Scott D. Sagan & Allen S. Weiner, « The Rule of Law and the Role of Strategy in US Nuclear Doctrine », International Security, vol. 45, n° 4, printemps 2021

Scott Sagan s’est associé à un juriste pour poursuivre, dans cet article, la réflexion qu’il avait engagée sur les critères de ciblage dans la planification nucléaire avec Jeffrey Lewis en 2016Jeffrey G. Lewis et Scott D. Sagan, « The Nuclear Necessity Principle: Making US Targeting Policy Conform with Ethics and the Laws of War », Daedalus, vol. 145, n° 4, automne 2016..

Trois éléments justifieraient, à son sens, un renouvellement de la réflexion sur le sujet : (1) la multiplication des menaces susceptibles de mettre en jeu la dissuasion nucléaire (États : Corée du Nord ; moyens : cyber…), (2) la « révolution de la précision », qui affecte autant les systèmes classiques que les systèmes nucléaires, (3) l’affirmation américaine, en 2013 – et non démentie par l’administration Trump – selon laquelle les États-Unis respecteraient désormais sans réserve les principes du droit des conflits armés.

Les auteurs avancent en premier lieu que le principe de proportionnalité peut autoriser les frappes contre-forces dans certaines circonstances, plus précisément dès lors qu’elles pourraient prévenir ou réduire significativement, avec des dommages collatéraux limités, les dommages aux États-Unis et à leurs alliés. Ils suggèrent en second lieu que le principe de précaution devrait conduire les États-Unis à préférer soit des moyens classiques, soit des moyens nucléaires de faible énergie. Enfin, ils estiment que l’évolution du droit international au cours des trente à quarante dernières années doit aussi conduire Washington à rejeter plus clairement, au nom du principe de distinction, toute option de représailles armées contre les populations civiles (même pour les États non parties au Premier protocole additionnel aux conventions de Genève)Si le ciblage des populations civiles « en tant que telles » est exclu de la planification américaine depuis plusieurs décennies, des attaques massives sur les infrastructures, destinées à prévenir le rétablissement économique de l’Union soviétique, n’étaient, d’après les auteurs, pas exclues au temps de la Guerre froide. Par ailleurs, quatre anciens responsables de la politique nucléaire américaine (MM. Harvey, Miller, Payne et Roberts) ont préparé une réponse (datée du 14 mai 2021) aux auteurs, qui paraîtra sans doute dans le prochain numéro de la revue, dans laquelle ils précisent qu’ils ont « toujours travaillé assidument à éviter que le ciblage intentionnel de civils innocents n’ait jamais fait partie des plans nucléaires américains » et s’élèvent contre l’interprétation faite par MM. Sagan & Weiner de leurs propos dans un précédent article, dans lequel les quatre auteurs se disaient favorables à la prévention d’attaques non-nucléaires massives par la menace de riposte nucléaire.. Pour eux, en effet, la Nuclear Posture Review de 2018 n’était pas claire sur ce point. Ceci impliquerait également de limiter toute option de planification contre le leadership adverse aux personnes et institutions faisant directement partie de la chaîne de commandement militaire. D’où leur contestation de la menace consistant (cf. NPR 2018) à faire redouter à Pyongyang la « fin du régime » nord-coréen.

Cet article sera certainement pris à témoin par ceux qui, dans l’administration américaine, veulent continuer à défendre la réduction de l’énergie des armes (un sujet peu populaire chez les Démocrates). À l’inverse, il sera mal accepté par les défenseurs de postures dites aux États-Unis « minimum deterrence » et « countervalue ».

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Scott D. Sagan & Allen S. Weiner, « The Rule of Law and the Role of Strategy in US Nuclear Doctrine », International Security, vol. 45, n° 4, printemps 2021

Bruno Tertrais

Bulletin n°88, juin 2021



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