Entrée en vigueur du TIAN : quelles prochaines échéances pour le Traité ?

Le 22 janvier 2020, le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) est entré en vigueur, trois mois après la ratification du Traité par son 50e État partie (le Honduras).

Le Traité compte désormais 86 États signataires et 51 États ayant remis leur instrument de ratification ou d’adhésion. Si l’opposition des États dotés à ce Traité reste ferme, en particulier au sein de l’OTANNorth Atlantic Council Statement as the Treaty on the Prohibition of Nuclear Weapons Enters into Force, Press Release (2020) 131, OTAN, 15 décembre 2020., les avis sont plus partagés sur les conséquences liées à l’entrée en vigueur du Traité. Ainsi, beaucoup d’observateurs des États dotés notent le peu d’effets attendus de ce texte dans la « sphère réelle », caractérisée par des tensions vives entre puissances nucléaires et la modernisation des arsenaux par l’ensemble des États nucléairesJon Wolfstahl, « More Than Paper: How Nuclear Ban-Treaty Advocates Can Really Advance Disarmament », War on the Rocks, 4 octobre 2017.. D’autres pointent que les effets dépendront largement de la manière dont le Traité sera mis en œuvre par ses États membresHeather Williams, « What the Nuclear Ban Treaty Means for America’s Allies », War on the Rocks, 5 novembre 2020..

L’année qui s’ouvre va en effet être importante pour les États membres du Traité, qui devraient se retrouver pour la première réunion des États parties. L’Autriche s’est positionnée pour accueillir cet événement, qui permettra de régler des aspects pratiques liés à la mise en œuvre du Traité, tels que les règles de procédure ou les coûts associés à la mise en œuvre. Des discussions seront sans doute consacrées au statut des États observateurs, la Suisse et la Suède ayant d’ores et déjà évoqué la possibilité de participer à cette rencontre. Par ailleurs, un document final pourrait permettre de promouvoir un programme d’action pour la mise en œuvre et l’universalisation du TraitéAlicia Sanders-Zakre, « Nuclear Weapons Ban Treaty to Enter into Force: What's Next? », Arms Control Today, novembre 2020..

Parmi les éléments plus substantiels qui devraient être discutés, figure le choix d’un calendrier agréé pour l’élimination des armes nucléaires d’un éventuel État disposant de telles armes au moment de sa ratification du TraitéMoritz Kütt and Zia Mian, “Setting the Deadline for Nuclear Weapon Destruction Under the Treaty on the Prohibition of Nuclear Weapons,” Journal for Peace and Nuclear Disarmament, Vol. 2, No. 2 (2019): 410–430.. Les États devraient également aborder la question de la vérification et en particulier la nature de « l’autorité internationale compétente » mentionnée à l’article 4 du TIAN. Il n’est cependant pas certain que cette question soit réglée avant que le cas de figure ne se pose et qu’un État nucléaire ne rejoigne le Traité. En effet, ces procédures sont par nature complexes et assez théoriques et artificielles, si elles ne sont pas évoquées dans un scénario de mise en œuvre concret.

Cette première réunion pourrait être l’opportunité d’observer dans quelle mesure les États parties souhaitent privilégier une interprétation extensive des termes du TIAN, et en particulier de l’article 1(e) qui interdit d’aider un État à produire ou développer un arsenal nucléaire. Un exemple régulièrement mis en exergue est le cas du Kazakhstan, qui permet à la Russie de réaliser des essais de missiles balistiques sur la base de Sary Chagan située sur son territoire. Certains considèrent cette pratique comme clairement incohérente avec le TraitéUlrich Kühn, « Kazakhstan – Once More a Testing Ground? », Carnegie Endowment for International Peace, 12 juillet 2019.. Le Nuclear Weapon Ban Monitor, qui suit le respect des obligations du TIAN sous la houlette d’ICAN, ne considère pas cette pratique comme une violation, mais invite le Kazakhstan à s’assurer que Moscou cesse de tester des missiles à capacité nucléaire sur le site de Sary Chagan« Kazakhstan », Nuclear Weapons Ban Monitor, consulté le 7 janvier 2021.. En cas de manquement, l’ONG estime que la question devrait être portée à l’attention du mécanisme de résolution des différends du TIANGrethe Lauglo Østern , éd, Nuclear Weapons Ban Monitor 2019, TPNW Status and Compliance, octobre 2019.. À noter que les Îles Marshall, qui avaient signé la Convention aux Nations Unies en 2017, pourraient être dans une situation analogue, puisqu’ils hébergent le site de Kwajalein, qui abrite les instruments utilisés pour évaluer les essais des ICBM américains. Le pays n’a pour autant pas signalé son intention de rejoindre le Traité à ce jour. Une étude est en cours au sein de l’administration, et le pays a mentionné des réserves par rapport à l’obligation d’assistance aux victimes et de réparation des essais nucléairesH.E. Mr. David Kabua President of the Republic of the Marshall Islands High Level Meeting to commemorate the International Day for the Total Elimination of Nuclear Weapons United Nations New York, Nations Unies, 2 October 2020. “We remain deeply concerned regarding provisions in the treaty which wrongfully place the heavy burden of victim assistance and remediation only upon the nations which are affected by tests, and which risks appearing to absolve those states which conducted such testing, particularly when they are non-parties.”.

