Le processus de Désarmement – Démobilisation – Réinsertion (DDR) au Mali : un parcours semé d’embûches
Observatoire du monde arabo-musulman et du Sahel
Anne Savey,
Marc-André Boisvert,
21 décembre 2018
Introduction
Mesure centrale de l’Accord de paix signé en mai et juin 2015 entre le Gouvernement du Mali et les deux coalitions de mouvements signatairesL'Accord, signé en 2015 entre le gouvernement, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), et la Plateforme des mouvements du 14 juin 2014 d'Alger (Plateforme), a pour objectif la réconciliation et la construction d’une paix durable pour mettre définitivement fin au conflit qui a débuté en 2012 dans le nord du Mali. Il prévoit des mesures de réformes et de réconciliation dans 4 domaines : Politico-institutionnel ; Défense et Sécurité ; Développement socio-économique ; Justice, Réconciliation et questions humanitaires. Outre le processus de DDR, l’Accord stipule notamment dans le domaine Défense et Sécurité un « engagement [des parties] à combattre le terrorisme », à mettre en œuvre une réforme du secteur de la sécurité (RSS) inclusive et à créer une police territoriale, trois aspects liés au DDR et largement laissés en jachère., le DDR vise à désarmer les groupes armés en intégrant les ex-combattants dans les forces de sécurité et de défense ou en facilitant leur retour à la vie civile.
Alors que le DDR devait commencer 60 jours après la signature de l’Accord, soit en septembre 2015, c’est trois ans plus tard qu’il débute, puisque la cérémonie de « lancement » a eu lieu le 6 novembre dernier.
Elle a, en outre, été mouvementée, puisque les ex-combattants ont retardé de plusieurs heures son démarrage effectifBaba Ahmed, « Au Lancement officiel du programme DDR, les ex-rebelles posent leurs conditions », 7 Novembre 2018, https://www.jeuneafrique.com/659488/politique/mali-au-lancement-officie…., exigeant des garanties supplémentaires.
Cet épisode a une nouvelle fois illustré les blocages répétés du processus de DDR au Mali, qui s'engage en fait sans échéancier clair sur les étapes à venir.
Le présent texte se propose de faire un état des lieux sur le DDR au Mali, de comprendre les raisons des retards accumulés, et de présenter les obstacles qui restent à surmonter.
Le DDR dans le processus de paix
La question du DDR a été abordée dès les premières négociations de paix. Les Accords préliminaires d’Ouagadougou de 2013Voir le texte des Accords de Ouagadougou : https://maliactu.net/accords-de-ouagadougou-texte-integral/). mentionnent le DDR, sans pour autant en définir les modalités, annonçant des pourparlers sur le sujet. L’Accord de paix d’Alger de 2015Voir le texte des Accords d’Alger : https://maliactu.net/wp-content/uploads/2015/02/ACCORD-POUR-LA-PAIX-ET-… présente des mesures en vue d’un réel désarmement et du redéploiement des Forces de Défense et de sécurité (FDS) au nord du Mali, offrant une liste et un calendrier de mesures. Entre 2015 et 2018, quelques avancées ont été enregistrées sur la préparation des structures d’accompagnement et de mise en œuvre du DDR, tandis que des questions centrales ont été laissées de côté et que la situation sur le terrain a évolué, posant de nouveaux défis.
La mise en place des structures et les mesures de confiance
Si les opérations de DDR n'ont commencé qu’en 2018, les structures, pourtant, étaient prêtes depuis un bon moment. La Commission Nationale de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (CNDDR) a été mise en place : nomination d’un coordinateur national appuyé de vice-coordinateurs issus des mouvements armés, mise en place des structures et bureaux régionauxCinq bureaux étaient prévus au début : Gao, Ménaka, Kidal, Tombouctou et Taoudennit. Alors que de nouveaux conflits apparaissent au centre du Mali, un bureau a été ajouté pour la région de Mopti., embauche et formation du personnel, élaboration de la stratégie. Huit sites de cantonnement ont été construits dans les régions du nord. Parallèlement, les partenaires financiers ont mobilisé US$ 21 millions à travers un Trust FundEnviron US$ 21 millions ont été alloués sur la base d’environ 10 000 participants, dont près de US$ 8 millions pour la construction des huit sites de cantonnement dans le nord du pays en janvier 2018. Selon la MINUSMA, le reste des fonds doit servir à couvrir les frais de prise en charge des combattants (santé, nourriture) ainsi que leur prime de démobilisation (environ US$ 210 par démobilisé)., administré par la MINUSMA.
