Derrière le concept de garanties négatives de sécurité

Le 4 août 2022, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont publié dans le cadre de la conférence d’examen du TNP un texte commun rappelant leur attachement aux garanties de sécurité octroyées aux États non-dotésP3 Joint Statement on Security Assurances, Joint Statement, Bureau Of International Security And Nonproliferation Nuclear Non-Proliferation Treaty Review Conference, 4 août 2022.. Ce bref document rappelle l’importance de ce sujet dans les discussions qui entourent le TNP mais aussi son caractère relativement controversé.

Les garanties négatives de sécurité sont des engagements des États dotés (EDAN) de ne pas avoir recours à des frappes nucléaires ou des menaces de frappes nucléaires contre des États non-dotés (ENDAN) signataires du TNP. Par opposition, les garanties de sécurité positives engagent les États à venir en assistance à un ENDAN victime d’une attaque nucléaire. Les garanties négatives de sécurité peuvent prendre trois formes. Premièrement, elles peuvent être adoptées dans le contexte multilatéral. Deuxièmement, elles peuvent faire l’objet de déclarations unilatérales. Troisièmement, elles peuvent être exprimées dans le contexte des zones exemptes d’armes nucléaires (ZEAN).

Concernant le premier volet, il n’existe pas aujourd’hui de traité ou de mécanisme multilatéral politiquement contraignant par lequel les EDAN s’engagent sans réserve à ne pas utiliser d’arme nucléaire contre des ENDAN. Pour autant, le sujet a fait l’objet de discussions dans plusieurs enceintes. Ainsi, dès les négociations du TNP, cette question est abordée par le groupe des non-alignés. En 1966, la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) 21/53A demande au Comité des dix-huit puissances sur le désarmement de se pencher sur une proposition par laquelle « les EDAN donneraient l’assurance qu’ils n’utiliseront pas, ou ne menaceront pas d’utiliser, des armes nucléaires contre des ENDAN sur leurs territoires »A/RES/2153(XXI)A-B, Non-proliferation of nuclear weapons, 17 novembre 1966.. Depuis 1990, le Pakistan introduit chaque année une résolution à l’AGNU appelant les EDAN à conclure un accord international garantissant les ENDAN contre l’utilisation ou la menace d’utilisation d’armes nucléaires. La dernière résolution de ce type, adoptée en décembre 2021, a recueilli 126 votes en faveur et 59 absentions (se sont notamment abstenus les EDAN à l’exception de la Chine et les alliés de l’OTAN)Resolution adopted by the General Assembly on 6 December 2021 [on the report of the First Committee (A/76/441, para. 7)] 76/21. Conclusion of effective international arrangements to assure non-nuclear-weapon States against the use or threat of use of nuclear weapons..

Les enceintes spécialisées de l’ONU ont également été saisies de la question. En 1978, la première session spéciale de l’AGNU sur le désarmement appelle à l’adoption de garanties négatives de sécurité, alors que la conférence du désarmement (CD) commence à travailler sur la question en 1980. De 1983 à 1994, un comité ad hoc est constitué pour évoquer cette question. Il se reforme en 1998 sans progresser vers l’adoption d’un texte juridiquement contraignant cependant. Depuis 1999, plusieurs délégations ont souhaité à nouveau travailler sur ce thème à la CD, mais aucun comité ad hoc n’a été reformé.

Néanmoins, en 2018, cinq organes subsidiaires sont créés, dont un portant sur les assurances de sécurité. En juin 2021, un débat thématique a lieu sur la question et grâce à l’accord des États parties sur un programme de travail en 2022, l’organe subsidiaire 4 est créé pour évoquer ce sujet à la CDConférence du désarmement – Organe subsidiaire 4 [NSA] – intervention en séance plénière au nom de la France (Genève 24 mars 2022).. La pertinence d’un traité multilatéral pourrait être examinée dans ce cadre, néanmoins, les multiples blocages qui empêchent la CD de fonctionner normalement rendent la perspective de progrès tangibles peu probables. De plus, les points de vue divergent quant à savoir si ce sujet doit être examiné principalement dans le cadre de la CD ou plutôt dans le contexte du TNP.

