Offensive diplomatique d’Israël en Afrique

Introduction

La tournée entamée par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou en Afrique en 2016 et sa participation en juin 2017 au 51e sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à Monrovia marquent le retour d’Israël sur le continent.

Depuis deux ans et malgré l’échec du sommet Israël-Afrique de Lomé (Togo) en 2017, Israël propose aux capitales africaines ses services dans tous les domaines (agrobusiness, énergie, sécurité, téléphonie) et compte renforcer sa présence sur le continent en envisageant de fermer dans les trois prochaines années certaines représentations diplomatiques à l’étranger (Paraguay, Biélorussie, République Dominicaine, Irlande, consulat d’Israël à Atlanta et Lettonie)http://www.i24news.tv/fr/actu/israel/diplomatie-defense/165017-180112-israel-va-fermer-sept-missions-diplomatiques-dans-les-trois-prochaines-annees (consulté le 13 janvier 2018). pour en ouvrir de nouvelles en Afrique. Au-delà de traditionnelles coopérations économiques et sécuritaires avec les chancelleries africaines, Tel Aviv cherche à s’assurer des voix africaines aux Nations unies notamment sur la question palestinienne. Longtemps considéré comme un désaccord insurmontable entre Israël et l’Afrique, le sort des territoires palestiniens n’est plus abordé par les chancelleries africaines sous l’angle de la libération nationale. L’Autorité palestinienne est de plus en plus perçue comme un pouvoir comme un autre. Cette inflexion de la position des capitales africaines à l’égard de la question palestinienne avait déjà commencé après l’évacuation du Sinaï en 1982 suite à la signature des accords de paix entre l’Égypte et Israël à Camp David en 1978, avant de s’accentuer après la signature des accords d’Oslo en 1993 entre Israéliens et Palestiniens.

Cependant, Tel Aviv veut aussi créer des alliances stratégiques sur le continent pour contrer l’influence iranienne. Cette note examine les différents aspects de l’offensive diplomatique d’Israël en Afrique et comment Tel Aviv prépare son retour sur le continent au prisme de la lutte contre le terrorisme et l’insécurité.

Intérêts mutuels

En 2017, Benyamin Netanyahou et Marcel de Souza, président de la commission de la Cedeao, signent un mémorandum d’entente d’1 milliard de dollars pour le développement d’infrastructures solaires dans les États membres de la CedeaoLe Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, la Sierra-Leone, le Togo.: « Notre ambition sur le plan diplomatique et humanitaire est d’accompagner le secteur privé dans des domaines comme celui-ci, car il peut contribuer plus rapidement et efficacement à améliorer les conditions de vie de millions de personnes », déclare Avraham Neguise, membre de la délégation israéliennehttps://www.agenceecofin.com/investissement/0506-47884-israel-investira-1-milliard-au-cours-des-4-prochaines-annees-dans-le-solaire-dans-l-espace-cedeao, consulté le 14 octobre 2018..

En marge de l’Assemblée générale annuelle de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à New York, en septembre 2018, M. Netanyahou et M. Kagamé conviennent de l’ouverture mutuelle des ambassades à Kigali et à Tel Aviv en 2019 (les relations entre les deux pays s’effectuent par le biais de l’ambassade d’Israël à Addis-Abeba). Les deux chancelleries projettent également d’ouvrir une ligne aérienne directe entre les deux capitales. En avril, Israël avait déclaré avoir signé un accord avec le Rwanda et l’Ouganda pour accueillir les réfugiés africains qui seraient expulsés par Tel Aviv. Mais les manifestations des associations de défense des droits de l’Homme et de certains partis politiques en Israël contraignent les deux pays à démentir l’existence d’un tel accord sur les réfugiés. Cette tension à propos des réfugiés n’empêcha pas les deux capitales de renforcer leurs relations. Récemment, Kigali a même sollicité deux anciens hauts responsables israéliens (l’ex-procureur général, Yehuda Weinstein, et l’ancien ambassadeur d’Israël à l’ONU, Ron Prosor) pour entamer des démarches nécessaires en vue de son adhésion à l’Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE) : « L’adhésion à l’OCDE exigerait que le Rwanda respecte les normes internationales les plus strictes en matière de gouvernance, d’environnement des affaires et de relations internationales. C’est donc dans l’intérêt mutuel du Rwanda et de la communauté internationale qu’ils y parviennent. Et nous espérons que d’autres pays africains suivront son exemple » déclare Ron Prosorhttps://www.agenceecofin.com/gouvernance-économique/1109-59836-le-rwanda-pourrait-devenir-le-premier-pays-africain-a-integreril-ocde-, consulté le 7 octobre 2018.. Une éventuelle adhésion ferait ainsi du Rwanda le premier État africain à intégrer cette organisation de 36 membres et à pouvoir augmenter sa coopération avec les principaux acteurs mondiaux.

