Le Musudan : quels progrès techniques et stratégiques pour Pyongyang ?
Observatoire de la dissuasion n°40
Emmanuelle Maitre,
février 2017
Le 3 février 2017, l’Iran procède à un tir de missile qui est considéré dans certains rapports comme une version locale du MusudanDave Majumbar, « Was Iran’s New Missile Born in North Korea? », War is Boring, 3 février 2017.. Cette information est notamment relayée par certains officiels américains de manière anonyme, et se base sur les rapports selon lesquels Téhéran aurait acheté 18 Musudan (ou BM-25) à Pyongyang en 2005. D’autres informations ont a priori corroboré cette supposition en 2009John Pomfret and Walter Pincus “Experts question North Korea-Iran missile link from WikiLeaks document release,” The Washington Post, December 1, 2010, http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/11/30/AR2010113006781.html
. Cette analyse n’est nullement certaine et d’autres experts ont proposé d’autres explications concernant le missile testé par l’IranMichael Elleman, Iran’s Missile Test: Getting the Facts Straight on North Korea’s Cooperation, 38th North, 3 février 2017.. Néanmoins, le débat a permis de reparler de ce vecteur nord-coréen, dans une perspective proliférante cette fois.
En effet, le débat politique occidental avait davantage porté ces derniers mois sur la capacité de Pyongyang à déployer un ICBM opérationnel, notamment en raison des déclarations remarquées de Kim Jung-un et de Donald Trump et des rumeurs sur des préparations d’essaiDavid Wright, « Is North Korea Planning a Long-Range Missile Launch? », All Things Nuclear, 19 janvier 2017., ainsi que sur la transformation du SLBM enversion terrestre. Néanmoins, le Musudan semble rester une priorité technique importante nord-coréenne. En effet, huit essais ont été effectués au cours de l’année écoulée.
Récpaitulatifs des essais menésMusudan (BM-25), MissileThreat.com, 2016.
Date | Lieu | Résultat |
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15 avril 2016 | Wonsan | Echec, déviation de trajectoire au décollage |
28 avril 2016 | Wonsan | Accident après le décollage |
28 avril 2016 | Wonsan | Accident à 200m du pas de tir |
31 mai 2016 | Wonsan | Explosion sur le pas de tir |
22 juin 2016 | Wonsan | Vol sur 150 km avant chute |
22 juin 2016 | Wonsan | Vol sur 400 km, altitude de 1000 km atteinte |
15 octobre 2016 (non confirmé) | Kusong | Explosion sur le pas de tir |
20 octobre 2016 (non confirmé) | Kusong | Explosion au lancement |
Si la plupart des essais ont été des échecs, avec seulement deux vols attestés (dont un avorté, volontairement ou pas), cet acharnement ne peut que permettre aux équipes en charge du projet de perfectionner un programme qui présente des défis technologiques importants. Ainsi, des évolutions ont déjà été notées entre les différents essais, comme l’ajout d’ailettes de stabilisation ou le lancement à Kusong. Ce pas de tir est localisé sur la côte Ouest de la Corée du Nord, et est éloignée du centre de production de Musudan-ri. Ce choix pourrait être guidé par la volonté de tester le missile sur une portée plus importante (sans entrer dans l’espace maritime japonais). Des progrès ont donc été notés, ce qui pousse John Schilling à pronostiquer que le Musudan pourrait être rapidement opérationnel, potentiellement dans l’année qui s’ouvreJohn Schilling, « Musudan Could Be Operational Sooner Than Expected », 38th North, 17 octobre 2016..
L’abondance d’essais aurait pu permettre d’en savoir plus sur un programme qui, comme de coutume pour les capacités nord-coréennes, s’appuie davantage sur des spéculations que des certitudes. Néanmoins, peu d’images ou de données ont pu être analysées en source ouverte suite à ces tentatives de vol.
Pour rappel, le gouvernement américain avait fait circuler en 2009 un document aux membres du MTCR indiquant que le missile était dérivé du SLBM soviétique SS-N-6/R-27. Il lui conférait une portée maximale de 4000 km pour une capacité d’emport de 500 kg. Le principal saut technologique à l’origine de cet allongement de portée et accroissement de la charge consistait dans l’emploi d’un moteur plus perfectionné et performant que les autres missiles nord-coréens de type Scud, ainsi que des propergols plus puissants (diméthyle-hydrazine dissymétrique (UDMH) et tétra-oxyde d'azote (N2O4))Cable 09STATE103755_a, MISSILE TECHNOLOGY CONTROL REGIME (MTCR): NORTH KOREA’S MISSILE PROGRAM, Wikileaks, 6 octobre 2009..
