L’importance du G7 et le rôle du Japon dans un monde multipolaire

Mayu Watanabe a obtenu une maîtrise de l’Université de Tokyo en 1997. Elle a rejoint le Japan Forum on International Relations (JFIR) en 2000 et a été nommée Senior Research Fellow en 2007. Pendant cette période, elle s’est spécialisée dans la question du développement des ressources humaines dans le monde et la diplomatie publique. Elle a occupé le poste de vice-présidente du JFIR à partir de 2018 et en est la présidente depuis 2019. Parallèlement, elle est présidente du Global Forum of Japan et vice-présidente par intérim du Council on East Asian Community.

Question 1 : Quel est le but et la pertinence du G7 dans un monde multipolaire ?

Près d’un demi-siècle s’est écoulé depuis le premier sommet du Groupe des Sept (G7), qui s’est tenu au château de Rambouillet, en banlieue parisienne, en 1975. Le G7 est né d’une réunion des ministres des Finances des États-Unis, de l’Allemagne de l’Ouest (RFA), de la France et du Royaume-Uni en 1973, à la suite du « choc Nixon » de réformes économiques aux États-Unis. Au cours des décennies suivantes, le rôle et l’objectif du Groupe ont évolué en réponse à divers changements de la situation internationale. Les représentants personnels des chefs d’État, appelés sherpas (du nom des sherpas du Népal, qui guident les alpinistes sur les sommets de l’Himalaya), se préparent à chaque sommet annuel du G7 en menant des négociations spécifiques et en établissant l’ordre du jour du sommet. Cette préparation méticuleuse est destinée à faciliter la prise de décisions des dirigeants du G7 et l’adoption de mesures appropriées afin de résoudre divers problèmes dans le monde.

Dans le même temps, toutefois, ces négociations préparatoires ont réduit les possibilités pour les chefs d’État de faire entendre leurs positions individuelles, suscitant la critique selon laquelle le G7 aurait perdu de sa substance. Cette situation résulte de l’évolution de la situation mondiale au cours du demi-siècle qui s’est écoulé depuis la création du Groupe. Au cours de cette période, les défis auxquels l’humanité est confrontée sont devenus de plus en plus complexes et imbriqués, dépassant le cadre préexistant de la politique et de l’économie pour inclure des questions telles que la paix et la sécurité, la lutte contre le terrorisme, le développement, l’éducation, la santé, l’environnement et le changement climatique.

Toutefois, comme l’ont souligné de nombreux experts, le G7 ne décide pas lui-même des politiques gouvernementales. Cela s’explique par le fait qu’il n’en n’a pas reçu le pouvoir de la part d’organisations internationales telles que les Nations unies. En outre, contrairement à de nombreux autres forums internationaux, le G7 ne dispose même pas d’un secrétariat ou d’un bureau permanent. Certes, l’importance du G7 était évidente à ses débuts, dans les années 1970 et 1980, puisque les pays du G7 représentaient à eux seuls environ 70 % du PIB mondial (ils en représentent aujourd’hui moins de 50 %). La pertinence du G7 a été remise en question lorsque la Guerre froide a pris fin et qu’il n’était plus nécessaire pour ces nations de rester unies contre l’Union soviétique. Par la suite, le G7 est devenu le G8 à partir de 1998, lorsque la Russie a rejoint le sommet de Birmingham, et est resté dans cette configuration jusqu’en 2014 lorsque la Russie a été retirée du groupe. Au cours de cette série de changements, le G7 n’a cessé d’élargir son cercle avec la réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des Banques centrales du G20 organisée en 1999 en réponse à la crise financière asiatique de 1997 et, plus tard, avec le sommet du G20 de 2008. La multiplication de ces activités a entraîné l’essor de pays émergents tels que les nations BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), qui agissent dans un cadre multinational qui aurait semblé inimaginable il y a une cinquantaine d’années.

Ce développement d’une communauté internationale multipolaire et complexe a transformé le G7 en un forum international très fortement institutionnalisé, radicalement différent de ses formes antérieures. Cela a conduit de nombreux experts à comparer le rôle du G7 dans la communauté internationale d’aujourd’hui à celui, essentiel, d’une tour de contrôle dans un aéroport. Parallèlement, la montée en puissance de pays émergents tels que la Chine et l’Inde a considérablement modifié la dynamique de puissance dans le monde, dont le leadership était auparavant tenu par le Japon, les États-Unis et l’Europe. La question de savoir comment les règles internationales devraient être désormais établies pour former un nouvel ordre international s’impose progressivement à mesure que le contexte dans lequel le G7 évolue devient plus complexe.

