Objectif survie : développement de missiles à combustible solide et TEL en Corée du Nord
Observatoire de la dissuasion n°43
Emmanuelle Maitre,
mai 2017
Les commémorations de l’anniversaire de Kim Il-sung en avril 2017 ont constitué comme souvent en pareille occasion une opportunité pour la communauté stratégique de faire un point sur le programme balistique du pays. Les médias internationaux ont notamment insisté sur la présentation, en réalité dans des conteneurs, de ce qui a été décrit sans être démontré des nouveaux ICBMBrad Lendon, « North Korea surprises with display of new missiles », CNN, 15 avril 2017.. Les experts du programme se sont attardés sur la présentation officielle des deux missiles à combustible solide de l’arsenal : le SLBM KN-11, ou Pukkuksong-1 (Polaris-1) et son jumeau connu aux Etats-Unis comme KN-15, ou Pukkuksong-2 (Polaris-2). Une attention a également été portée aux différents TEL présentésRyan Pickrell, « Why North Korea's Big Missile Show Matters », The National Interest, 15 avril 2017.. En effet, ces deux innovations combinées semblent démontrer la volonté de Pyongyang d’accroître considérablement la capacité de survie de son arsenal et de rendre inopportune toute stratégie de frappe préemptive désarmante.
L’exposition du KN-15 sur un TEL, qui fait écho aux essais réussis du missile en février et mai 2017 sur un système de lancement similaire, est tout particulièrement intéressante car elle offre à la Corée du Nord la possibilité de mieux déplacer, disperser et camoufler ses missiles, les rendant ainsi moins vulnérables à des frappes de précision.
La volonté de la Corée du Nord de disposer des TEL n’est pas nouvelle et a régulièrement été étudiée à la rubrique « prolifération ». En effet, comme de nombreux Etats cherchant à disposer de capacités balistiques, elle a eu recours à des réseaux plus ou moins licites pour importer des TEL. Cela lui a permis de disposer dès les années 1970 de MAZ 543 combinés aux livraisons de Scud, qui aurait été adapté au Nodong, mais aussi de MAZ 547A plus évolués achetés plus tard en Biélorussie pour porter le Musadan. En 2012, la question a été au cœur de l’actualité puisque le Groupe d’experts créé en application de la résolution 1874 (2009) du Conseil de sécurité de l’ONU a évoqué l’acquisition illégitime par Pyongyang d’un TEL pour le futur ICBM KN-08, lui-même exposé lors d’un défilé en avril 2012Stéphane Delory, « Un aspect essentiel de la prolifération balistique : les transporteurs-érecteurs-lanceurs (TEL) », Observatoire de la Non-Prolifération, CESIM, n°70, septembre 2012..
Ce véhicule était en effet similaire à celui utilisé pour transporter les missiles stratégiques chinois, et il a été avéré que la compagnie chinoise Wanshan Special Vehicle Company avait exporté en 2011 six châssis à une entreprise nord-coréenne soi-disant d’exploitation forestière. La spécialisation du châssis et l’ajout d’un érecteur aurait été fait à l’insu de Pékin par les Nord-coréens eux-mêmes. Si les spécialistes jugent qu’il y a peu de chance que la Chine ait ignoré la vocation finale de ces véhicules, ils ont en revanche localisé l’usine d’assemblage de TEL nord-coréenne en 2013 à proximité de la ville de Jonchon, ce qui accrédite la thèse d’une finition localeJeffrey Lewis, « That Ain’t My Truck: Where North Korea Assembled Its Chinese Transporter-Erector-Launchers », 38th North, 3 février 2014..
Le TEL du KN-15 est très différent de celui du KN-08, mais aussi des versions précédemment utilisées pour les Scud et est a priori purement issu de ce site de fabrication.
Il reprendrait la structure du tank Pokpung-ho de conception locale, preuve d’une capacité d’ingénierie permettant de réemployer des châssis pour des véhicules armés de nature différente. A l’analyse, le bras en lui-même semble être d’origine purement nationale et utiliserait un alliage d’aluminium assez rudimentaire pour la partie basse du tube lance-missile et un double érecteur semblable à celui retenu pour le TEL du DF-41 chinois. Sa structure pourrait rendre possible un stockage des missiles sous pression, sans que cela soit attesté cependantNathan Hunt, « The North Korean TEL », Missile Defense Advocacy Alliance, 14 février 2017..
Tout en s’inspirant de modèles soviétiques, ce nouveau TEL marquerait une véritable capacité de production locale, et la preuve que Pyongyang a dans ce domaine comme dans d’autres réussi à pallier la difficulté à s’approvisionner à l’extérieur par la construction d’une filière nationale. Le prix à payer serait de devoir utiliser des technologies potentiellement plus rudimentaires, comme celle des chenilles à la place des rouesKelsey Davenport, « North Korea Tests New Missile », Arms Control Today, mars 2017.. Cette caractéristique a été très commentée et considérée comme très avantageuse pour le régime, puisqu’elle permet de quitter les quelques routes goudronnées dont dispose le pays (724 km d’après le CIA Worldbook) pour emprunter des chemins non-pavés sur lesquels il sera plus facile de se dissimulerEric Gomez, « Mobile Missiles: The Real North Korea Threat Is Here », The National Interest, 13 février 2017..
Les TEL employant des châssis sont cependant très rares et ont été notablement abandonnés par les Soviétiques en raison de leur manque de rapidité et des problèmes de stabilité qu’ils induisentKelsey Davenport, « North Korea Tests New Missile ». Ce dernier inconvénient devrait être considérablement réduit par l’utilisation d’un missile à combustible solide.
En effet, l’avancée principale de ce double système (KN-15/TEL sur chenilles) est la confirmation de la maîtrise de ce type de propulsion sur des portées intermédiaires. Ces missiles, dont le combustible peut être chargé à l’avance, n’ont pas besoin de se déplacer avec leurs camions citernes et sont donc beaucoup plus discrets dans leurs déplacements. De plus, ils sont moins sensibles aux phénomènes de torsion, ce qui leur permet de garder une précision correcte même après des déplacements heurtésJohn Schilling, « The Pukguksong-2: A Higher Degree of Mobility, Survivability and Responsiveness », 38th North, 13 février 2017..
La combinaison des chenilles et du combustible solide devrait donc offrir une capacité de survie plus importante. Des questions pourront néanmoins subsister sur la fonctionnalité d’un tel assemblage, car des missiles aussi lourds que le KN-15 ont rarement été utilisés sur ce type de châssis. Par ailleurs, ces missiles ne sont pas encore déployés et les missiles à propulsion liquides continuent de constituer la grande part de l’arsenal nord-coréen. Mais le défilé a semblé confirmer une tendance à valoriser ce choix de propulsion moins contraignant, tout comme les deux essais réussis du missile depuis le début de l’année.