Le renouveau stratégique de l’Arctique

La France accueille à Paris, du 30 novembre au 11 décembre 2015, la 21ème conférence des Parties (COP21) de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Un premier article paru dans Défense&Industries n°1 (octobre 2014) traitait des conséquences possibles pour l’industrie de défense de la COP21 et des politiques climatiques européennes. A six semaines de la Conférence Climat de Paris, cet article entend illustrer concrètement les impacts multisectoriels des changements climatiques en prenant l’exemple de l’Arctique, et présenter les évènements organisés par la FRS dans le cadre de la COP21.

L’Arctique fait l’objet d’un fort regain d’intérêt depuis le milieu des années 2000. Cette attractivité renouvelée, aux dimensions économiques, commerciales, sécuritaires et environnementales pour l’instant, résulte d’un réchauffement climatique en Arctique qui y est à la fois plus rapide (depuis 1966), et plus élevé en valeur absolue (depuis 2004) que le réchauffement moyen du GlobeCenter for Climate and Energy Solutions, Climate Change and International Security: The Arctic as a Bellwether, may 2012. Ces dernières années ont marqué des records de retrait de la surface de banquise en été (septembre 2012National Snow and Ice Data Center (NSIDC ; US) http://nsidc.org/arcticseaicenews avec 3,41 millions de km2 soit environ la moitié de la moyenne de surface de banquise estivale entre 1979 et 2000) et en hiver (mars 2015, avec 14,3 millions de km2). Outre ces diminutions de surface, l’âge moyen ainsi que l’épaisseur de la banquise se réduisent également (épaisseur de la glace divisée par deux entre 2003 et 2011). Si les scientifiques ne s’accordent pas pour l’instant sur l’évolution future de ce phénomène, il existe toutefois une forte probabilité pour que l’on assiste à une disparition saisonnière de la banquise avant le milieu du 21ème siècle, ce qui pourrait permettre le développement d’activités jusque-là très limitées, voire épisodiques.

Source d’intérêts et de représentations potentiellement concurrents, l’aire arctique devient également un nouveau théâtre à des affirmations de puissance par des États riverains ou extérieurs à cette zone. Outre les huit pays se qualifiant d’« arctiques » (ou G8 : Canada, États-Unis, Russie, Norvège, Danemark, Islande, Suède et Finlande), la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Inde, l’Union européenne et plusieurs de ses États-membres dont la France, ont notamment manifesté un intérêt pour les questions arctiques.

Des perspectives économiques sous contraintes

On estime actuellement (sur la base de modèles probabilistes, contestés par exemple par des sondages exploratoires menés par Total au Groenland) que la région recèle plus de 22% des réserves mondiales d’hydrocarbures non encore découvertes mais considérées comme techniquement exploitablesUS Geological Survey, Circum-Arctic Resource Appraisal: Estimates of Undiscovered Oil and Gas North of the Arctic Circle, USGS Fact Sheet 2008-3049, 4 p. http://pubs.usgs.gov/fs/2008/3049/fs2008-3049.pdf. Les hydrocarbures présents en Arctique pourraient cependant ne pas constituer un enjeu interétatique majeur. En effet, « les zones potentiellement aptes à contenir des hydro­carbures en Arctique se trouvent à 95% à l’intérieur de la zone territoriale des 200 milles marins »Yves Mathieu, Les réserves en hydrocarbures de l’Arctique, Institut français du Pétrole, octobre 2007 http://www.ifpenergiesnouvelles.fr/espace-decouverte/tous-les-zooms/les-reserves-en-hydrocarbures-de-l-arctique (les Zones économiques exclusives) des États riverains du pôle Nord. De plus, si l’Arctique constitue un terrain de prospection prometteur, plusieurs arguments réduisent les perspectives d’une exploitation réelle à l’horizon de travail de l’Observatoire (25 à 30 ans au maximum) : conditions climatiques et météorologiques, risques d’exploitation, coûts d’exploitation, protection de l’environnement, découverte d’hydrocarbures dans d’autres régions du monde…

