How durable is the nuclear weapons taboo?
Observatoire de la dissuasion n°63
mars 2019
Le terme de « tabou nucléaire » a été popularisé par quelques travaux célèbres qui estiment qu’il est soit fondé sur des préoccupations morales (Tannewald, Quester) ou sur la volonté de ne pas créer de précédent (Sagan). Pour les universitaires Gibbons et Lieber, ce concept est loin d’être aussi solide qu’il n’y paraît et surtout probablement peu durable.
Pour eux, le terme de tabou n’est probablement pas opportun, car ils estiment qu’en cas de violation, la règle pourrait être sérieusement ébranlée. Ils émettent des hypothèses concernant la nature de la norme. Ainsi, si la norme de non-emploi s’appuie sur des considérations morales, ils estiment qu’en cas de violation, elle pourrait être renforcée par l’importance des victimes collatérales, le contexte stratégique d’utilisation, l’identité du violateur, de la victime et la forme de la réponse internationale. Si ce sont principalement des craintes de créer un précédent qui confortent la norme aujourd’hui, les conséquences stratégiques de la frappe et la nature de la réponse internationale pourraient influencer la capacité de la norme à survivre à une première frappe.
Les auteurs étayent leur étude par deux éléments. Tout d’abord, ils citent les sondages récents notamment réalisés aux États-Unis qui montrent l’absence d’un fort tabou parmi la population sur l’utilisation d’une arme nucléaire, notamment dans certaines circonstances. Dans un second temps, ils comparent le cas des armes nucléaires à celui des bombardements stratégiques. Cette comparaison souffre de nombreuses limites, mais leur semble intéressante. En effet, avant la Seconde guerre mondiale, des efforts avaient été menés pour réguler l’usage des bombardements aériens. Leur utilisation sur des civils chinois par le Japon avait été sévèrement réprouvée, mais sans sanction réelle. En 1939, les principaux adversaires européens s’étaient engagés à ne pas frapper les populations civiles. Néanmoins, un glissement s’est opéré pendant la guerre dans une logique de représailles et même les États-Unis ont fini par avoir des objectifs purement stratégiques pour leur bombardements, qu’ils ont conservé dans d’autres conflits, en Corée et au Vietnam.
Pour les auteurs, la logique morale n’a pas fonctionné dans ce cas, puisque les violations japonaises mais aussi le cas emblématique de Guernica n’ont pas suffi à rétablir la norme. La logique du précédent fonctionne mieux car les bombardements ont semblé avoir une utilité militaire et n’ont pas engendré de sanctions fermes. La modération d’entre les deux guerres aurait donc été principalement justifiée par la volonté d’éviter les représailles.
Dans ce contexte, ils estiment la durabilité et la solidité de la norme de non-emploi des armes nucléaires fragile et jugent que toute violation pourrait durablement affaiblir cette norme. En conséquence, ils insistent sur la nécessité de faire preuve de retenue pour éviter à tout prix une première frappe. Il leur semble également impératif de faire en sorte qu’une première frappe nucléaire ne soit pas récompensée par un avantage militaire et fasse l’objet d’une punition sévère.