Tout au long de l’année 2018, les rencontres entre Israéliens et Africains se multiplient : signature en septembre d’un protocole d’accord de coopération entre l'Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) et Start-up Nation Central (SNC), une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Tel Aviv ; rencontre entre la Mission Économique pour Cadres Dirigeants Afrique et Israël pour promouvoir le développement du secteur privé notamment dans l’élevage bovin, l’horticulture, l’aviculture et l’aquaculture ; organisation en octobre au Togo d’une formation en traumatologie à laquelle participent des médecins d’Afrique de l’Ouest et du Centre (Cameroun, Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Sénégal, Liberia, Guinée Conakry et Togo) sous le patronage de l’Agence israélienne de coopération internationale Mashav (créée en 1958 par Golda Meir à son retour d’une visite officielle en Afrique). Entre 2016 et 2018, l’ambassade d’Israël au Sénégal a envoyé en formation soit en Israël soit dans des pays partenaires près de 70 ressortissants du continent (Sénégal, Guinée, Gambie, Cap vert)APS, « L’ambassadeur d’Israël magnifie la coopération renforcée et variée avec Dakar », 25 novembre 2018, in http://www.aps.sn/actuatile/article/la-cooperation-entre-tel-aviv-et-da…..

Allant au-devant de la demande africaine, Tel Aviv propose ses services en matière d’accès à l’eau, à l’électricité et à la santé. La compagnie israélienne Energiya Global et ses partenaires ont signé un accord de développement d’un parc solaire de 20 millions de dollars au sein de l’aéroport international Roberts (Liberia). Ils projettent d’investir deux milliards de dollars dans la réalisation de projets sur le continent (éolien, solaire et hydraulique). Energiya Global a déjà installé ses premières connexions solaires de 8,5 mégawatt (6% de l’électricité rwandaise) à Agagozi-Shalom Youth Village (Rwanda), un village fondé par une société philanthropique israélienne Tikkun Olam Ventures (TOV)Max Schindler, « Israel joins US-led ‘Power Africa’ to bring electricity to millions », in Jerusalem Post, 22 November 2017..

Mais les signes de rapprochement alternent aussi avec les tensions sur les dossiers liés au Proche-Orient. En décembre, par exemple, onze pays africains (Tanzanie, Angola, Cameroun, République du Congo, République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Éthiopie, Soudan du Sud, Kenya, Rwanda, et Zambie) ont assisté à l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem. Cependant, lors du vote de la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 21 décembre 2017 condamnant la reconnaissance par Washington de Jérusalem comme capitale d’Israël, les Africains ont majoritairement voté en faveur du texte. Le Bénin, le Cameroun, la Guinée Équatoriale, le Lesotho, le Malawi, le Rwanda, le Soudan du Sud et l’Ouganda se sont abstenus. Seul le Togo a voté « contre », s’alignant ainsi sur les positions américaine et israélienne. Soutien diplomatique à Tel Aviv ou souci de ne pas donner l’impression de lâcher Washington, cette dispersion des voix africaines inquiète le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Membre observateur de l’Union africaine (UA), Mahmoud Abbas a demandé au continent de ne pas fléchir sur le dossier palestinien aux Nations unies. Dans la majorité des chancelleries africaines, le règlement de la question palestinienne n’est plus considéré comme la condition d’une normalisation avec Israël. Le 30 janvier 2018 à Addis-Abeba, Mahmoud Abbas a invité l’UA à prendre activement part au processus de paix qui conduirait à la création d’un État palestinien indépendant. Cette demande risque de ne pas être entendue puisqu’Israël cherche également à être admis comme membre observateur de l’UA.

