Populisme et dissuasion

Le Bulletin avait chroniqué dans son édition de février 2022 un article d’Oliver Meier et Maren Vieluf consacré aux relations entre populisme et armes nucléairesEmmanuelle Maitre, « Recension: Upsetting the nuclear order: how the rise of nationalist populism increases nuclear dangers », Bulletin n°97, Observatoire de la dissuasion, février 2022.. Dans sa dernière livraison, la Nonproliferation Review ouvre le débat avec les contributions de quatre experts d’horizons diversReplies, The Nonproliferation Review, vol. 28, n°1-3, septembre 2022..

Rajeswari Rajagopalan estime que la catégorisation proposée par les auteurs pose problème (prétendant, curieusement, que la Chine et le Pakistan sont gouvernés par des « nationalistes populistes », ce qui revient à étendre considérablement la définition) et, surtout, conteste l’impact de ce type de régime à la fois sur les politiques de dissuasion nucléaire (l’Inde de Narendra Modi n’a pas changé sa doctrine ou sa posture) et sur les risques de prolifération nucléaire.

Michael Cohen critique lui la pertinence même de la catégorie « nationaliste populiste », suggérant que les deux termes devraient être séparés et, surtout, que les liens entre nationalisme et dissuasion – ce que l’auteur de ces lignes avait appelé le « nationalisme nucléaire » – vont au-delà des régimes autoritaires. Il se réfère à certaines déclarations de dirigeants d’États démocratiques (Richard Nixon, Charles de Gaulle, Indira Gandhi).

Jacques Hymans, qui a beaucoup travaillé sur la question des liens entre régimes politiques et politiques nucléaires, avertit que la dénonciation du comportement des populistes dans le domaine nucléaire peut conduire à un excès de révérence envers les « complexes nucléaires » qui seraient alors perçus, à tort selon lui, comme des gardiens de la raisonNotons que contrairement à ce qu’affirmaient les auteurs, la Nuclear Posture Review américaine de 2018 incarnait bien davantage les vues de l’establishment que la personnalité de Donald Trump.. Il rappelle à juste titre que ce ne sont pas des figures « populistes », aux États-Unis, qui négligèrent la maîtrise des armements. Mais aussi qu’à l’inverse, on pourrait sous-estimer les risques nucléaires indirects du populisme (via la violence politique collective). Si sa démonstration mérite d’être lue, elle n’est pas exempte d’exagérations théoriques, comme par exemple lorsque l’auteur imagine qu’un dirigeant populiste pourrait être insensible à la destruction (nucléaire) par un ennemi de zones tenues par des opposants politiques…

Enfin, Nina Tannenwald rappelle que les dirigeants nationalistes peuvent être prompts à l’excès dans les deux sens : ils peuvent certes accroître le risque d’instabilité stratégique, mais aussi, à l’inverse, négliger les périls au bénéfice de leur propre agenda personnel. Elle prend à témoin la ligne très mouvante adoptée par Donald Trump lorsqu’il était président à propos de la Corée du Nord, passant de provocations rhétoriques (2017) au déni total après sa première rencontre avec Kim Jong Un (2018). Nina Tannewald suggère également qu’un dirigeant tel que Vladimir Poutine, dès lors qu’il n’hésite pas à justifier des actes génocidaires, aurait sans doute moins d’inhibitions que d’autres à employer l’arme nucléaire. Elle souligne enfin que ses décisions ont eu, conformément à l’hypothèse émise par les deux auteurs de l’étude initiale, un effet positif sur « l’ordre nucléaire » en renforçant la cohésion de l’Alliance atlantique.

 

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