Le retrait américain du traité FNI : quelles conséquences pour la Chine ?

Confirmant les déclarations par tweet du président Donald Trump, et sa volonté de mettre fin au traité INF (Intermediate range nuclear forces), le Secrétaire d’État Mike Pompeo a déclaré devant l’OTAN le 4 décembre 2018 que les États-Unis avaient pris la décision de suspendre leurs obligations après un délai de 60 jours. Le traité FNI porte sur les lanceurs potentiellement nucléaires sol-air d’une portée de 500 à 5 000 km. Signé en 1987 entre les présidents Reagan et Gorbatchev, il est présenté par l’Administration américaine comme un « effort de bonne foi entre deux pays rivaux pour réduire le risque d’une guerre nucléaire ». Devant l’OTAN, Mike Pompeo réaffirmait aussi l’engagement et le rôle leader des États-Unis aux côtés de leurs alliés mais d’abord pour leur propre peuple (on behalf of our people and our allies)US Department of State, Remarks by Mike Pompeo, 04 décembre 2018..

Concrétisation de cette évolution, la Nuclear Posture Review 2018 mentionne également une révision des concepts et des options possibles d’acquisition de missiles intermédiaires conventionnelsNuclear Posture Review 2018, Department of Defense..

Officiellement, la cible principale de cette décision américaine est la Russie, accusée de n’avoir pas respectée les règles du traité en développant le missile de croisière SSC‑8. Mais au-delà de la Russie, seule signataire du traité avec les États-Unis, le développement des capacités balistiques et nucléaires de pays comme l’Iran, la Corée du Nord et particulièrement la République populaire de Chine, « une puissance révisionniste qui exerce une pression coercitive sur les États-Unis et ses alliés en Asie », constitue une motivation peut-être plus puissante encoreUS Department of States, Remarks by Mike Pompeo, op. cit.. Pour reprendre les termes du Secrétaire d’État Pompeo, ces pays peuvent acquérir « tous les missiles intermédiaires qu’ils souhaitent », sans aucune contrainte, contrairement aux États-Unis.

Lors de son audition devant la commission des forces armées du Congrès au mois d’avril 2017, l’amiral Harris, alors commandant des forces américaines dans le Pacifique (PACOM) déclarait déjà que « le traité limite les contre-mesures des États-Unis face aux missiles intermédiaires et de croisière détenus par la Chine et d’autres pays »Statement of Admiral Harry B. Harris Jr., U.S. Navy Commander, U.S. Pacific Command before the House Armed Services Committee on U.S. Pacific Command Posture, Chambre des représentants, 26 avril 2017.. Selon lui en effet, 95 % des 2 000 missiles qui composent l’arsenal de la force des lanceurs de l’APL, missiles de croisières ou balistiques, est composé de missiles à portée intermédiaire couverts par le traité FNIIdem.. Par ailleurs, la RPC continue de développer activement cet arsenal et en a fait le cœur de sa stratégie d’interdiction face aux États-Unis en Asie, augmentant ainsi potentiellement sa capacité d’action, mais aussi les risques de crise militaireHans M. Kristensen, Robert S. Norris, « Chinese Nuclear Forces 2018 », Nuclear Notebook, 28 juin 2018..

Déployés essentiellement face à Taiwan, les missiles conventionnels DF‑16 ont une portée de 800 à 1 000 km. Les missiles DF‑15, potentiellement nucléaires, ont une portée de 600 km.

Les missiles conventionnels DF‑21 C, d’une portée de 1 750 km, et DF‑21 A, potentiellement nucléaires, d’une portée de 2 150 km, couvrent depuis leurs bases sur le territoire chinois, l’ensemble des pays voisins de Pékin, dont le Japon, la péninsule coréenne et l’Inde. Le DF‑21 D, d’une portée de 1 500 km, a été qualifié de « tueur de porte-avions » et le missile DF‑26, présenté par la Chine lors du défilé militaire de 2017, comme « à double capacité nucléaire et conventionnelle » a une portée de 3 500 km. Enfin le missile nucléaire DF‑4 a une portée de 4 500 à 5 500 km. En ce qui concerne les missiles de croisière, le HN‑1 a une portée de 50 à 650 km et le HN‑2 une portée de 1 800 kmValérie Niquet, « L’APL, une force en mutation », Note de la FRS, n°02-2016, janvier 2016.. La question de la non-appartenance de la RPC au traité FNI est donc pertinente pour les États-Unis et leurs alliés en Asie.