La chute de Muammar Kadhafi en 2011, partisan d’une ligne dure, l’exacerbation de la compétition économique, l’insécurité sur le continent et le récent rapprochement stratégique entre Tel Aviv et certaines monarchies du Golfe pour contrer l’Iran ont fissuré davantage le front africain sur le dossier palestinien.

Une normalisation amorcée

En 1971, suite à l’échec de la mission de paix de l’ONU menée par Gunnar Jarring, le chef de l’État mauritanien Mokhtar Ould Daddah, alors président en exercice de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), avait désigné Ahmadou Ahidjo (Cameroun), Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Joseph Mobutu (Zaïre) et Yakubu Gowon (Nigeria) pour reprendre la mission Jarring. Mais le Premier ministre israélien Mme Golda Meir refusa « toute pression » qui l’obligerait à abandonner ses intérêts stratégiques en se retirant des territoires occupés. Après la guerre d’octobre 1973, la quasi-totalité des États africains (Malawi, Botswana, Swaziland, Lesotho et Afrique du Sud exceptés) rompirent leurs relations diplomatiques avec Israël. Confrontés aux ajustements structurels et aux problèmes sécuritaires dans les années 1980, certaines chancelleries africaines (Cameroun, Côte d’Ivoire, Zaïre, Kenya, Togo, Liberia) se tournent alors vers Israël et rétablissent leurs relations diplomatiques. La signature des accords d’Oslo (1993) a ensuite conduit progressivement une quarantaine de chancelleries à renouer avec Israël.

Depuis la fin de l’apartheid et l’arrivée au pouvoir de l’ANC (Congrès national africain) en 1994, l’Afrique du Sud s’est propulsée à l’avant-garde de la cause palestinienne sur la scène internationale. En janvier 2018, au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Pretoria a apporté son soutien aux Palestiniens en estimant que leur situation ressemblait à celle de l’apartheid en Afrique du Sud (1948-1991). En mai, l’ANC a proposé au gouvernement sud-africain de rétrograder son ambassade en Israël à une simple agence de liaisonRaphael Ahren, « South Africa levels apartheid charge at Israel, drawing seething response », The Times of Israel, 25 janvier 2018, https://www.timesofisrael.com/south-africa-levels-apartheid-charge-at-israel-drawing-seething-response/, consulté, le 18 octobre 2018.. L’ambassadeur sud-africain en Israël, Sisi Ngombane a été rappelé par son gouvernement pour dénoncer la brutalité israélienne lors des manifestations hebdomadaires de la « Grande marche du retour » à Gaza. Par le passé, l’ANC a aussi soutenu le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanction (BDS) en réclamant en 2014 une interdiction de tous les partis politiques sud-africains de se rendre en Israël.

Mais dans plusieurs chancelleries africaines, la question palestinienne est devenue plus un enjeu interétatique qu’une question de libération nationale. Même l’Afrique du Sud (son ambassadeur est revenu en septembre 2018) entretient de très bonnes relations économiques avec Israël. Pretoria est le premier partenaire économique de Tel Aviv sur le continent.

Israël propose également ses services sur le continent en partenariat avec les États-Unis. C’est le cas, par exemple, avec le projet « Power-Africa ». Initié en 2013 par le président américain Barack Obama, le projet « Power Africa » a pour objectif de fournir de l’électricité à 60 millions d’Africains d’ici à 2030. Ce projet a été reconduit par le président Donald Trump. Supervisé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID)TOI STAFF, The Times of Israel, « Israel joins USAID’S Power Africa energy development program » (4 décembre 2017), in https://www.timesofisrael.com/israel-joins-usaids-power-africa-energy-development-program/, consulté le 18 octobre 2018. il est doté d’une centaine de millions de dollars pour répondre à la demande des chancelleries africaines : 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité alors que sur le continent le nombre de personnes détenant une fortune à valeur nette ne cesse d’augmenter (305 milliards de dollars en 2017)Ritel Tchounand, « Ultra-riches en Afrique : le Kenya, pays à la croissance la plus rapide », La Tribune Afrique, 5/10/2018, https://afrique.latribune.fr/finances/2018-10-05/utra-riches-en-afrique-le-kenya-pays-a-la-croissance-la-plus-rapide-792950.html, consulté, le 6 octobre 2018.. M. Netanyahou compte beaucoup sur « Power Africa » pour offrir ses services sur le continentSTAFF, The Times of Israel « Netanyahu salue les liens Israël-Afrique lors du lancement d’un projet d’aide » (4 décembre 2017) in http://fr.timesofisrael.com/netanyahu-salue-les-liens-israel-afrique-lors-du-lancement-dun-projet-daide/, consulté le 5 décembre 2017. en coopération avec les Américains qui disposent de 50 représentations diplomatiques en Afrique, alors qu’Israël n’en a qu’une dizaine.