La diminution des glaces d’été et des glaces permanentes conduit à rendre la Route maritime du nord (nord de la Russie) et le Passage du nord-ouest (nord de l’Amérique) plus accessibles, et à raccourcir le parcours entre ports de départs et de destination situés au nord de l’hémisphère nord. Toutefois, la réduction de la distance n’est qu’un des éléments de choix d’un trajet maritime, et il existe des obstacles significatifs à la transformation de ces routes en axes commerciaux majeursCf. Alexandre Taithe, avec Isabelle Facon, Patrick Hébrard, Bruno Tertrais, Arctique : perspectives stratégiques et militaires, Fondation pour la recherche stratégique, coll. Recherches et Documents, novembre 2013 - 61 p.. À un horizon étendu pour la prospective de défense (25 à 30 ans), l’Arctique devrait être davantage une destination (desserte des populations locales, transport de matières premières extraites en Arctique, tourisme) qu’un ensemble d’axes majeurs de transit maritime.

Des enjeux juridiques

Les questions juridiques, qui découlent de la délimitation des zones maritimes et du régime juridique qui y affère, mettent en exergue deux enjeux majeurs en Arctique : la libre circulation des embarcations étrangères et l’exploitation des fonds marins (sol et sous-sol).

Le récent accord (16 juillet 2015) entre les États-Unis, la Russie, le Canada, la Norvège et le Danemark (G5), visant à réglementer la pêche commerciale dans la partie internationale de l’océan Arctique, illustre l’intrication de plusieurs questions et enjeux juridiques : maintien d’une partie internationale dans l’océan Arctique face aux revendications d’extension des plateaux continentaux respectifs, restrictions aux activités commerciales imposées par le G5, tentation d’une appropriation de fait par le G5…

Le risque d’une gouvernance confisquée par les États dits arctiques

Les organisations et institutions multilatérales, plus ou moins formalisées et dont les compétences ont un lien au moins en partie avec l’Arctique, sont nombreuses : le Conseil arctique, le Conseil nordique (1952), le Conseil euro-arctique de Barents (1993), la Coopération militaro-environnementale dans l’Arctique (1996), la Dimension nordique de l’UE, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), ou encore le Conseil OTAN-Russie.

Outre le fait qu’il a été le cadre à des accords entre États riverains de l’Arctique (accord Search and Rescue en 2011, et accord de 2013 sur la prévention et la réponse aux pollutions par les hydrocarbures), le Conseil arctique est le principal lieu d’expression des positions diplomatiques et politiques. Ce point concerne également les pays ou organisations régionales aspirant à une légitimité polaire ou arctique (notamment parmi les derniers États ayant obtenu le statut d’Observateur, la Chine, l’Inde, le Japon ou la Corée du Sud).

Si cette instance bénéficie d’une préséance de gouvernance, plus symbolique que juridique, l’enjeu plus fondamental est la garantie dans le futur du libre accès à cet océan pour les États non-riverains, et d’éviter une appropriation de fait par un groupe de pays dits arctiques (G5 ou G8).

L’Arctique : un enjeu pour la Défense ?

L’Arctique n’est pas intégré à l’« arc de crise » défini dans le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale (LBDSN)L’Arctique est mentionné trois fois dans le LBSDN de 2013 (deux fois dans le Chapitre 3 « L’état du monde », Sous-partie D « Les menaces et les risques amplifiés par la mondialisation » ; et une fois dans le Chapitre 4 « les priorités stratégiques » à propos de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. de 2013. Cependant, la France entend disposer de la capacité de se déployer à un juste niveau dans l’Arctique parce que « l’Arctique est devenu un enjeu stratégique majeur. Plusieurs États ont renforcé leur capacité militaire opérationnelle afin d’affirmer leur souveraineté sur cette zone neutre. Compte tenu de ses engagements internationaux et de ses intérêts propres, la France ne peut ignorer ce nouvel enjeu »Ibid..

Membre de l’Alliance Atlantique, la France pourrait se trouver liée par ses engagements en cas de crise. Avec quatre États riverains membres de son organisation et plus de 50 % de la zone sous sa responsabilité, l’OTAN semble, en théorie et malgré la réticence de plusieurs pays riverains, bien placée pour jouer un rôle important en Arctique.

La FRS remettra en juin 2016 une étude au ministère de la Défense sur les potentielles expressions de besoins capacitaires en milieu arctique des forces françaises, intervenant seules ou en coalition.

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