Annie Jacobsen, Nuclear War. A Scenario, Dutton, 2024

Salué par la critique aux États-Unis, l’ouvrage de Mme Jacobsen est unique en son genre. Il relève à la fois de la fiction et du documentaire, avec de nombreuses références techniques présentées sous la forme d’encadrés ou d’inserts. La prose est sèche, les personnages peu détaillés, mais l’aspect fictionnel du livre n’est là qu’en support de la description, en 400 pages, des 72 minutes qui séparent, dans son scénario, la paix de la destruction totale.

Ce scénario soulève de multiples questionnements. Tout commence par un tir de deux missiles nord-coréens sur les États-Unis. L’attaque est ce que l’on appelle dans le domaine militaire un « coup de tonnerre dans un ciel bleu », sans qu’aucune crise ou événement l’ait laissé prévoir. Kim Jong Il, ou son successeur, serait-il susceptible de commettre un tel acte ? Cela supposerait qu’il soit suicidaire. Or rien dans le comportement des dirigeants nord-coréens, depuis la fondation de la République démocratique et populaire de Corée, ne laisse supposer que ce soit le cas. On dit souvent que la dissuasion ne peut pas fonctionner face à un « fou ». C’est sans doute vrai, mais les dirigeants concernés ne sont jamais « fous » : ils ont leur propre rationalité. Tout l’enjeu consiste à la comprendre. Mais s’il voulait porter un coup mortel à l’Amérique, pourquoi deux missiles seulement, sachant qu’il y aurait une probabilité non négligeable qu’au moins l’un des deux soit intercepté ?

L’enchaînement des faits pose tout autant question. Les défenses antimissiles balistiques américaines, pourtant prévues justement pour intercepter une poignée de missiles nord-coréens, ne font preuve d’absolument aucune efficacité.

Voyant arriver les missiles en direction du territoire continental américain, le président prend deux décisions surprenantes. La première est de riposter immédiatement, sans même attendre la certitude que ce sont bien des missiles nucléaires, que c’est bien l’Amérique qui va être frappée, et que les armes exploseront comme prévu. C’est ce que l’on appelle le « lancement sur alerte » (launch on warning). Or si cette option est techniquement ouverte au président américain – au nom de la maximisation de sa liberté d’action –, la culture stratégique américaine contemporaine suggère au contraire très fortement qu’un président américain attendrait d’être certain que les explosions ont eu lieu pour réagir. La deuxième décision surprenante est que parmi tous les moyens dont le président dispose – missiles sol-sol, aviation, missiles mer-sol –, il privilégie les missiles sol-sol dans le but de réduire au maximum et le plus rapidement possible la capacité de la Corée du Nord à lancer de nouveaux missiles. Or la trajectoire balistique de ces missiles lancés depuis le nord et l’ouest du territoire américain ne peut pas être contrôlée : pour atteindre la Corée du Nord, ils doivent, géographie oblige, survoler le territoire… russe. Et le Président américain n’y est pas allé de main morte : il lance pas moins de 50 de ces missiles contre la petite Corée du Nord, et en sus 8 missiles multi-têtes depuis les SNLE américains dans le Pacifique.

C’est la clé du scénario. Car, bien évidemment, l’administration américaine, président en tête, veut immédiatement prévenir Moscou, afin de couper court à tout malentendu. Or Moscou… ne répond pas. Et, pire, va réagir exactement comme Washington l’a fait, mettant ainsi le feu à la planète. Car ses moyens d’alerte avancée détectent, à tort, plusieurs centaines de missiles dirigés vers la Russie…

Enfin, dans ce scénario, la Chine n’existe pas (les autres puissances nucléaires non plus d'ailleurs).

Nuclear War est au fond davantage un roman qu’un essai. Mais en ayant privilégié la consultation d’experts favorables au désarmement, voire décrédibilisés (M. Ted Postol est présenté dans le livre comme un expert de référence), l’auteur s’expose au reproche de militantisme. Le livre de Mme Jacobsen pose ainsi problème tant sur le plan technique que politique, et le scénario sur lequel il est basé confine à l’absurde.

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