En octobre 2018, le Sénat américain a également adopté une loi, Build Act (Better Utilization of Investment Leading to Development/Une meilleure utilisation des investissements conduisant au développement) autorisant la création d’une grande institution de financement du développement pour contrer l’influence de la Chine, notamment en Afrique. Cette institution baptisée US International Development Finance Corporation – USIDEC (La société américaine de financement du développement international) est formée par la fusion de plusieurs agences gouvernementales américaines dont l’Overseas Private Ivestment Corporation (OPIC) et USAID). Elle a une capacité financière de 60 milliards de dollarsAgence ecofin, « Le Sénat américain adopte la loi portant création d’une méga-agence de développement pour contrer la Chine en Afrique », Agence Ecofin, 5 octobre 2018, https://www.agenceecofin.com/aide-au-developpement/0510-60614-le-senat-americain-adopte-la-loi-portant-creation-d-une-mega-agence-de-developpement-pour-contrer-la-chine-en-afrique, consulté le 14 octobre 2018. et peut également apporter son appui au projet « Power Africa ». Sur le continent, Tel Aviv a plusieurs projets en étude : construction d’une usine de dessalement d’eau de mer au Cap (Afrique du Sud), développement d’un marché d’exportation d’usines de dessalement, en partenariat avec la Société RS distribution basée à Rennes (France) et au Luxembourg, pour résoudre le problème en Afrique (Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin, etc.)Yann-Armel Huet, « Des rennais veulent importer des usines de dessalement d’Israël » Ouest-France (17 octobre 2018) in https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/des-rennais-veulent-importer-des-usines-de-dessalement-d-israel-6022474, consulté le 18 octobre 2017..

Une coopération prometteuse dans le domaine de la défense

Dès 1956, avec l’ouverture de son premier consulat en Éthiopie, Tel Aviv démontre l’importance qu’il accorde au détroit de Bab Al-Mandeb. Avec l’accès à la mer Rouge et à l’océan Indien par le golfe d’Akaba, Israël projette de devenir un pont avec les pays développés et se positionne dans plusieurs domaines : éducation, armée, sécurité. En 1957, les experts israéliens entament la formation de l’armée de l’empereur Hailé Sélassié et la réorganisation de ses services secrets. Le Premier ministre israélien David Ben Gourion promet de soutenir l’Éthiopie dans le différend qui l’oppose à l’Égypte sur le contrôle des eaux du NilAvi Shlaïm, Le mur de fer : Israël et le monde arabe, Paris, Buchet/Chastel, 2007, p. 231.. Il veut surtout créer en dehors des pays arabes limitrophes une ceinture d’États amis. Cette « théorie de la périphérie » s’est focalisée sur l’Éthiopie et le SoudanShimon Pérès, La force de vaincre : Entretiens avec Joëlle Jonathan, Paris, Éditions du Centurion, 1981, p. 79. qui, depuis, n’ont jamais quitté le regard des stratèges israéliens.

Le Soudan, devenu indépendant en 1956, était perçu par Israël comme pouvant devenir soit un allié potentiel ou à défaut une menace s’il se rapprochait du président égyptien Gamal Abdel Nasser. Mais la politique adoptée par Khartoum à l’égard du Sud (majoritairement chrétien), en revenant sur les promesses de créer un État fédéral et en étendant dans les années 1980 le droit pénal musulman sur l’ensemble du territoire, plonge le pays dans une guerre civile permanente. Tel Aviv, ayant entre-temps signé des accords de paix avec l’Égypte (1978) et évacué le Sinaï en 1982, change de stratégie en aidant les séparatistes sud-soudanais (majoritairement chrétiens et animistes) contre le pouvoir soudanais qui avait décidé en 1983 d’étendre la charia au Sud, déclenchant ainsi la deuxième guerre civile perçue comme une guerre de religion entre le Nord islamique et le Sud chrétien qui après un long conflit devient officiellement indépendant en 2011 mais reste confronté à une guerre civile.