Cela soulève la question de l’objectif du G7 à l’avenir. À mesure que des forums internatio­naux tels que le G20 gagnent en importance, certains considèrent que le G7 n’est plus nécessaire, mais j’en doute. Il est vrai que le G20 est devenu une plate-forme importante avec un large éventail de membres qui incluent la Chine et la Russie, deux grandes puissances, et des pays comme l’Arabie saoudite et la Turquie qui ne s’embarrassent pas beaucoup de valeurs démocratiques. Cependant, plus il y a de pays participants et plus les valeurs sont diverses, plus il est difficile de parvenir à un consensus. Ainsi, si le G20 peut compléter le G7, il ne peut pas devenir une entité qui décide de l’avenir de la communauté internationale, en raison d’un manque de valeurs partagées entre les pays membres.

L’intérêt principal du G7 réside dans le fait qu’il s’agit d’un cadre regroupant les principales nations développées qui partagent des valeurs fondamentales telles que la liberté, la démocratie, l’état de droit et les droits de l’Homme. Les valeurs démocratiques auxquelles ces nations sont attachées étant actuellement menacées, c’est précisément maintenant que le G7 doit s’unir pour protéger ces valeurs. Le G7 n’est pas seulement un forum où les chefs d’État échangent leurs points de vue, c’est aussi un lieu où se fait entendre la voix des peuples de chaque pays. Ainsi, à l’avenir, le G7 doit être un forum international qui avance plus rapidement que tout autre pour apporter des solutions aux problèmes mondiaux en constante évolution, tout en se mettant à la place de chaque citoyen. À cette fin, le G7 doit mettre en commun sa maturité pour relever chaque défi auquel la communauté internationale est confrontée, tout en coopérant avec le G20 et d’autres forums pour traiter des questions individuelles et spécifiques. Le G7 peut ainsi continuer à jouer son rôle d’éclaireur dans l’élaboration des politiques internationales et conserver sa raison d’être.

Question 2 : Le concept de « valeurs partagées » est au cœur du discours sur les « intérêts communs » entre les démocraties et au-delà. Quelles sont les valeurs partagées par le G7 ?

Pensons aux intérêts nationaux. Il est difficile de les définir, car ils varient d’un pays à l’autre. Il y a autant de types d’intérêts nationaux qu’il y a de pays. De plus, les intérêts nationaux qu’un pays met en avant peuvent différer en fonction des valeurs du chef d’État du moment. Ces différences peuvent provoquer des tensions et des oppositions avec d’autres pays qui, dans le pire des cas, peuvent mener à la guerre. Le rôle des sherpas, comme mentionné précédemment, est de parvenir à des accords détaillés entre les nations afin d’éviter que ces scénarios catastrophe ne se produisent. La reconnaissance mutuelle de valeurs communes est nécessaire pour parvenir à un consensus sur les questions abordées lors du sommet. L’histoire des nations modernes a été marquée par divers efforts et tentatives pour établir des relations mutuellement bénéfiques en conciliant les différents intérêts nationaux. Aujourd’hui encore, diverses formes d’ordre international ont été établies pour tenter de résoudre ce problème de conciliation des différents intérêts nationaux.

La communauté internationale est un ensemble d’États souverains et, tout au long de l’histoire, il a été normal que les grandes puissances influentes créent des règles dans le cadre du processus de formation d’un ordre international. Par grandes puissances, je n’entends pas les nations, comme la Chine d’aujourd’hui, qui dominent les autres par une puissance militaire et économique écrasante. L’important, c’est plutôt l’universalité des valeurs partagées qui constituent le fondement de l’ordre international. Les nations qui en impulsent la formation doivent avoir le pouvoir diplomatique de diffuser les valeurs universelles de multiples façons pour couvrir les différentes facettes de la communauté internationale.

L’essence du G7 réside dans le fait qu’il s’agit d’un groupe de nations démocratiques (Japon, Canada, France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni et États-Unis). Le sommet du G7 de Cornouailles, qui s’est tenu au Royaume-Uni en juin 2021, a démontré cette spécificité avec une clarté particulière. D’une part, la déclaration des dirigeants a mentionné pour la première fois les relations entre la Chine continentale et Taïwan, en soulignant l’importance de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan et en promouvant une résolution pacifique. Le sommet a également abouti à un accord sur le projet 3BW (Build Back Better World) visant à fournir un soutien infrastructurel à grande échelle dans les pays en développement tout en limitant les projets « Belt and Road » de la Chine. En outre, la Corée du Sud, l’Australie, l’Inde et l’Afrique du Sud ont été conviées à ce sommet, et le Premier ministre britannique Boris Johnson a donné le nom de « D11 » (Democratic Eleven) à ce groupe composé du G7 et de ces quatre pays, faisant ainsi un geste pour élargir le camp des nations démocratiques.

