Doctrine nucléaire et stabilité en Asie du Sud

Observatoire de la dissuasion n°92
décembre 2021

Les questions liées à la posture de non-emploi en premier indienne sont régulières et surviennent généralement suite à des déclarations politiques ou des développements capacitaires. Plusieurs publications récentes reviennent sur la doctrine indienne. Les chercheurs pakistanais Adil Sultan et Itfa Khursheed s’intéressent aux conséquences du déploiement de missiles hypersoniques dans la régionAdil Sultan et Ifta Khursheed, « Hypersonic Weapons in South Asia: Implications for Strategic Stability », IPRI Journal, vol. 21, n°1, été 2021.. Après avoir rappelé les efforts indiens dans ce domaine, matérialisés autour du programme de missile hypersonique Brahmos‑II mais aussi autour du programme de démonstration technologique HSTDV, qui a effectué son premier vol en 2020« India successfully test-fires hypersonic missile carrier, 4th country to achieve the feat », The Print, 7 septembre 2020., ils essaient d’en déduire les implications stratégiques. Pour eux, ces technologies n’ont pas d’utilité majeure pour la crédibilité de la dissuasion indienne, ni le Pakistan ni la Chine ne travaillant à la mise en place de système de défense antimissile à même de mettre en échec la capacité de riposte indienne. Plusieurs objectifs sous-stratégiques pourraient en revanche être poursuivis par ces programmes : prestige technologique, utilisation pour des frappes conventionnelles de précision ou utilisation dans des scénarios de contre-force y compris pour empêcher une riposte nucléaire précoce de la part du Pakistan (visant notamment les systèmes mobiles). Sans surprise, les auteurs insistent sur le potentiel caractère déstabilisant de ces stratégies. Ils montrent que les réponses pakistanaises pourraient accroître le paradoxe de la stabilité/instabilité, que ce soit le développement de son propre programme hypersonique, une révision de la posture de « full spectrum deterrence », un renforcement de la mobilité et aptitude à la survie de ses missiles de courte portée, le développement d’une capacité antisatellite pour contrer l’obtention d’informations par l’Inde ou encore la consolidation de sa capacité de seconde frappe, en particulier en mer. Les auteurs recommandent donc, mais sans grand espoir, de reprendre les mesures de confiance entre Inde et Pakistan, et de limiter les coopérations avec l’un ou l’autre des États sur des programmes hypersoniques.

De leur côté, Jay Desai et Bharat Desa, experts indiens, reposent la question de la crédibilité de la posture indienne. Ils notent que l’adoption d’une stratégie de représailles limitée comporterait le risque d’une escalade incontrôlable, mais estiment en revanche judicieux pour New Delhi de se réserver la possibilité de conduire une frappe préemptive. La volonté de disposer de cette option explique pour les auteurs les différentes réserves et clarifications apportées par des figures politiques et militaires récemment à la politique de non-emploi en premier indienne. Dans ce contexte, ils jugent que la posture officielle actuelle convient en temps de paix, et n’interdit pas de laisser la porte ouverte à des inflexions en cas de détérioration du contexte stratégiqueJay B. Desai et Bharat H. Desa, « On India as a Responsible Nuclear Weapon State: Does the ‘No First Use’ Doctrine Need a Review? », International Studies, vol. 58, n°3, 2021..

 

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Doctrine nucléaire et stabilité en Asie du Sud

Bulletin n°92, novembre 2021



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