Entre attentisme et dénonciations : les réactions de la Chine

Officiellement, les déclarations chinoises suivant l’annonce du désengagement américain du traité FNI sont restées relativement modérées. Pour Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, « le retrait des États-Unis aurait un effet négatif sur le multéralisme »Ivan Tslichetchev, « If Trump Blows up US Russia Nuclear Treaty, China Will Pick up the Peace », South China Morning Post, 10 novembre 2018.. Le discours « officiel » chinois se situe toutefois à plusieurs niveaux, dont celui des déclarations d’éditorialistes et d’experts liés au pouvoir. Pour Lu Weidong, chercheur de l’Académie chinoise des sciences, qui s’exprime dans le Global Times, journal nationaliste « autorisé » qui permet d'exposer non-officiellement les positions chinoises sur les questions stratégiques, les déclarations de Donald Trump sont « sans fondement ». Pour Yang Chengjun, « spécialiste des questions balistiques », « le développement des missiles n’est pas difficile, c’est un moyen pour les pays en développement de renforcer leur puissance globale » dans un contexte de guerre asymétriqueLeng Shumei, Ni Hao, « US Pull Out from INF Could Fuel Arms Race », Global Times, 21 octobre 2018..

Pour Tong Zhao, chercheur à la Carnegie, ce sont les « réactions impulsives de Donald Trump » qui constituent un réel danger. Il s’agit ici de jouer de la proximité des analyses concernant l’administration Trump avec l’Union européenne et le Japon pour tenter de renforcer un front uni. Pour cet analyste, les menaces de retrait américain, et les références à la Chine, font peser un risque d’instabilité stratégique et de course aux armementsTong Zhao, « Why China is Worried About the End of the INF Treaty », Carnegie Endowment for International Peace, 08 novembre 2018.. De même, pour un éditorialiste du Global Times, en réponse aux accusations qui pèsent sur la Chine, « Ce sont les États-Unis qui sont les plus grands perturbateurs de l’ordre mondial »« Europe’s Bruises Need More than Pompeo Sweet Wooing », Global Times, 06 décembre 2018..

Rupture de confiance et conséquences sur l’engagement de la Chine dans la maîtrise des armements

Selon les analystes chinois, la position de Washington entraîne une « rupture de confiance », préalable à toute négociation sur la maîtrise des armementsIvan Tselichtchev, op. cit. et Nathan Levin, « Why America Leaving the INF Treaty is China’s New Nightmare », The National Interest, 22 octobre 2018.. Le développement et le possible déploiement de missiles à portée intermédiaire par les États-Unis dans l’environnement de la Chine feraient peser une menace directe sur les capacités d’interdiction asymétriques de la RPC. Ces capacités reposent en effet sur son propre arsenal de missiles intermédiaires, qui couvrent l’ensemble d’un espace asiatique que Pékin a l’ambition de dominer à termeCaitlin Talmadge, « Beijing’s Nuclear Option: Why A US-China War Could Spiral Out of Control », Foreign Affairs, nov-déc. 2018..

Selon le livre blanc chinois sur le contrôle des armements et la non-prolifération, la Chine respecte les principes de « confiance mutuelle », d’égalité et de coordination. Son engagement prend en compte trois facteurs qui sont la souveraineté nationale, le maintien de la stabilité stratégique et la promotion de la confiance et de la sécurité. Le retrait américain du traité FNI fournit un nouvel argument à la Chine lui permettant de faire porter la responsabilité de son non-engagement sur les États-Unis.

Pékin utilise également les positions russes pour dénoncer par avance l’échec d’éventuelles négociations sur les questions stratégiques et la course aux armements. Ce sont les États-Unis qui sont accusés d’avoir démantelé toute l’architecture de contrôle des armements et de non-prolifération des armes de destruction massive« US Nuclear Treaty Pull Out to Have Grave Consequences: Russia Deputy Foreign Minister », Xinhua, 27 novembre 2018.. Pourtant, comme le déclarait Vladimir Poutine en 2007, la Russie n’était pas hostile à un éventuel élargissement du Traité à d’autres acteurs, dont la Chine, dont les missiles intermédiaires font également partie de l’équation stratégique de russe.

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