Estimer l’arsenal nucléaire nord-coréen

Alors qu’ils avaient consacré en 2005 une édition du Nuclear Notebook au programme nucléaire nord-coréen, Hans Kristensen et Robert Norris ont treize ans plus tard choisi de quasiment normaliser le statut nucléaire du pays en lui consacrant le dernier opus de leurs évaluations quantitatives des arsenaux nucléaires mondiaux.

Avec la publication de North Korean Nuclear Capabilities, 2018Hans Kristensen et Robert Norris, « North Korean nuclear capabilities, 2018 », Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 74, n°1, 2018., les deux auteurs offrent leurs propres estimations des capacités nord-coréennes et synthétisent les autres chiffrages réalisés ces dernières années. Cet exercice offre une opportunité de rappeler ce qui est connu, ignoré et supposé de l’arsenal nucléaire nord-coréen.

Missiles opérationnels et déployés

Estimations du NASIC (2017)

Autres estimations

Estimations du Military BalanceThe Military Balance, IISS, vol. 117, n°1, février 2017.

Hwasong-9 (Scud-ER)

> 100

 

 

Hwasong-7 (Nodong)

> 100

200-300International Crisis Group, North Korea’s Nuclear and Missile Programs—Asia Report No. 168, p. 1

90

Hwasong-10 (Musudan)

> 50

30-50

Quelques

Taepodong-2

?

5Markus Schiller, Characterizing the North Korean Nuclear Missile Threat, RAND, 2012, p. 66.

?

Hwasong-13 (KN-08)

 

 

6

En ce qui concerne le nombre d’armes, les évaluations émanant notamment des Etats-Unis et de Corée du Sud ont régulièrement été assez faibles et ont été soudainement revues à la hausse à partir de 2016-2017. Comme pour d’autres pays, elles s’appuient sur des projections des capacités de production de matières fissiles, accumulées depuis le lancement du programme. Siegfried Hecker, un des experts les mieux informés en raison de ses visites auprès des infrastructures nucléaires nord-coréennes en 2010, propose une capacité annuelle de production de 50 à 40 kg de plutonium et 250 à 500 kg d’uranium hautement enrichi, ce qui pourrait avoir permis depuis l’origine de produire 16 à 32 armesSiegfried Hecker, « What We Really Know About North Korea’s Nuclear Weapons », Foreign Affairs, 4 décembre 2017.. En tenant compte de divers scenarios sur la composition des armes et la capacité des usines de centrifugation nord-coréennes, David Albright de l’ISIS propose la valeur médiane de 30 kg de plutonium, 230 à 760 kg d’uranium de qualité militaire et un arsenal de 13 à 30 armes (une partie du stock restant en réserve stratégique). La variation (du simple au double) est notamment due à l’incertitude qui perdure sur l’existence d’une seconde usine d’enrichissement et à l’absence d’information sur la composition des armes nord-coréennes). La Corée du Nord est fortement soupçonnée d’avoir un site d’enrichissement supplémentaire, mais sa localisation n’est pas connue et il est difficile de savoir combien d’années il a pu être en fonctionnement (et donc quelle quantité d’uranium enrichi il a pu produire)David Albright, « North Korea’s Nuclear Capabilities: A Fresh Look - with Power Point Slides », Reports, Institute for Science and International Security, 9 août 2017 mis à jour en janvier 2018.. La Corée du Nord produirait de 4 à 6 armes supplémentaires par an. D’autres estimations font régulièrement référence à environ 14 à 33 armes« Arms Control and Proliferation Profile: North Korea », Fact Sheets & Briefs, Arms Control Association, décembre 2017..

Une fuite à l’été 2017 d’un document de la Defense Intelligence Agency a produit une évaluation plus pessimiste avec un chiffrage autour de 60 armes potentielles et une capacité à en produire de nouvelles estimées à une douzaine par anJoby Warrick, Ellen Nakashima et Anna Fifield, « North Korea Now Making Missile-Ready Nuclear Weapons, US Analysts Say », The Washington Post, 8 août 2017.. Il est difficile de commenter ce chiffre avec certitude du fait de l’absence de justification et explication méthodologique autour de son calculJonathan Pollack, « What do intelligence leaks about North Korea tell us? », Order From Chaos, Brookings Institution, 9 août 2017.. Il semblerait toutefois que le chiffrage intègre bien la production d’une deuxième usine d’enrichissement qui aurait fonctionné correctement depuis plusieurs années, une évaluation dans le haut du spectre. On peut dans tous les cas constater que la fuite, si elle est volontaire, marque un tournant par rapport aux estimations souvent très faibles faites par les autorités américaines.

Le rapport de Kristensen et Norris fait également le point sur les données quantitatives en matière de vecteurs, un travail particulièrement important alors que les développements récents ont introduit de fortes incertitudes. Le tableau sur les missiles pouvant emporter des armes nucléaires (voir ci-dessous) présente l’intérêt de recenser ce que l’on peut considérer comme certain à ce jour, tout comme les questions qui restent en suspens. Les auteurs ont volontairement retiré de leur inventaire le Toksa (KN-02) car ils estiment qu’il n’existe pas de preuve de sa capacité nucléaire

Les auteurs s’appuient sur les données du dernier rapport du NASIC pour définir les missiles considérés comme opérationnels et s’aventurer dans des considérations quantitatives, qui sont très peu précises, comme illustré ci-dessousBallistic And Cruise Missile Threat, Defense Intelligence Ballistic Missile Analysis Committee, NASIC-1031-0985-17, National Air and Space Intelligence Center, juin 2017..

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