En parallèle, les « mesures de confiance » prévues par l’Accord, comme conditions préalables au DDR, sont négociées entre les parties avec l’appui de la Médiation et des forces internationales déployées au Mali dans le cadre du CSA (Comité de Suivi de l'Accord), de la CTS (Commission Technique de Sécurité) et sur le terrain.
La principale mesure de confianceCes mesures de confiance, établies selon les critères de 2015, se concentrent sur la situation au nord. La situation au centre n’était pas considérée à l’époque. Les mesures de confiance incluent aussi des patrouilles mixtes faites en dehors du cadre du MOC et la création d’équipes mixtes d’observation et de vérification (EMOV). est la mise en place de patrouilles mixtes entre groupes armés et forces armées maliennes, sous commandement unifié du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), dont la responsabilité est de restaurer la confiance entre les parties, et de sécuriser les sites de cantonnement dédiés au DDR, et ce sans désarmementDans chacun des trois MOC, des quotas seront alloués à chacun des groupes armés et aux représentants des FAMas. Des groupes armés non-signataires seront aussi inclus, avec des quotas moindres.. Après un accord entre les parties en juillet 2016 sur les modalités de mise en place et de déploiement du MOC dans les régions de Gao, Kidal et Tombouctou, incluant en particulier les modalités d’un « DDR accéléré » pour les ex-combattants qui seront intégrés dans les bataillons du MOC, un premier MOC est établi en janvier 2017 à Gao. L'effectif prévu (600 hommes) est étoffé pour intégrer des membres des groupes non-signataires « coopératifs » en plus des groupes signataires et forces gouvernementalesCes groupes sont constitués de différents éléments qui ont rompu avec un groupe signataire ou pris les armes après la signature de l’accord. Ils sont considérés comme « coopératifs », même si leur relation à l’Accord de paix varie, selon les périodes, de l’hostilité à un désir d’inclusion. Un regroupement de certains de ces groupes, la Coordination des Mouvements de l’Entente (CME), a par la suite vu le jour.. L’attentat du 18 janvier 2017Gaelle Laleix, « Un an après l’attaque de Gao, le MOC peine à se relever » 18 janvier 2018 – http://www.rfi.fr/afrique/20180118-mali-an-apres-attaque-gao-moc-peine-relever-al-mourabitoune contre le camp du MOC de Gao a porté un sérieux coup à son déploiement et à son opérationnalisation, notamment en entraînant une reconsidération des mesures de sécurité nécessaires, alors que peu de réflexions avaient été auparavant menées sur la vulnérabilité du MOC aux risques d’attentatsLa question de la sécurisation s’est aussi révélée compliquée sur les deux autres sites. À Tombouctou, les bataillons du MOC subissent des attaques répétées. À Kidal, la sécurité du MOC dépend de la MINUSMA alors que ses membres ne quittent pas le camp.. Les MOC de Tombouctou et Kidal sont finalement établis en mai 2018, après maintes négociations ; ils restent toutefois peu opérationnels et constituent en fait une cible privilégiée des attaquesDans les trois villes où les MOC sont déployés en 2018, seuls quelques membres du MOC sont actifs. À Gao, ils mènent peu de patrouilles dans la ville, et les contingents ont été accusés de vols de voitures, de vols d’armes et de violence. À Tombouctou, plusieurs attaques terroristes et assassinats de membres du MOC ont eu lieu. À Kidal, les éléments ne sont pas encore au complet et ne mènent pas de patrouilles pour le moment..
Le démarrage laborieux du processus
L’accord sur les modalités de déploiement et d’opérationnalisation du MOC stipule que les groupes armés doivent contribuer en armes lourdes, mais ceux-ci s’y refusentLa CMA et la Plateforme argumentent que toutes les armes lourdes sont la propriété personnelle des combattants, y compris les véhicules et armes abandonnés par les Forces armées maliennes (FAMa). Ce point est toujours en suspens. ; la question de la prise en charge des ex-combattants (frais de subsistance, frais médicaux, uniformes, etc.) qui devait être résolue à travers le DDR accéléré et l’intégration accélérée dans les FAMA des ex-combattants membres du MOC n’a pas fait l’objet de progrès entre juillet 2016 et mars 2018. Cette situation illustre les retards accumulés à cause d’engagements non tenus ou de défaut de concrétisation d’avancées formalisées sur le papier.