Dans les enceintes du TNP, les garanties négatives de sécurité ont en effet également fait l’objet de discussions, en particulier depuis 1995. La New Agenda Coalition remet ainsi régulièrement des propositions de traité lors des Prepcom et Revcon depuis 2003. En 2010, le plan d’action adopté à l’issue de la conférence d’examen comporte trois actions spécifiquement liées aux garanties de sécurité négatives : il appelle les États à mettre en place un mécanisme international efficace traitant de cette question dans le cadre de la CD (Action 7), il appelle les EDAN à respecter les engagements pris antérieurement (Action 8) et à ratifier les protocoles des ZEAN (Action 9)2010 Review Conference of the Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons Final Document, NPT/CONF.2010/50 (Vol. I).

En 2015, les NAM explicitent leur revendication à ce sujet, en estimant qu’il existe « un droit légitime pour tous les ENDAN parties au TNP de recevoir des assurances de sécurité juridiquement contraignantes efficaces, universelles, inconditionnelles, non-discriminatoires et irrévocables »Javad Zarif, Statement before the 2015 NPT Review Conference on behalf of the NAM states-parties to the NPT, 27 avril 2015..

En 2022, lors de la conférence d’examen, quatre documents de travail sont présentés respectivement par l’Algérie, les non-alignés (NAM), l’Iran et la Chine. Ces documents considèrent que les garanties octroyées à ce jour sont « très limitées et insuffisantes »Garanties de sécurité contre l’emploi ou la menace d’emploi d’armes nucléaires, NPT/CONF.2020/WP.23, Document de travail présenté par les membres du Groupe des États non alignés parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, 22 novembre 2021.. Le document chinois lie la question à son projet de traité international sur le non-emploi en premierGaranties de sécurité, Document de travail présenté par la Chine, NPT/CONF.2020/WP.32, 29 novembre 2021..

Lors de la conférence d’examen, quatre États dotés rappellent leur position sur ce sujet :

  • La Chine s’engage sans réserve à ne pas utiliser ni menacer d’utiliser des armes nucléaires contre des ENDAN ou des zones qui en sont exemptesImplementation of the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons in the People’s Republic of China, Report submitted by China, NPT/CONF.2020/41, 16 novembre 2021..
  • Les États-Unis et la France déclarent qu’ils n’utiliseraient pas ou ne menaceraient pas d’utiliser des armes nucléaires contre « des ENDAN qui sont parties au Traité et qui respectent leurs obligations en matière de non-prolifération nucléaire »Actions 5, 20 and 21 of the action plan of the 2010 Review Conference of the Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons, Report submitted by the United States of America, NPT/CONF.2020/47, 27 décembre 2021. National report pursuant to actions 5, 20 and 21 of the final document of the 2010 Review Conference of the Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons: 2015–2022, Report submitted by France, NPT/CONF.2020/42/Rev.1, 1er août 2022..
  • Le Royaume-Uni affirme pouvoir « offrir des garanties négatives de sécurité juridiquement contraignantes que nous n’utiliserons pas ou ne menacerons pas d’utiliser des armes nucléaires contre des membres d’une zone exempte d’armes nucléaires »National report of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland pursuant to actions 5, 20 and 21 of the action plan of the 2010 Review Conference of the Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons for the tenth Review Conference of the Parties to the Treaty, Report submitted by the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland, NPT/CONF.2020/33, 5 novembre 2021..

Ces déclarations reprennent largement les formulations émises en 1995, lorsque le P5 publie de manière collective des engagements unilatéraux cités ultérieurement au niveau du Conseil de sécuritéRESOLUTION 984 (1995) Adopted by the Security Council at its 3514th meeting, on 11 April 1995, S/RES/984 (1995). Cette résolution est rappelée dans la résolution 1887 du CSNU de 2009 et 2310 de 2016.