Le vol réalisé en juin 2016 a permis de recueillir quelques données supplémentaires qui ont permis à des chercheurs de 38th North de produire un rapport avec diverses estimations de la performance réelle du MusudanRalph Savelsberg et James Kiessling, « North Korea’s Musudan Missile: A Performance Assessment », 38th North, 20 décembre 2016.. L’objectif de l’étude est notamment de vérifier si la portée habituellement attribuée au missile (entre 2500 km et 4000 km), suffisante pour cibler Guam (dont la distance est estimée à 3400 km), est réaliste au vu des caractéristiques techniques (et visuelles) de l’IRBM. Il s’agit notamment de comparer les performances connues du R-27 aux adaptations nord-coréennes et de formuler plusieurs hypothèses de fonctionnement.
Les divergences, représentées sur l’illustration ci-dessous, concernent principalement l’allongement du missile, l’augmentation de la capacité de stockage des réservoirs et une réduction relative de la taille de la tête. Ces modifications apportent a priori une perte de stabilité, de précision et de performance portée/capacité d’emport.
Les principales inconnues du programme concernent selon les auteurs le poids mort (hors propergol et tête), le comburant et la présence d’ailettes. Ainsi, en faisant jouer les trois variables, ils présentent 7 versions du Musudan présentées dans le tableau ci-dessous.
En combinant les performances techniques des différentes variables, les deux experts proposent des ratios charge/portée qui donnent l’opportunité de constater que dans le meilleur des cas, et dans l’hypothèse d’une charge faible (500 kg), le missile pourrait atteindre près de 2800 km, insuffisant pour toucher Guam. Si la charge était maximisée, la portée serait réduite entre 1600 km et 2000 km.
Ces chiffres sont légèrement inférieurs à l’étude réalisée par David Wright en juin dernier qui pensait qu’une portée de 3000 km était envisageable, mais confortent également l’idée que les technologies testées sont insuffisantes pour garantir le succès d’un vecteur destiné au territoire américain ou même à Guam (notamment concernant la protection thermique de la tête)David Wright, Analysis of North Korea’s Musudan Missile Test–Part 1, All Things Nuclear, 24 juin 2016.. Michael Elleman évoque un chiffre de 3150 km assez proche de ces estimations égalementMichael Elleman, North Korea’s Musudan missile effort advances, IISS Voices, 27 juin 2016., Postol et Schiller environ 2500 kmTheodore Postol et Markus Schiller, The North Korean Ballistic Missile Program, Korea Observer, vol. 47, n°4, hiver 2016..
Le rapport conclue que le Musudan ne constituera pas une rupture politique et stratégique, puisqu’il ne permet a priori pas de cibler des territoires non-couverts par les Nodong. En revanche, il est un indicateur des performances technologiques notables réalisées par les ingénieurs nord-coréens, notamment dans l’adaptation des technologies du R-27, qui devraient leur permettre de poursuivre leurs progrès sur l’ensemble de la gamme de missiles nord-coréenne.
David Wright et Michael Elleman partagent ces conclusions et notent que c’est bien l’utilisation d’un moteur plus performant qui constitue une innovation notable dans ce projet, davantage que le vecteur en tant que tel. En effet, ce type de moteur et cette association de combustibles pourraient être utilisés pour lancer un ICBM. Les technologies maîtrisées incluent un système de guidage qui contrôlent les moteurs verniers et des alliages d’aluminium très résistants.
Une question demeure néanmoins sur la capacité à utiliser de tels moteurs pour des missiles terrestres mobiles. En effet, un des propergols utilisés (tétra-oxyde d'azote) est très sensible aux changements de température et doit donc être stocké dans des conditions très complexes. Le chargement du carburant dans le missile doit se faire également en respectant des protections thermiques extrêmement poussée. Dans le cas contraire, le missile ne peut pas être utilisé s’il fait trop chaud ou trop froid. Par ailleurs, sa résistance aux chocs produits par un déplacement routier serait plus que discutable.
Les progrès théoriques permis par le Musudan sont indéniables, et ne doivent pas être sous-estimés. Néanmoins, comme pour de nombreux projets en développements, les conditions de déploiement et de mise en œuvre opérationnelles restent assez logiquement obscures.