Cependant, en juin 2018, les négociations entre les deux leaders soudanais, Salva Kir et Riek Machar, ont eu lieu à Khartoum sous le patronage du gouvernement soudanais. On peut donc en conclure que les relations entre les deux Soudan commencent à s’améliorer avec l’appui de l’Administration Trump qui a levé en partie l’embargo sur le Soudan, mais aussi avec celui de Tel Aviv qui ne peut que se féliciter de pouvoir entretenir des bonnes relations avec les deux Soudan.

Avec le Kenya, l’alliance sécuritaire remonte en 1976, lors de la prise d’otage à Entebbe (Ouganda). Et depuis les attentats perpétrés au centre commercial de Westgate en 2013, les deux pays ont renforcé leur coopération dans la lutte contre les mouvements djihadistes : « Nous pensons qu’il y a une nécessité pour nous, en tant que continent, de nous réengager auprès d’Israël sur une base plus positive, en comprenant que notre partenariat pourra aider à rendre ce monde plus sûr »Raphael Ahren, « Craintes d’émeutes alors que Netanyahu se rend à l’investiture du président kenyan », The Times of Israel, 27 novembre 2017, http://fr.timesofisrael.com/craintes-demeutes-alors-que-netanyahu-se-rend-a-linvestiture-du-president-kenyan/, 27 novembre 2017. explique le président kenyan, Uhuru Kenyatta, lors d’une conférence conjointe avec M. Netanyahou en 2016 à Nairobi.

Israël partage également son expertise en matière de sécurité avec la Côte d’Ivoire. Tel Aviv sécurise aujourd’hui le port autonome d’Abidjan et l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny par les filiales de la société israélo-canadienne Visual DefenseSabine Cessou, « Qui sont les partenaires commerciaux d’Israël en Afrique », RFI (27 juin 2014), voir http://www.rfi.fr/mfi/20140627-commerciaux-israel-afrique-diamant/ consulté le 15 octobre 2018.. En octobre 2018, une délégation de parlementaires israéliens a été reçue à Abidjan par leurs homologues ivoiriens pour développer des relations dans les domaines de l’eau, de l’énergie solaire, de l’industrie et de la sécurité.

Au Cameroun, depuis le coup d’État manqué contre le président Paul Biya en avril 1984, Israël forme la garde républicaine, « double parfait d’une unité de Tsahal : uniformes, bérets pourpres, bottes de parachutistes et armes, fière de son entraînement israélien », écrit le Premier ministre israélien, Itzhak ShamirItzhak Shamir, Ma vie pour Israël, mémoires de combat, Paris, NM7 Ramsay 2000, pp. 327-328.. Le général israélien Maher Hères est chargé de la formation de Bataillon d'intervention rapide (BIR) dans la lutte contre Boko Haram à l’extrême nord du pays.

Le Nigeria apparaît également comme un des clients d’Israël en matière sécuritaire. Le 14 avril 2014, lorsque 223 lycéennes de Chibok, dans l’État de Borno, sont enlevées par des membres de Boko Haram, Benyamin Netanyahou, alors en visite au Japon, déclare que son pays est « prêt à aider à localiser les adolescentes et à combattre le cruel terrorisme ». Après le refus des États-Unis de fournir à l’armée nigériane des équipements militaires, Abuja sollicite en 2014 Tel Aviv pour acheter des hélicoptères Cobra (de fabrication américaine). La vente de ces hélicoptères étant soumise à l’approbation préalable des États-Unis, l’administration Obama s’y oppose craignant que les civils nigérians ne soient les premières victimes de leur utilisation. En 2018, le président Donald Trump lève les restrictions se disant disposé à vendre au Nigeria 12 avions de combat et de reconnaissance d’une valeur de 600 millions de dollars. Tel Aviv espère que la levée des restrictions remettra sur les rails les négociations sécuritaires avec Abuja pour combattre Boko Haram dans la région du Lac Tchad.