Ces activités visent à contenir les velléités de plus en plus nettement hégémoniques de la Chine, mais elles peuvent aussi être considérées à juste titre comme un renouveau du G7. La montée en puissance des pays émergents comme la Chine et d’autres facteurs ont remis en question la finalité du G7 et ont même conduit à ce qu’il soit parfois qualifié de « club des pays riches ». Pourtant, la communauté internationale a préservé sa stabilité et sa prospérité dans le cadre d’un ordre international fondé sur des valeurs communes, préservé depuis la fin de la Guerre froide par ces sept pays d’influence globale. Il est avant tout crucial que le G7 continue à produire des résultats réguliers par le biais d’efforts visant à l’universalisation des valeurs partagées.

Question 3 : Le G7 est traditionnellement un format important pour Tokyo. Quel est le rôle du Japon au sein du G7 ?

Mon observation des sommets du G7 au cours des dernières années m’a donné l’impression que ce que l’on pourrait appeler un schéma « G7 contre Chine » est en train de s’établir au sein du Groupe. Alors que le G7 a montré une certaine volonté de coopérer avec la Chine dans les domaines où les intérêts se chevauchent, le président américain Joe Biden a présenté les relations entre les États-Unis et la Chine en se conformant à ce schéma d’oppo­sition lors du sommet G7 de 2021, et le Premier ministre britannique Johnson a cherché à élargir le « camp » démocratique en soutenant le D11. Comme indiqué plus haut, la déclara­tion des dirigeants comprenait pour la première fois une déclaration définitive sur Taïwan, donnant à ce schéma « G7 contre Chine » une importance accrue. En outre, une réunion avec les diplomates de l’ASEAN a été prévue en décembre au Royaume-Uni en même temps que la réunion des ministres des Affaires étrangères et du Développement du G7.

La prudence s’impose toutefois, car de telles initiatives pourraient être interprétées comme signifiant que les pays du G7 sont incapables de rivaliser avec la Chine s’ils ne sont pas unis. Or, les nations du G7 ne partagent pas une position uniforme contre la Chine ; alors que les États-Unis, le Japon et le Royaume-Uni se sentent particulièrement menacés, l’Allemagne et la France maintiennent une position prudente, pour différentes raisons. Dans le cas de l’Allemagne, le poids des relations économiques est un facteur d’explication. Pour la France, ce serait plutôt l’ambition d’autonomie stratégique.

Dans ces conditions, quel rôle le Japon est-il appelé à jouer au sein du G7 ? Le Japon est membre du G7 depuis le sommet de Rambouillet en 1975 et s’efforce de contribuer à la formation d’un ordre international stable en tant que l’une des principales nations démocratiques libérales du monde. Aujourd’hui, alors que le G7 est de plus en plus uni dans son opposition à la Chine, le Japon doit affiner sa capacité à conclure des accords avec d’autres pays et à élaborer des politiques diplomatiques imaginatives répondant aux préoccupations mondiales et transcendant les intérêts nationaux. À cette fin, il importe d’abord de mieux comprendre la situation stratégique en Asie. Alors que la Chine continue de renforcer sa puissance militaire et économique, les perceptions d’elle varient d’un pays à l’autre, en fonction de la distance physique ou culturelle et de la force des liens politiques et économiques. Le Japon est le seul pays asiatique du G7, et c’est un voisin de la Chine. Pour cette raison, le G7 attend beaucoup du rôle du Japon en tant que fenêtre sur l’Asie. Afin de répondre à ces attentes, il doit contribuer à faire comprendre les perceptions asiatiques, tout en utilisant ses capacités de négociation spécifiques pour soutenir les discussions du G7. Le Japon a également le devoir urgent de développer des politiques dans une perspective inclusive englobant l’Asie, y compris l’Inde, et la région du Pacifique.

Par ailleurs, l’année dernière, le Japan Forum on International Relations a créé un groupe d’étude intitulé « La puissance hybride du Japon ». Ce groupe d’étude a discuté de la manière d’améliorer la capacité d’influence de la « marque Japon » en explorant la meilleure façon d’exercer une « puissance hybride ». Cette « puissance hybride » est déterminée par l’introduction de critères non quantitatifs de puissance nationale. J’ai participé à ce projet, en utilisant notre réseau mondial de groupes de réflexion, pour mener des recherches sur les moyens possibles de soutenir la diplomatie japonaise en utilisant le format track two.

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