De manière générale, trois champs pourront être surveillés avec intérêt suite à l’entrée en vigueur du Traité :

  • L’un des articles qui pourraient avoir des effets immédiats et directs, concerne justement l’obligation d’assistance aux victimes des essais nucléaires (Article 6). Les États parties au TIAN s’engagent en effet à « [fournir] de manière suffisante aux personnes relevant de sa juridiction qui sont touchées par l’utilisation ou la mise à l’essai d’armes nucléaires, conformément au droit international humanitaire et au droit international des droits de l’homme applicables, une assistance prenant en considération l’âge et le sexe, sans discrimination, y compris des soins médicaux, une réadaptation et un soutien psychologique, ainsi qu’une insertion sociale et économique » et à « prendre les mesures nécessaires et appropriées en vue de la remise en état de l’environnement des zones ainsi contaminées ». À ce jour, les États membres concernés par cette obligation devraient être le Kazakhstan, les Fidji et dans une moindre mesure les Iles Cook. Tous trois ont des programmes déjà mis en place dans ce domaine, mais assez variables dans leur contenu. En l’absence de ratification des États ayant causé ces dommages (respectivement la Russie et le Royaume-Uni), ces États seront les principaux porteurs de l’obligation d’assistance et de remédiation. On peut néanmoins penser qu’ils chercheront à utiliser le forum du TIAN pour obtenir des soutiens et l’assistance d’États tiers dans la mise en œuvre de leur obligation.
  • Au niveau des accords de garantie avec l’AIEA, le TIAN ne devrait pas modifier le paysage, en dehors du cas de la Palestine, qui sera obligée de mettre en force l’accord de garantie signé avec l’AIEA en juin 2019. Dans le plus long terme, l’entrée en vigueur du TIAN interdira aux États qui ont un Protocole Additionnel à leur accord de garantie de s’en délier. Cela représente aujourd’hui une trentaine d’États membres.
  • Les États membres peuvent adopter des mesures de mise en œuvre interne, en particulier des textes législatifs permettant de retransmettre en droit national les obligations internationales. Ces retranscriptions peuvent être l’opportunité d’interprétation plus ou moins étroite. Ainsi, l'Irlande a publié sa loi de mise en œuvre qui copie quasiment le TraitéProhibition of Nuclear Weapons, Act 2019, N°40, Mercantile Marine Act 1955 (No. 29), 2019.. D’autres États pourraient souhaiter y ajouter d’autres interdictions, comme la visite de navire à propulsion nucléaire ou le financement de programmes nucléaires militaires, comme cela existe dans certains pays aujourd’hui (respectivement la Nouvelle ZélandeNew Zealand Nuclear Free Zone, Disarmament, and Arms Control Act 1987, http://www.legislation.govt.nz/act/public/1987/ 0086/latest/096be8ed8157721b.pdf. ou la Suisse)Bundesgesetz über das Kriegsmaterial (Kriegsmaterialgesetz, KMG) [War Material Act], Dec. 13, 1996, SYSTEMATISCHE RECHTSSAMMLUNG [SR] [SYSTEMATIC COLLECTION OF LAWS] 514.51, https://www.admin.ch/opc/de/classified-compilation/19960753/201302010000/514.51.pdf.

La capacité du TIAN à créer une norme ayant une influence au-delà de son rayon d’action juridique est la véritable inconnue qui entoure ce Traité à ce stade et divise les spécialistesVoir par exemple Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, « The forever-emerging norm of banning nuclear weapons », Journal of Strategic Studies, juin 2020 et Alicia Sanders-Zakre, Five Common Mistakes on the Treaty on the Prohibition of Nuclear Weapons, War on the Rocks, 16 novembre 2020.. La question du financement est un exemple intéressant. Le TIAN ne le prohibe pas spécialement, mais de nombreuses ONG espèrent que le Traité permettra d’alimenter les campagnes de désinvestissement menées envers les entreprises dont le capital est ouvert et qui sont associées à des programmes nucléaires militaires. Les mouvements militants évoquent régulièrement les effets des Conventions d’Oslo ou d’Ottawa sur des États non-signataires. La pertinence de cette comparaison sera particulièrement illustrée par le dynamisme de ces campagnes de désinvestissement dans les années qui viennent.

 

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