Les dépenses du continent en matière d’armement s’élèvent à 42,6 milliards de dollars en 2017 et les exportations de la défense israélienne vers le continent sont passées de 800 millions de dollars en 2015 à 6,5 milliards de dollars en 2016, soit une augmentation de 70 %. En 2017 le continent ne représente que 5 % des exportations totales de la défense israélienne, mais le marché africain reste prometteur« Augmentation de 40% des ventes d'armes d'Israël » in Juif.orf du 2 mai 2018, voir : http://www.juif.org/economie-israelienne/223358,augmentation-de-40-des-ventes-d-armes-d-israel.php, consulté le 26 octobre 2018).. L’Afrique subsaharienne se situe au troisième rang du classement des régions ayant la plus grande charge militaire par rapport au PIB, avec une part de 1,7 % contre 3,6 % pour l’Afrique du Nord et 5,2 % pour le Moyen-Orient. Les charges militaires en Afrique subsaharienne représentent 6,9 % des dépenses publiques des pays de la régionSIPRI Yearbook 2017, les rapports du Groupe de Recherche et d’information sur la paix et la sécurité, GRIP/ 2017/8, https://www.sipri.org/sites/default/files/2017-09/yb17-summary_fr.pdf..

Des relations pragmatiques

Au fil du temps, Israël a diversifié également ses secteurs d’interventions. Au Cameroun, par exemple, des négociations sont en cours entre l’opérateur israélien Gilat Telecom (anciennement Gilat Satcom) et le troisième opérateur mobile au Cameroun Nextel (contrôlé majoritairement par l’opérateur vietnamien Viettel) pour accéder au marché du réseau de fibre optique et de la 4G sur le continentAgence Ecofin, « Au Cameroun, l’opérateur du mobile Nexttel s’associe à l’Israélien Gilat Telecom, pour déployer la 4G » (22 août 2018) in https://www.agenceecofin.com/infrastructures/2208-59296-au-cameroun-l-operateur-de-mobile-nexttel-s-associe-a-l-israelien-gilat-telecom-pour-deployer-la-4g, consulté le 14 octobre 2018..

Le secteur du diamant attire les fonds israéliens vers l’Afrique du Sud, le Botswana, le Congo et l’Angola où opère la société Omega Diamonds détenue en partie par l’Israélo-Russe Arkady GaydamakLire Africa Confidential, 13 juillet 2018, vol. 59, N° 14, p. 12.. La société Beny Steinmetz Group Resources (BSGR) intervient dans les secteurs miniers (cuivre, cobalt, pétrole, etc.) en Angola, Namibie, Sierra Leone ou Botswana. Les entreprises israéliennes de Dan Gerler investissent dans le diamant en République démocratique du Congo et en Angola. La société de Lev Leviev (Lev Leviev Diamonds – LLD) opère principalement en Afrique. La LLD a repris la Namibien Minerais Corporation (Namco, déclarée en faillite en 2003) et a déployé sur la côte namibienne une prospection à grande échelle et dispose de la plus grande taillerie de gemme sur le continent.

En 2017, Israël a importé pour plus de 413 millions de dollars de produits originaires d’AfriqueL’Afrique du Sud, l’Éthiopie, le Kenya, la Tanzanie, le Nigeria, le Rwanda, la République du Congo, la Côte d’Ivoire, la Zambie, le Sénégal, le Ghana, le Cameroun, le Liberia, le Botswana, la République Démocratique du Congo, la Zambie, l’Égypte, la Namibie, le Gabon et le Maroc figurent parmi les principaux partenaires économiques d’Israël en Afrique.. Ses principaux échanges économiques (en millions de dollars) se font avec l’Éthiopie (69,3), le Ghana (5,1), l’Afrique du Sud (64,3), la Côte d’Ivoire (13), la Tanzanie (11,8), l’Égypte (180,4), le Maroc (23,9), le Nigeria (4,9), le Sénégal (4,3) et le Kenya (7,3). Les autres chancelleries africaines représentent 28,8 millions de dollars d’importations israéliennes. Les exportations israéliennes vers l’Afrique sont estimées à 700 millions de dollars contre 645 millions de dollars en 2016. Ces principaux clients sont : l’Angola (9), le Ghana (12), le Gabon (26), l’Afrique du Sud (53), le Liberia (3) le Nigeria (22), les Seychelles (14), le Congo (23) et les autres États africains non cités (536)Central Bureau of Statistics, Statistical Abstract of Israel 2018, www.cbs.gov.il..

