Activités sur les sites d’essais nucléaires

Le 5 octobre 2023, V. Poutine a annoncé dans son discours au Valdai Club envisager une dé-ratification du TICE, afin de se mettre au niveau des États-Unis, qui ont signé le Traité en 1996 sans jamais le ratifier« Заседание дискуссионного клуба «Валдай» » (Réunion du club de discussion "Valdai"), Kremlin.ru, 5 octobre 2023.. La Douma a été saisie de la question la semaine suivante. 439 et 450 députés se sont déclarés co-auteurs de la proposition de loi avant son examen officiel à la Chambre, dans l’optique de mettre fin à ce qui est décrit comme un déséquilibre avec Washington. La loi a été adoptée le 16 octobre 2023« State Duma passes law on withdrawal of CTBT ratification », TASS, 16 octobre 2023.. Selon le texte de la loi et des clarifications apportées par S. Ryabkov, la Russie continuera cependant de respecter le TICE et en particulier de participer activement au système de surveillance internationalElena Chernenko, « Монолит под ключ » (Monolithe clé en main), Kommersant, 14 octobre 2023.. Logiquement, le secrétaire exécutif du TICE s’est ému de ces développementsStatement from Dr. Robert Floyd Executive Secretary of the Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty Organization Vienna, Austria, OTICE, 9 octobre 2023., qui interviennent dans un contexte de préoccupations globales d’une hypothétique reprise des essais nucléaires, en Russie mais aussi en Chine.

En septembre 2023, les experts d’Arms Control Wonk ont publié une analyse remarquée sur l’identification d’activités sur les sites d’essais nucléaires américains, russes et chinoisJeffrey Lewis, « Nuclear Test Sites Are Too Damn Busy », Arms Control Wonk, 23 septembre 2023.. Ces analyses, basées sur l’examen d’imagerie satellitaire commerciale, ont été largement reprises dans la presse (exclusivité de CNN)Eric Cheung, Brad Lendon et Ivan Watson, « Exclusive: Satellite images show increased activity at nuclear test sites in Russia, China and US », CNN, 23 septembre 2023. pour alimenter les craintes d’une reprise des essais nucléaires par l’un de ces trois pays.

Concernant la Russie, le dernier site ayant été utilisé pour la réalisation d’essais nucléaires est celui de Nouvelle-Zemble (ou Novaya Zemlya), une île située dans l’océan Arctique, à la jonction entre la mer de Barents et la mer de Kara. Le site a été utilisé pour conduire 85 essais atmosphériques entre 1957 et 1962 et 39 essais souterrains entre 1964 et 1990Vitaly I. Khalturin, Tatyana G. Rautian, Paul G. Richards et William S. Leith, « A Review of Nuclear Testing by the Soviet Union at Novaya Zemlya, 1955-1990 », Science and Global Security, vol. 13, n°1–42, 2005.. Après cette date, le site est resté opérationnel pour la réalisation d’essais hydronucléaires, qui visent à examiner la fiabilité des matières nucléaires déployées dans les armes nucléaires russesMichael Jasinski, Cristina Chuen et Charles Ferguson, « Russia: Of truth and testing », Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 58, n°5, octobre 2022.. Ces derniers impliquent l’explosion de matière fissile, mais la masse critique n’est pas maintenue suffisamment longtemps pour obtenir un dégagement important d’énergie. Ils sont néanmoins interdits par le TICE qui prohibe toute « explosion nucléaire »Emmanuelle Maitre, « Accusations américaines de non-respect du TICE », Bulletin n°66, Observatoire de la dissuasion, FRS, juin 2019..

Suite à la signature par la Russie du TICE, les expérimentations menées sur le site de Nouvelle-Zemble ont été qualifiées par le gouvernement d’hydrodynamiques. À l’inverse des essais hydro-nucléaires, ces explosions n’utilisent pas de matières fissiles, mais des isotopes tels que l’uranium-238 ou le plutonium-242, et ne produisent donc pas d’explosion nucléaire. Étant sous-critiques, ces expérimentations sont autorisées par le TICE. Ces essais permettent notamment de comprendre les évolutions des armes au cours du temps, de mesurer l’efficacité des systèmes d’explosifs et de manière générale d’observer le phénomène d’implosion au sein du système primaire. De telles expérimentations sont également menées par les États-Unis, entre autres.

Les analyses de l’été 2023 montrent de nouvelles constructions en cours sur l’île, au niveau de la base Severny, qui sert de centre administratif et résidentiel. Les chercheurs du Middlebury Institute notent que cela pourrait être le signe de l’arrivée de nouveaux personnels sur place, potentiellement pour conduire de nouvelles activités. L’observatoire satellitaire entre 2021 et 2023 a également permis de déceler le creusement de nouveaux tunnels, près des zones où des essais ont eu lieu avant 1990. Ces développements sont à mettre en parallèle des gestes politiques concernant une potentielle reprise des essais nucléaires, avec une visite du ministre de la Défense en Nouvelle-Zemble en août 2023« Шойгу посетил отдаленные арктические гарнизоны СФ и совершил облет Центрального полигона » [Choïgou a visité les garnisons arctiques isolées de la Flotte du Nord et a survolé le terrain d'entraînement central], TASS, 12 août 2023.

Concernant la Chine, le site surveillé est celui de Lop Nor, dans le Xinjiang, où 45 essais nucléaires ont été réalisés entre 1964 et 1996. Depuis 2020, le Département d’État constate un fort niveau d’activité sur le site, ce qui a interrogé sur la robustesse de l’engagement chinois à ne pas réaliser d’essai nucléaire dans le moyen et long termeValérie Niquet, « La Chine et les essais nucléaires de faible intensité : nouvelles questions ? », Bulletin n°75, Observatoire de la dissuasion, FRS, avril 2020.. Les analyses récentes montrent là encore des travaux en cours sur la base administrative et sur les bâtiments de soutien. Des excavations se poursuivent depuis plusieurs années autour de tunnels souterrains. Ces informations sont néanmoins insuffisantes pour conclure que la Chine maintient le site en condition opérationnelle pour d’éventuels essais nucléaires, ou qu’il s’agit de l’utiliser pour des expérimentations sous-critiques autorisées dans le cadre du TICEJeffrey Lewis et Anne Pellegrino, « Renewed Nuclear Testing In China? », Arms Control Wonk Podcast, 22 mai 2020..

L’intérêt de cette analyse est de montrer que des développements analogues sont observables sur le site d’essai nucléaire américain du Nevada, sans qu’on doive pour autant en conclure que Washington ait pris la décision de conduire un essai nucléaire dans le futur proche. En particulier, l’observatoire d’images permet de déceler des opérations de forage et la construction d’espaces supplémentaires de laboratoires souterrains. Bien que les États-Unis publient des informations sur la nature des activités conduites sur le site, et insistent sur le caractère sous-critique des expérimentations, les chercheurs de Monterey notent que cet affairement autour des anciens sites d’essai peut alimenter des suspicions dans un contexte de tensions. Ryabkov a d’ailleurs dénoncé les activités américainesAndrew Oborn, « Russia accuses US of nuclear testing site activity, says it won't test unless US does », Reuters, 10 octobre 2023., dans un contexte d’agitation médiatique diffusant des informations erronéesHans Kristensen, Twitter, 21 octobre 2023.. En particulier, les trois États pourraient se sentir obligés de faire en sorte que leur site d’essai soit toujours prêt à procéder à un tir, « en riposte » à un essai nucléaire adverse, entretenant ainsi une spirale négative de défiance.

Télécharger le bulletin au format PDF