Les délais supplémentaires afférents ont également un coût. Un an et demi de retard pour le déploiement des MOC engendre d’autres délais et blocages : un nouvel appel aux bailleurs a dû être fait alors que les MOC sont entrés en grève en janvier 2018 devant la diminution de leurs allocations suite à l’épuisement des fondsLe gouvernement s’était engagé à prendre en charge l’ensemble des frais de subsistance des membres du MOC à partir de janvier 2018, alors que le financement des bailleurs devait cesser. Il a toutefois refusé de payer l'entièreté des sommes nécessaires, de sorte que les membres du MOC ont vu leur prime mensuelle coupée de moitié. Une solution a finalement été trouvée, financée par les bailleurs..
2018 : la relance du processus
Une Feuille de route, signée en mars 2018, après deux mois de négociations, entre le gouvernement, la CMA et la Plateforme, met en place un nouvel échéancier des actions liées au processus de paix, celles qui doivent être adoptées ou réalisées avant les élections présidentielles, et celles qui seront mises en œuvre après les élections. Cette feuille de route marque une relance du processus, tandis que les parties signataires préparent les élections présidentielles et font face à de multiples pressions internationales (renouvellement du mandat de la Minusma, nomination d’un observateur indépendant, établissement d’un régime de sanction onusien, etc.). Ces deux facteurs appellent à des avancées, notamment sur l’opérationnalisation des MOC, l’avancement du processus de DDR et sur la question de la sécurisation du vote dans certaines zones du nord par les groupes armés.
La feuille de route prévoyait le déploiement complet des MOC à Tombouctou et Kidal pour mars 2018, l'enregistrement des ex-combattants pour le DDR pour avril 2018Le 14 septembre, la CNDDR annonce avoir reçu et traité tous les registres de combattants en provenance des groupes armés., et le regroupement des ex-combattants pour le DDR accéléré pour août 2018. Aucune de ces dates n'a été respectée : le déploiement des MOC a été effectif en mai, l'enregistrement des ex-combattants en septembre et le regroupement des ex-combattants pour le DDR accéléré en novembre. Mais des concertations sont relancées et des avancées sur certains aspects enregistrées. Dès mars 2018, la CNDDR multiplie les remises de registres aux groupes armés. Face aux problèmes sur le terrain, les membres de la CNDDR, y compris son président, Zahabi Ould Sidi Mohamed, visitent les régions pour faire lever les barrières et renforcer la confiance sur le terrain. À ce moment, aucun quota n’est déterminé pour les groupes armés, laissant un flou sur la capacité d’absorption pour l’intégration ou la démobilisation.
Alors qu’une étude de la Banque mondiale estimait qu’environ 10 000 combattants devraient être désarmés, le nombre de combattants enregistrés atteint 32 000.Voir l’étude de la Banque Mondiale : http://projects.worldbank.org/P157233?lang=en Cette inflation est en partie liée à la stratégie d’apaisement de la CNDDR. Des groupes non-signataires et au moins un groupe non-armé, la Force GLa Force G est une alliance de trois organisations de la société civile regroupant des jeunes de Gao et qui visent à patrouiller dans leur communauté., ont reçu des registres. La CNDDR n’a donc pas tranché, jusqu'à présent, sur les qualifications nécessaires pour être reconnu comme combattant, acceptant l’inscription de combattants sans vérification des armes.
Le 6 novembre, une première étape du DDR est lancée à travers le « DDR accéléré ». Cette étape vise la démobilisation des 1 500 ex-combattants du MOC, le profilage des candidats et l’enregistrement de leurs armes, avant leur intégration et mise à disposition du MOC selon les modalités établies en juin 2016. À la fin du DDR accéléré, les éléments resteront sous commandement conjoint du MOC, mais seront pris en charge aux mêmes conditions que les membres des FAMAs. Il n’est pas certain que le MOC réussisse à remplir une de ses vocations initiales, sécuriser les sites de cantonnement du DDR. À Gao, le DDR accéléré s'est achevé le 26 novembre avec 515 inscrits, dont seulement 4 ex-combattants choisissant le retour à la vie civile. Le processus est toujours en cours à Tombouctou et Kidal.
