général de l’AIEA chargé de la gestion de crise de la COVID-19Entretien avec l’auteur.

Ce que révèle l’AIEA au travers de ses coopérations avec les diverses agences de l’ONU et de manière plus éloquente durant cette crise, c’est ce que l’on pourrait appeler « la pluridisciplinarité de l’atome dans la résolution des crises ». De fait, depuis l’annonce de l’Agence de sa capacité à appuyer les pays qui auraient besoin d’une aide pour effectuer des tests COVID-19, 120 pays ont répondu à cet appel« Atomic agency cites concerns over Iran testing sites, offers COVID-19 assistance », UN News, 9 mars 2020..  

Le pangolin, la non-prolifération et la dissuasion

Avant la crise de la COVID-19, la Conférence d’examen quinquennal du TNP (RevCon 2020) devait répondre à un défi : ne pas reproduire l’échec de 2015. Rappelons-le, la RevCon 2020 a pour objectif non pas de renégocier le Traité, mais d’examiner sa mise en œuvre. Elle se prépare dans un climat délétère sur les questions stratégiques, y compris au sein de l’Alliance atlantique. Malgré cela, la COVID-19 a attisé les tensions entre la Chine et les Etats-Unis, et en cela peut contribuer à revaloriser le rôle de la dissuasion nucléaire.

La COVID-19 a certes remotivé les militants du désarmement, qui appellent à une réduction voire une suppression du budget de la dissuasion en faveur de la santé. Aussi apprend-on sur le site d’ICAN que la bombe « coûterait » 100 000 lits d'hôpital« Nuclear Spending vs Healthcare », ICAN, mars 2020.. Mais l’appel de Françoise Dumas, Présidente de la Commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, à ne pas toucher au budget de la Défense au motif du nécessaire soutien à la reprise économique au lendemain de l’épidémie montre que la Représentation nationale reste vigilanteFrançoise Dumas, « Le budget de la défense doit être, plus que jamais, préservé », Le Figaro, 5 mai 2020..

Que nous a appris la COVID-19? Que les économies dans les secteurs stratégiques n’ont pas permis à la France de faire face à une menace. Le secteur nucléaire doit-il être rogné (encore un peu plus) par une culture du déni stratégique? Si les défenseurs de l’abolition promeuvent un désarmement absolu et immédiat, ils admettent également que les recherches civiles, notamment en France, n’auraient pu se développer sans les avancées militaires. Que ce soit chez les militants les plus farouches« Nucléaire : l’électricité ou la bombe ? Les liens entre nucléaire civil et nucléaire militaire », Réseau Sortir du Nucléaire, 1er février 2008.ou les plus modérésHervé Bercegol, « Les choix techniques du nucléaire français : le lien historique civil-militaire », Reflets de la Physique n° 60, mai 2018., aucun ne conteste le lien entre développement du nucléaire civil et militaire, notamment sur les technologies médicalesJacques Bordé et Michèle Leduc, « Nucléaires civil et militaire : des recherches liées », Reflets de la Physique n° 60, mai 2018.. Ces mêmes technologies ont aujourd’hui permis de participer à la lutte contre la COVID-19. En résumé, cette crise prouve l’efficacité de l’AIEA pour veiller à la sûreté nucléaire dans le monde, poursuivre la pression sur l’accord iranien, et contribuer à gérer une pandémie inédite. Elle a révélé le travail quotidien d’une agence qui se tient aux engagements des Nations Unies à savoir la protection des populations et la sécurité internationale. A l’attention des participants à la prochaine RevCon : le pangolin est finalement un philosophe, il nous montre la Lune, ne regardons pas le bout de son doigt.

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