Arsenal chinois : le Pentagone confirme ses estimations
Observatoire de la dissuasion n°114
Emmanuelle Maitre,
décembre 2023
Chaque année, le Pentagone doit fournir au Congrès un rapport sur les capacités militaires chinoises. Les précédentes éditions ont montré que Washington anticipe une forte montée en puissance de l’arsenal nucléaire chinois, avec en particulier la prévision d’un doublement des capacités à l’horizon 2035Emmanuelle Maitre, Rapport du Pentagone sur les capacités militaires chinoises, Bulletin n°104, Observatoire de la dissuasion, décembre 2022..
Le rapport publié en octobre 2023 permet de confirmer ces inquiétudesMilitary and Security Developments Involving the People’s Republic of China, Annual Report to Congress, U.S. Department of Defense, octobre 2023.. Tout d’abord, concernant la période présente, le document fait état d’une augmentation substantielle par rapport à l’année dernière. L’augmentation du nombre de lanceurs d’ICBM est notamment sensible (500 au lieu de 300), ainsi que du nombre de missiles de portée moyenne ou intermédiaire (2000 en cumulé). En particulier, les informations américaines laissent entendre que la construction des nouveaux champs de silos de missiles est « probablement » achevée et que la Chine déploie actuellement des missiles dans ces silos. Il montre que sur les portées moyennes et intermédiaires, plusieurs missiles sont affectés à chaque lanceur, multipliant leurs capacités. Il estime également que la Chine développe « probablement » des « planeurs hypersoniques stratégiques » et des systèmes de bombardement orbital fragmenté (FOBS). Le décompte fait état de 500 armes nucléaires en tout (contre 400 l’année dernière).
Le rapport insiste sur le développement d’infrastructures souterraines, permettant de dissimuler et protéger des systèmes liés au C2, mais aussi des missiles. Le Pentagone estime qu’il existe des milliers de sites souterrains de ce type et que de nouveaux continuent d’être construits, ce qui est en cohérent avec la posture officielle du pays et la volonté de faire en sorte que certaines forces nucléaires survivent à une première frappe.
Parmi d’autres ajouts, l’édition 2023 note que la Chine pourrait s’intéresser au déploiement de missiles intercontinentaux équipés de têtes conventionnelles. Cet intérêt pourrait témoigner d’une volonté d’imiter le programme américain de Prompt Global Strike, longtemps décrié à Beijing. Ce développement refléterait également la volonté chinoise de jouer sur l’ambiguïté en déployant des systèmes pouvant alternativement être équipés de têtes nucléaires ou conventionnelles. A ce titre, le rapport fait part de l’inquiétude américaine face au « co-mingling » (entremêlement) des forces nucléaires et conventionnelles, notant que cette stratégie « pourrait compliquer la dissuasion et la gestion de l’escalade ». Le Pentagone s’alarme en particulier de la confusion qui pourrait intervenir lors d’attaques visant les le système de C2 ou sur les forces de missiles mobiles conventionnels chinois mais ayant pour effet de dégrader les systèmes nucléaires.
Au niveau naval, le rapport annonce que la Chine continue de construire de nouveaux SNLE de la classe Jin. Le Pentagone juge que cela pourrait refléter des retards sur la production de SNLE de nouvelles générations, ou d’une volonté d’accélérer la capacité navale.
De manière prospective, le Pentagone annonce un arsenal de « plus de 1000 armes nucléaires opérationnelles » en 2030, dont la plupart seront déployées à des niveaux d’alerte élevés, et une poursuive de l’effort de modernisation et de développement de l’arsenal jusqu’en 2035 (le nombre de 1500 têtes en 2035, publié l’année dernière, ne figure plus dans l’analyse).