Conséquences et enseignements de la guerre en Ukraine pour la politique de défense américaine

Synthèse 

Pour les États-Unis d’Amérique en général, et l’appareil de défense en particulier, la guerre d’agression russe en Ukraine constitue à la fois une confirmation, une opportunité et un défi. 

Une confirmation, tout d’abord, de leur vision géopolitique d’un monde en voie de fragmentation où s’affirment désormais de manière désinhibée des puissances dites émergentes ou résurgentes contestataires de l’ordre établi, sur fond de concurrence entre modèles politiques divergents, l’autoritarisme « révisionniste » d’une part, le libéralisme politico-économique d’autre part. La compétition stratégique entre (grandes) puissances s’y manifeste sous de multiples formes et se traduit par des actions agressives qui peuvent aller jusqu’au conflit armé, malgré les mesures de dissuasion de toute nature et l’interdépendance économique tant vantée pour ses vertus prétendument pacifiques. Une nouvelle étape dans l’escalade des tensions, préoccupante à plus d’un titre, a donc été franchie par la Russie qui défie ainsi l’« ordre américain », ébranle les mécanismes de dissuasion, et prétend à un changement de paradigme. 

Une opportunité, ensuite, d’observer et d’agir contre cet adversaire sur tout le spectre de la compétition stratégique dans une logique assumée d’affaiblissement de la puissance russe à moyen terme. L’assistance multi-domaine prodiguée à l’Ukraine sur fond de mobilisation active des alliés et partenaires est tout autant une opération aussi symbolique que concrète de « sauvetage » de ce pays destiné à rejoindre le « camp des démocraties » qu’une entreprise à visée géopolitique et stratégique menée contre la Russie en vue de l’isoler politiquement sur la scène internationale, de l’affaiblir économiquement, de l’user militairement, et de la contraindre stratégiquement (prévenir sa prise de contrôle de la mer Noire). 

Un défi, enfin, qui se mesure à l’aune des ambitions géopolitiques rivales, des conséquences socio-économiques présentes et de long terme à l’échelle du globe, et du développement de capacités militaires croissantes par le monde sur fond de guerre informationnelle globalisée et de « révolution technologique » permanente. 

Du niveau politico-stratégique au niveau tactique, l’implication de l’Administration américaine en Ukraine est profonde. La Défense, acteur majeur, en nourrit ses réflexions, y compris prospectives, et en tire des enseignements sur tout le spectre de la compétition stratégique. Nous en retiendrons prioritairement les considérations suivantes : 

  •  Sur le plan de la politique de défense : le renouveau du débat sur les grands objectifs stratégiques des États-Unis vis-à-vis de la Russie et de la Chine, les questionnements sur les principes, les paramètres et les limites d’une stratégie de « dissuasion intégrée », la réflexion sur la nécessité d’une implication désinhibée de la Joint Force dans la compétition stratégique synonyme d’investissement assumé dans la « guerre hybride » et la « proxy warfare », ainsi que la remobilisation de l’OTAN et la conviction de sa centralité dans les affaires de sécurité-défense en Europe, et au-delà. 
  • Sur le plan militaire : le constat de l’accélération inexorable de la « révolution technologique », l’impérative coopération appelée à être structurelle entre les secteurs pu-blic et privé en tous domaines (information, renseignement, cyber, nouvelles technologies, espace, etc.), en amont et dans la conduite des opérations pour s’assurer la domination du champ de bataille, la nécessité de repenser la fonction logistique, du niveau stratégique au niveau tactique, la validation de l’économie générale du modèle de force actuel, ainsi qu’une préoccupation grandissante au regard du ratio qualité-quantité des effectifs militaires. 

À partir de ces considérations, il semble pertinent de s’interroger sur la nature et l’évolution possible des modalités d’une coopération opérationnelle avec l’allié américain au vu de l’effet conjugué probable à moyen terme de l’exercice d’une forte pression stratégique en Europe, d’une accélération de ses investissements dans les nouvelles technologies (risque de déclassement), et d’une détermination à assumer un leadership inflexible sur l’ensemble du spectre de la compétition stratégique. 

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