Le texte commun de base indique que respectivement, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie « n’utiliseront pas d’armes nucléaires contre un ENDAN partie au TNP, sauf en cas d’invasion ou d’autre attaque contre son territoire, ses forces armées et d’autres troupes, ses alliés ou un État envers lequel [ils] ont pris un engagement de sécurité, menée ou soutenue par un ENDAN en association ou allié à un EDAN »Letter dated 6 April 1995 from the Permanent Representative of the Russian Federation to the United Nations addressed to the Secretary-General, A/50/151, S/1995/261, 6 avril 1995.. La Chine de son côté réitère ses engagements précédents de manière inconditionnelle (« La Chine s’engage à ne pas faire usage ou menacer de faire usage d’armes nucléaires contre des ENDAN ou des ZEAN à aucun moment et dans aucune circonstance ».Letter dated 6 April 1995 from the Permanent Representative of China to the United Nations addressed to the Secretary-General, A/50/155, S/1995/265, 6 avril 1995.) En supplément, le Royaume-Uni précise que ses garanties ne s’appliquent que si les bénéficiaires respectent leurs obligations au titre du TNPLetter dated 6 April 1995 from the Permanent Representative of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland to the United Nations addressed to the Secretary-General, A/50/152, S/1995/262, 6 avril 1995..

Ces déclarations peuvent être revues ou modifiées dans des déclarations faites individuellement. Ainsi, la Nuclear Posture Review américaine de 2018 signale que les États-Unis ne « feront pas usage ou ne menaceront pas de faire usage d’armes nucléaires contre des ENDAN parties au TNP et respectant leurs obligations de non-prolifération nucléaire. » Washington se réserve le droit de « faire des ajustements » concernant ses garanties en fonction de « l’évolution et de la prolifération des technologies offensives stratégiques non-nucléaires »Nuclear Posture Review, DoD, 2018.. Une formulation analogue est utilisée par le président Hollande en 2015 à l’occasion du discours d’Istres (« la France n’utilisera pas d'armes nucléaires contre les États non dotés de l'arme nucléaire, qui sont parties au Traité de non-prolifération et qui respectent leurs obligations internationales de non-prolifération des armes de destruction massive »)François Hollande, Discours sur la dissuasion nucléaire – Déplacement auprès des forces aériennes stratégiques. Istres (13)..

Parmi les autres initiatives multilatérales, il faut citer le mémorandum de Budapest, signé le 5 décembre 1994 entre les États-Unis, le Royaume-Uni, la Russie et l’Ukraine et par lequel les trois premiers États s’engagent entre autres à ne pas utiliser ou menacer d’utiliser d’armes nucléaires contre l’Ukraine. Ce texte, auquel la France et la Chine ont souscrit ultérieurement, a été signé dans le cadre du rapatriement des armes soviétiques déployées sur le territoire ukrainien à la chute de l’Union soviétiqueMémorandum relatif aux garanties de sécurité dans le cadre de l’adhésion de l’Ukraine au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Budapest, 5 décembre 1994..

Enfin, des garanties de sécurité spécifiques sont prévues dans les protocoles des ZEAN. Ces protocoles engagent les EDAN à ne pas utiliser d’armes nucléaires (ni menacer d’utiliser) contre les membres de la zone. À ce jour, seule la ZEAN créée par le Traité de Tlatelolco en Amérique latine et aux Caraïbes a été ratifiée par les 5 EDAN. Les protocoles des ZEAN en vigueur en Afrique, dans le Pacifique et en Asie Centrale ont été ratifiés par la France, le Royaume-Uni et la Russie, avec pour certains des réserves, et en particulier l’exercice plein du droit de légitime défense reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Pour les États ayant des territoires d’outre-mer, des réserves peuvent également porter sur la participation de ces territoires situés dans des ZEAN aux activités liées à la dissuasion.

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Les États-Unis ont signé les protocoles aux Traités de Rarotonga, Pelindaba et Semipalatinsk, et l’administration Obama a requis la ratification par le Sénat de ces documents respectivement en 2011 pour les deux premiers et en 2015, mais les conditions politiques n’ont pas permis d’obtenir la ratification à ce jour.