Pour le moment, il n’y a pas de date prévue pour entamer ce qui devrait être la prochaine étape, le rappel des « déserteurs » des FAMAs. Il en est de même pour les candidats au DDR enregistrés.
L'origine des retards : les problèmes posés par la mise en œuvre du DDR
Les retards du DDR sont liés au processus de paix et à l’absence d’avancées concrètes. À chaque étape du DDR, l’absence de confiance entre les parties entraîne des délais. Le gouvernement met la pression sur le DDR. Mais, en revenant constamment sur ses engagements, notamment dans la prise en charge du MOC, et en retardant les réformes institutionnelles, il mine lui-même la confiance des signataires. De leur côté, les mouvements armés exigent davantage de garanties sur la décentralisation et le développement du Nord en retour de leur participation à l’avancement des mesures de confiance en matière de sécurité et de défense, utilisant le DDR comme levier de négociation et gardant les éléments les plus fidèles près d’eux.
La dégradation de la situation sur le terrain a créé des obstacles à l’établissement des mesures de confiance et au processus de DDR. Sur le terrain, des combats sporadiques entre CMA et Plateforme ont alimenté les lenteurs du processus et les réticences des groupesDes combats ont eu lieu dans les régions de Kidal et Gao en 2015, 2016 et 2017. Des rencontres à Anéfis (une première en octobre 2015, puis une seconde en octobre 2017) ont permis une cessation des hostilités, tout en interrogeant sur les dimensions locales et les « zones grises » du processus de paix..
Plusieurs retards sont dus à la renégociation constante du processus, notamment avec la multiplication des groupes armés. La présence au sein du DDR de groupes qui ne participent pas au CSA et qui ne se reconnaissent pas dans la Plateforme et dans la CMA crée un processus à deux vitesses, dans lequel le DDR devient une fin en soi, plutôt qu’un moyen pour arriver à une paix durable. En mars 2018, ces groupes armés ont été sommés d’enregistrer leurs membres sous l’une des deux coalitions de mouvements signataires de l’Accord. Ils ont refusé cette affiliation forcée, laissant planer le doute sur la manière dont ils seront intégrés à un processus qui a été défini en fonction de la logique d’un conflit qui a évolué depuis lors, notamment s'agissant de la question des quotas qui seront attribués.
La multiplication des attaques terroristes à l’encontre des représentants de l’État malien et des forces internationales crée aussi des délais importants, alors que tous sont devenus une cible. Les normes sécuritaires des sites de cantonnement construits sont devenues désuètes devant les nouvelles menaces, entraînant des coûts et des travaux supplémentaires. Toute la stratégie du DDR, incluant la sécurisation des sites de cantonnements par le MOC, a donc dû être reconsidérée.
Les défis à venir
Le DDR accéléré était la partie facile de la démarche, puisqu'il concernait des combattants déjà identifiés et qui, depuis longtemps, avaient la certitude d’une éventuelle intégration.
Les vrais défis commencent en fait maintenant.
D’abord, il faudra gérer les attentes de près de 32 000 personnes qui, parce que leur nom apparaît dans un registre, se voient déjà incluses dans le processusPour les 32 000 combattants, la CNDDR a répertorié, au 18 septembre 2018 : 5 943 pistolets semi-automatiques, 3 736 carabines, 990 mitrailleuses, 473 pistolets, 225 roquettes, 490 armes lourdes, 6 missiles 122,4 mm, 39 IED, 3 177 grenades, 201 obus, 85 790 munitions de petit calibre.. Si la question a été abordée par les différents partenaires, pour le moment, personne ne sait comment identifier les « vrais » combattants. À Gao ou à Sévaré, plusieurs jeunes ont déjà payé entre 5 000 à 50 000 FCFA pour être intégrés à des groupes. Que leur inscription soit frauduleuse ou une tentative d’assurer leur avenir économique, le processus de sélection, avant même de rejoindre les activités de DDR, fera des insatisfaits, même si des critères de sélection ont été établis et rendus publics (appartenance à une unité combattante d’un mouvement signataire, expérience, âge limite des grades, ne pas être sous enquête judiciaire). Et il faudra les gérer.
