Dissuasion française : l’article de MM. Pélopidas et Philippe fait débat

Ayant donné un large écho à l’article de deux universitaires intitulé « Unfit for purpose: reassessing the development and deployment of French nuclear weapons (1956-1974) »Benoît Pélopidas et Sébastien Phillippe, « Unfit for purpose: reassessing the development and deployment of French nuclear weapons (1956–1974) », Cold War History, décembre 2020. (cf. Bulletin n° 83Bruno Tertrais, « Histoire du programme nucléaire français : quand des chercheurs du CERI découvrent la Lune », Bulletin n°83, Observatoire de la Dissuasion, FRS, février 2021.), et prétendant, contre toute évidence, que le débat sur la dissuasion française était « interdit publiquement »), le quotidien L’Opinion a ouvert ses colonnes aux réactions d’expertsJean-Dominique Merchet, « Dissuasion nucléaire : fissures dans le ‘bunker’ français », L’Opinion, 23 mars 2021..

Les historiens Maurice Vaïsse et Dominique Mongin (« Une entreprise idéologique de déconstruction ») notent à juste titre – nous l’avions fait dans notre recension de l’article – que les faiblesses des capacités françaises avant 1974 étaient bien connues et n’ont jamais été passées sous silence dans le débat public ou les travaux d’expertsMaurice Vaïsse et Dominique Mongin, « Une entreprise idéologique de déconstruction », L’Opinion, 2 mars 2021.. Ils soulignent, également à juste titre, que l’interaction pragmatique entre intentions et moyens ne doit pas être confondue avec l’absence de rationalité des programmes.

Celle des experts François Géré et Philippe Wodka-Gallien (« Des falsifications grossières de l’histoire ») est plus discutable, car elle n’évite ni l’écueil de l’outrance verbale ni celui de l’attaque personnelle (à la fois contre les auteurs et contre Raymond Aron), au risque de valider le récit des auteurs du CERIFrançois Géré et Philippe Wodka-Gallien, « Des falsifications grossières de l’histoire », L’Opinion, 3 mars 2021.. Par ailleurs, c’est à tort qu’ils affirment qu’il serait « faux de mentionner qu’un chiffre [était] retenu pour déterminer les pertes de l’URSS ».

MM. Pelopidas et Philippe ont répondu à leurs critiques (« Preuves à l’appui ») en avançant que ces critiques ne mettent pas en cause leurs conclusions, et même valident leur hypothèse d’un « récit rétrospectif triomphaliste »Benoît Pélopidas et Sébastien Phillippe, « Contre les récits triomphalistes, Preuves à l’appui », L’Opinion, 5 mars 2021..

Enfin, on signalera la réaction de deux jeunes experts (passés par le RNS-NG) qui a le mérite de contrer, par son existence même, l’idée d’un récit systématiquement institutionnel ou para-officiel d’autres spécialistes. Mme Lova Rajaorinelina et M. Benoît Grémare (« La dissuasion nucléaire est-elle vraiment inadaptée ? ») mettent notamment en avant l’existence des lois de programmation militaireLova Rajaorinelina et M. Benoît Grémare, « La dissuasion nucléaire est-elle vraiment inadaptée ? », L’Opinion, 23 mars 2021..

Commentaires additionnels :

  • Sur le sujet de la dissuasion française, il est pour le moins curieux que MM. Pélopidas et Philippe n’aient de cesse de critiquer le caractère prétendument non-indépendant et sujet à caution (allant jusqu’à parler d’un « conflit d’intérêts endémique dans la production du discours nucléaire français ») des écrits d’experts de centres tels que la FRS, alors même… qu’ils citent et mettent en exergue dans leur article une formule (« A Program Without a Strategy ») de l’auteur de ces lignes, qui va plutôt dans le sens de leur démonstration. 
  • Il serait heureux que des documents d’archive ou des témoignages précis d’acteurs de l’époque puissent contribuer à lever le voile sur la planification, dans les années 1960, des raids de
    Mirage IV et l’évaluation qui était faite de leurs chances de succès.
  • Certains des auteurs précités dédaignent à tort la fonction de possible « détonateur » assignée à l’époque par le général de Gaulle à la force de dissuasion. Celle-ci est pourtant bien documentée.

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