Le deuxième protocole du Traité de Bangkok, qui porte sur les garanties négatives de sécurité, n’est pour l’instant ratifié par aucun EDAN. En 2011, les EDAN indiquent envisager une ratification, avec pour quatre d’entre eux des réserves. Les États de l’ASEAN analysent ces demandes. En avril 2019, dans le cadre du processus P5, des consultations entre le P5 et l’ASEAN sont relancées et ce sujet figure encore sur le plan de travail du groupe. Néanmoins, des difficultés empêchent pour l’instant une ratification, en particulier concernant l’absence d’une délimitation agréée des frontières maritimes et zones économiques exclusives en mer de Chine méridionale. La question du droit de passage des sous-marins nucléaires dans la région est également problématique, tout comme celle précisément des potentielles réserves posées sur les garanties de sécurité à fournir aux États membres de la zoneFrancesca Giovannini, « Negative Security Assurances after Russia’s Invasion of Ukraine », Arms Control Today, juillet / août 2022..

L’impasse sur la ratification des protocoles de la ZEAN en Asie du Sud-est illustre plus largement le blocage quant à l’avenir des garanties négatives de sécurité. En effet, les politiques et réserves des EDAN sur la question (à l’exception de la Chine) sont désormais bien établies et leur opposition à la négociation d’un texte inconditionnel juridiquement contraignant a été maintes fois justifiée.

De l’autre côté, la demande et la pression d’une partie des ENDAN à ce sujet sont de plus en plus fortes. L’invasion en Ukraine, et la violation du mémorandum de Budapest, ont tendance à alimenter les discussions et propositions dans ce cadreVoir par exemple Francesca Giovannini, op. cit.. Bien sûr, si le mémorandum inclut bien des garanties de sécurité négatives en termes nucléaires, c’est avant tout un engagement plus général qu’a violé la Russie, à savoir le premier point par lequel elle s’engageait à respecter l’indépendance, la souveraineté et les frontières existantes de l’Ukraine. La conférence d’examen du TNP de 2022 insiste particulièrement sur ce sujet et des délégations notent son acuité particulière (« Le sujet des assurances négatives de sécurité est important […] en particulier au regard du terrible coup porté à la crédibilité des garanties de sécurité par le non-respect du mémorandum de Budapest »)Tenth Review Conference of the Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons (NPT), Main Committee I Statement by Austria, « Key elements of an outcome document on pillar 1 », 12 août 2022.. Certains documents de travail et déclarations produites lors de la conférence d’examen d’août 2022, qui pour beaucoup se focalisent sur les politiques nucléaires des pays de l’OTAN et sur la restriction – somme toute très limitée – faite à leurs garanties de sécurité, et ignorent les agissements russes des derniers mois, semblent montrer une forte politisation du sujet. Dans ce contexte, la question des garanties négatives de sécurité semble davantage être pour certains États un élément de langage plutôt qu’un potentiel sujet de progrès. Pour autant, d’autres délégations continuent de chercher une approche plus consensuelle, en particulier le NPDI, qui suggère de travailler à « la réaffirmation et au renforcement » des assurances négatives de sécuritéRecommandations soumises pour examen à la dixième Conférence des Parties chargée d’examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, Document de travail présenté conjointement par les membres de l’Initiative sur la non-prolifération et le désarmement (Allemagne, Australie, Canada, Chili, Émirats arabes unis, Japon, Mexique, Nigéria, Pays-Bas, Philippines, Pologne et Turquie), NPT/CONF.2020/WP.10, 10 septembre 2021.. Similairement, l’initiative de Stockholm soutient le développement de discussions sur des « assurances de sécurité solides, y compris à caractère contraignant »Plan de réduction des risques nucléaires, NPT/CONF.2020/WP.9/Rev.1, 12 août 2021.. Dans ce contexte, le débat sur les assurances de sécurité risque de se poursuivre à la CD et dans le cadre du TNP, avec toutefois peu de chances de progrès réel dans le court terme.

 

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