Ensuite, un défi important qui devra être relevé est l’attribution des rangs et des avantages afférents, un des grands échecs des programmes de DDR de 1996 et 2006 au Mali. À cette époque, la désignation du rang des intégrés s’était faite sans transparence et de manière non inclusive : les décisions avaient été prises en interne et avec des règles jugées aléatoires pour les ex-combattants, mais aussi pour leurs nouveaux collègues des forces armées. Par la suite, les intégrés ont dénoncé à plusieurs reprises une discrimination en termes de progression de carrière. Les frustrations liées au plan de carrière, notamment le sentiment pour les intégrés d’être marginalisés, ont laissé un sentiment amer, entraînant la désertion de plusieurs d’entre eux lors des évènements de 2012. Ces déserteurs, qui ont combattu auprès des groupes armés, réclament des arriérés de salaires, d’attribution de rang et de privilèges de retraite. Aujourd’hui, les modalités d’attribution des rangs des nouveaux ex-combattants restent imprécises. Dans les registres, plusieurs ex-combattants ont déclaré un rang, sans que celui-ci soit confirmé par les groupes armés ou par une expérience de combat avérée – question qui a été litigieuse dans les MOC.
Un autre défi reste la capacité d’absorption des forces de sécurité. Les FAMAs ont commencé un travail de réflexion, mais on ne sait toujours pas comment les autres corps (gendarmerie, protection des eaux et forêts, douanes, etc.) pourront inclure des ex-combattants. L’absence de quotasDans la plupart des programmes de DDR, des quotas sont préétablis, permettant d’estimer la capacité d’intégration des forces de sécurité. Pour le Mali, il n’y en a pas pour le moment, alors que l’Accord de Paix, dans son article 20, mentionne simplement que l’intégration se fera « au fur et à mesure du cantonnement ». définis rend la question encore plus complexe. Les intégrations ont un coût et il est difficile pour le moment pour chacune de ces institutions de s’y préparer sans avoir un chiffre. Mais, au-delà des questions budgétaires, il faut aussi que les différents corps de sécurité préparent une stratégie pour éviter les échecs des années 1990. Le Pacte National de 1992, qui a mené à la Flamme de la Paix, avait misé sur des politiques où les intégrés sont restés dans des unités spéciales dédiées à la sécurisation du nord, minant la cohésion des intégrés. Les institutions réceptrices doivent mieux se préparer pour éviter les frustrations du passé et les tensions inévitables entre anciens ennemis. Il faut donc une stratégie de réforme du secteur de sécurité adéquate qui permettra de solidifier la cohésion entre éléments réunis, mais aussi des procédures claires et une justice militaire pour une plus grande transparence dans la gestion des conflits entre futurs camarades.
Mis à part ces questions institutionnelles, il est indispensable de s’attaquer au sentiment de marginalisation des ex-combattants. Les ressortissants du nord doivent trouver leur place dans une réforme du secteur de la sécurité (RSS), tout comme dans la nouvelle police territorialeLes Accords de Paix stipulent la création d’une police territoriale, qui sera placée sous l’autorité des collectivités territoriales. Les discussions à ce sujet ont peu avancé.. Alors que toujours peu de ressortissants du nord sont admis au Prytanée militaire de Kati, à l’école des sous-officiers de Koulikoro ou à l’École militaire interarmes, seule une politique de discrimination positive permettra une réelle intégration. Similairement, l’accompagnement des démobilisés doit se poursuivre, pour éviter, comme lors de l’expérience des années 1990, que l’échec de leur réinsertion économique ne les amène à migrer ou à reprendre les armes.
Finalement, plusieurs questions demeurent au sein même des FDS maliennes. Alors que s’enchaînent les formations et les partenariats pour les renforcer, il reste tout de même une crise de confiance dans les rangs, liés aux échecs du nord et aux conflits internes issus du coup d’État en 2012. Les tensions sont encore plus vives pour ce qui a trait à la réintégration des déserteurs. Ces institutions en reconstructions restent fragiles : le succès du DDR dépendra aussi de la capacité des forces de sécurité à remonter la pente.
Le processus de Désarmement – Démobilisation – Réinsertion (DDR) au Mali : un parcours semé d’embûches
Anne Savey, Marc-André Boisvert, 21 décembre 2018