Sur les 22 partenaires commerciaux africains d’Israël, le Maroc est le plus discret, alors que les échanges entre les deux pays s’élèvent à 149 millions de dollars entre 2014 et 2017. Rien qu’en 2017, les échanges entre Israël et le royaume sont estimés à 37 millions de dollars. Israël a créé au Maroc une filiale de Netafim, géant israélien de la technologie agricole spécialisé dans la gestion de l’eau dans l’agriculture. Netafim a investi 2,9 millions de dollars pour créer sa filiale Netafim Morocco (qui serait en réalité implantée au Maroc depuis 1994 sous un nom différent à travers sa succursale Regafim)Sebastian Shahadi, « The Open Secret of Israeli-Moroccan Business is Growing » Middle East Eye du 5 novembre 2018 – https://www.middleeasteye.net/news/open-secret-israeli-moroccan-business-growing-813168914, consulté le 9 novembre 2018.. Bien que discrètes, les relations israélo-marocaines sont régulièrement dénoncées par des associations anti-normalisation marocaines. À Casablanca, après la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les États-Unis, de vastes manifestations, soutenues par Moroccan Academic and Cultural Boycott of Israel (MACBI) membre du mouvement BDS, réclament l’arrêt de toute relation économique et culturelle avec Israël. Depuis 1969, date de l’incendie de la Mosquée Al-Aqsa qui jeta les fondements de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) à laquelle est affilié le Comité Al-Qods (créé en 1975), le Maroc s’est placé à l’avant-garde de la défense des intérêts des musulmans à Jérusalem en présidant le Comité Al-Qods depuis sa création. Le royaume du Maroc est entre deux eaux. Son statut de président du Comité Al-Qods l’oblige à défendre les intérêts des musulmans à Jérusalem. Mais en même temps, ses intérêts économiques et politiques (le crucial dossier du Sahara occidental) l’obligent à conserver des relations discrètes avec Tel Aviv qui dispose d’une oreille attentive auprès de l’Administration Trump.

Le Tchad s’est également rapproché d’Israël. En septembre 2017, Dore Gold, directeur du ministère israélien des Affaires étrangères, se rend à N’Djamena dans la perspective de rétablir les relations diplomatiques entre les deux pays (rompues depuis 1972). En novembre 2018, une délégation israélienne effectue une visite au Tchad pour des entretiens sur la possibilité de renouer des relations diplomatiques. Le 25 novembre 2018, le président tchadien Idriss Déby Itno effectue une visite officielle « historique » en Israël pour renforcer la coopération sécuritaire, avant une éventuelle reprise des relations diplomatiques. Pays majoritairement musulman, le Tchad est membre de l’OCI et en attente d’adhésion à la Ligue arabe. En cas de rétablissement des relations diplomatiques avec Israël, le Tchad pourrait se positionner à l’avant-garde de la stratégie israélienne pour normaliser les relations avec le Mali et le Niger : deux pays membres de la force G5 Sahel (avec le Tchad, la Mauritanie et le Burkina Faso) qui combat les djihadistes au Sahel. L’armée tchadienne et l’Agence nationale du renseignement seraient équipées de matériels militaires israéliens.

