James Blackwell, Cognitive hyper-dissonance: Nuclear signaling through military ex-ercises, Comparative Strategy, vol. 40, n°5, 2021

Observatoire de la dissuasion n°91
novembre 2021

Dr James Blackwell, maître de conférences à Texas A&M University, vétéran de l’Army et expert en stratégie militaire, analyse dans cet article l’influence des exercices dans le dialogue dissuasif. Il tire ses exemples et ses analyses de données déclassifiées et de témoignages écrits et oraux concernant les principaux exercices à caractère nucléaire conduits pendant la Guerre froide.

En particulier, il revient sur l’évolution depuis les premiers exercices américains impliquant des tirs réels aux exercices plus modérés des années 1990. Il s’intéresse ainsi à plus de 200 exercices des forces terrestres impliquant les capacités nucléaires entre 1950 et 1990. Ces exercices, parfois massifs, ont été scrutés et disséqués par les services adverses. Grâce à ces aperçus dans la pensée stratégique de l’adversaire, les deux camps ont pu se convaincre qu’ils comprenaient leurs intentions mutuelles et le fonctionnement de leurs concepts opérationnels respectifs. Pourtant, James Blackwell estime que les acteurs impliqués n’ont généralement pas réussi à faire passer les messages qu’ils souhaitaient envoyer, ou que ceux-ci ont été mal interprétés. Cela peut concerner les capacités. Ainsi, l’analyse historique indique que les Soviétiques ont dans les années 1960 surestimé la valeur de certaines capacités américaines, comme les roquettes Davy Crockett ou les mines nucléaires. Dans le même temps, ils ont eu tendance à surestimer également leur capacité à résister et à se battre dans un environnement nucléaire.

En ce qui concerne la stratégie, il note les difficultés pour les États-Unis de construire une certitude concernant l’intention soviétique de procéder à une première frappe nucléaire préemptive. Il remarque en effet qu’en s’appuyant sur les exercices réalisés par le Pacte de Varsovie, qui commencent systématiquement par une invasion conventionnelle de l’OTAN mais prévoient ensuite une frappe nucléaire préemptive en premier soviétique, la majorité des experts du renseignement américains ont estimé que cela reflétait les plans réels. Pour autant, certains ont douté de la capacité soviétique à exécuter cette première frappe. En particulier, les travaux de recherche d’un ancien officier de renseignement américain ont indiqué après la Guerre froide que de tels plans étaient sans doute irréalistes. Les divergences d’interprétation s’expliquent par la tendance des observateurs de l’époque à se focaliser sur ce qu’ils voyaient lors des exercices, alors que d’autres experts tendaient à se baser sur ce qu’ils jugeaient possible.

L’auteur utilise deux autres exemples intéressants pour montrer la difficulté de convoyer des messages à travers les exercices. Le premier illustre la difficulté à communiquer vis-à-vis de ses alliés : en 1989, lors du dernier grand exercice de la Guerre froide NATO CPX WINTEX-89, le Royaume-Uni aurait conduit une frappe nucléaire virtuelle sur les forces soviétiques pour traduire leur solidarité vis-à-vis de la RFA, envahie par le pacte de Varsovie selon le scénario. Cependant, les participants allemands auraient très mal réagi à cette décision et quitté l’exercice dans un contexte de forte opposition populaire au nucléaireCette anecdote est décrite par Beatrice Heuser, voir Beatrice Heuser, « Reflections on the Purposes, Benefits and Pitfalls of Military Exercises », in Tormod Heier, Guillaume Lasconjarias et Beatrice Heuser, éds., Military Exercises: Political Messaging and Strategic Impact, Research Division Forum, Paper 26, Rome: NATO Defense College, 2018..

À l’inverse, il explique que l’Union soviétique n’aurait eu de cesse d’essayer de convaincre sa population, ses troupes et ses alliés du caractère menaçant de l’OTAN, accusée d’avoir une posture offensive et de considérer l’utilisation d’armes nucléaires en premier. Pour autant, les exercices et plans figuraient systématiquement le franchissement du seuil nucléaire par l’URSS. La communication interne a donc été très difficile en raison de la contradiction entre les deux messages envoyés.

L’auteur conclut donc à la difficulté de communiquer une intention militaire via des exercices qui véhiculent davantage l’ambiguïté, l’incertitude ou le bluff. Cette analyse lui semble d’autant plus vraie dans une situation de multipolarité nucléaire. En conséquence, il recommande aux puissances nucléaires actuelles de procéder à des exercices nucléaires pour l’entraînement de leurs forces et pour renforcer la crédibilité de leur dissuasion, mais d’éviter de chercher à transmettre des messages à un adversaire potentiel sur ses intentions, objectif voué à l’échec.

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James Blackwell, Cognitive hyper-dissonance: Nuclear signaling through military ex-ercises, Comparative Strategy, vol. 40, n°5, 2021

Bulletin n°91, octobre 2021



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