Devenu indépendant en 2011, le Soudan du Sud figure parmi les alliés d’Israël. Les deux pays ont partagé la même hostilité envers le régime d’Omar Al-Bashir au Soudan, soutien du Hamas palestinien et seul allié sunnite de l’Iran dans la région. Mais, en 2014, le Soudan ordonne la fermeture d’un centre culturel iranien accusé de prosélytisme chiite et intègre en mars 2015 la coalition créée par l’Arabie Saoudite pour mener la guerre au Yémen afin « officiellement » de rétablir le pouvoir du président yéménite Hadi (élu en 2012 et exilé à Riyad depuis 2015). L’influence iranienne crée une convergence d’intérêts entre les États arabes majoritairement sunnites et Israël. En janvier 2016, Khartoum rompt ses relations avec Téhéran. Le Soudan est devenu « pragmatique »« Desperate Diplomacy » in Africa Confidential, 4 November 2016, vol. 57, N° 22. déclare B. Netanyahou. Le 6 octobre 2017, Donald Trump décide de lever, en partie, l’embargo économique contre le Soudan et, en mai 2018, le sous-secrétaire d’État américain John Sullivan effectue une visite à Khartoum. À supposer que cette visite n’ait rien à voir avec le calendrier israélien, elle tombe en tout cas à point nommé pour activer sa diplomatie. Interrogé sur un éventuel rapprochement avec Israël, « cela ne nous dérange pas d’étudier cette proposition »Sue Surkes, « Le Soudan envisagerait de normaliser ses relations avec Israël », in The Times of Israel, 21 janvier 2016, https://fr.timesofisrael.com/le-soudan-penserait-normaliser-ses-relations-avec-israel/ consulté le 25 novembre 2018. déclare le ministre soudanais des Affaires étrangères, Ibrahim Ghandou.

L’Afrique diversifiant ses partenaires, Israël veut en faire partie et compte sur les pays francophones. On peut alors se demander de quelle façon le rapport de force va évoluer sur l’échiquier politique du continent. Car depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, Tel Aviv et Washington semblent coordonner leur politique en Afrique. Certaines chancelleries africaines considèrent que la clef d’accès à l’Administration Trump se trouve à Tel Aviv. Par exemple, en septembre 2017, les États-Unis, estimant que le Tchad ne coopérait pas assez dans la lutte contre le terrorisme, inscrivent les citoyens tchadiens sur la « liste noire » des indésirables sur leur territoire. Coïncidence ? Presque au même moment, Dore Gold, alors directeur du ministère israélien des Affaires étrangères, se rend à N’Djamena dans la perspective de rétablir les relations diplomatiques entre les deux pays. Deuxième exemple, la décision de Donald Trump de lever, en partie, l’embargo économique contre le Soudan le 6 octobre 2017 et la visite à Khartoum du sous-secrétaire d’État américain John Sullivan en mai 2018 ont abouti à un rapprochement entre le Soudan et Israël. Autrement dit, l’infléchissement des positions soudanaise et tchadienne à l’égard d’Israël est en partie lié à l’influence de Washington. Mais sur le continent, Israël s’est aussi inscrit dans les enjeux de rivalités de coopérations et d’alliances directes en proposant ses services dans tous les domaines : humanitaires, culturels, ou religieux. L’envoi par Tel Aviv de secouristes à Freetown (Sierra Leone) lors du glissement de terrain en 2017 et l’ouverture sur le continent de centres religieux Hokma Bina Da’at (Habad-Sagesse, compréhension savoir : République démocratique du Congo, République du Congo, Nigeria, Angola, Ghana, Kenya, Ouganda, Côte d’Ivoire, Zanzibar) démontrent l’importance grandissante qu’Israël accorde à l’Afrique.

Conclusion

Cette percée diplomatique israélienne en Afrique peut avoir plusieurs conséquences pour la France, puisqu’Israël a la ferme intention de partager son expertise dans les domaines économique et sécuritaire. Or, 70% de la coopération militaire française est destinée à l’Afrique dans des opérations multidimensionnelles et des guerres asymétriques (insurrections, guérillas et terrorisme). Sachant qu’il est difficile de venir à bout de ces conflits sans augmenter les engagements français avec le risque que les forces d’interposition françaises ne soient considérées comme des forces d’occupation, le renforcement des forces nationales et régionales (comme c’est déjà le cas dans le G5 Sahel) pourrait être l’unique solution. Le rétablissement éventuel des relations entre Tel Aviv et les pays du G5 Sahel (Tchad, Niger, Mali, Mauritanie) pourrait sur le plan sécuritaire amener la France à revoir sa stratégie sur le terrain en association avec les Israéliens ou en encourageant (ou non) les États africains à entretenir individuellement des relations sécuritaires renforcées avec Tel Aviv qui, rappelons-le, poursuit son propre agenda diplomatique.

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