Report de la 10e conférence d’examen du TNP : défis et opportunités

La conférence d’examen du TNP (RevCon), qui devait se tenir du 27 avril au 22 mai 2020, a été reportée en raison de la crise sanitaire du printemps 2020. Les nouvelles dates n’ont pas été confirmées mais le mois de janvier 2021 est pressenti alors que les tractations diplomatiques associées au report restent en coursBenjamin Hautecouverture, « Planète nucléaire : le TNP à l’épreuve de la Covid-19 », Note de la FRS, n°44/2020, 27 mai 2020.. Ce report a été présenté par le président désigné argentin Gustavo Zlauvinen comme une opportunitéGustavo Zlauvinen, Intervention vidéo, 24 avril 2020.. Ce temps supplémentaire pourrait en effet être mis à profit pour éviter que la conférence ne se déroule dans une atmosphère défavorable et aboutisse à un échec. Néanmoins, on peut réalistement s’attendre à ce que ces mois supplémentaires voient la poursuite de la détérioration du contexte et interdisent tout optimisme quant à la réussite de la conférence.

En effet, les principaux points de blocage qui compliquent fortement les réunions dans le cadre du TNP depuis une vingtaine d’années risquent de continuer à se renforcer, et en particulier la paralysie sur le pilier « désarmement ». Tout d’abord, la maîtrise des armements est dans une situation de crise profonde. Les trois dernières années ont été marquées par une désintégration assez systématique de l’architecture de maîtrise des armements héritées de la guerre froide. Cet effondrement est lié en partie aux violations de certains Etats parties de leurs engagements, en particulier de la Russie concernant le traité FNI ; au désintérêt marqué et idéologique de l’administration Trump pour cette pratique ; et enfin à l’obsolescence de certains cadres juridiques du fait de leur caractère bilatéral ou des innovations technologiques ayant eu lieu depuis leur adoption. Alors que plusieurs accords ont pris fin récemment, aucune mesure de substitution n’a été proposée à ces traités abandonnés et les perspectives de négociation de nouveaux instruments plus adaptés sont aujourd’hui très faibles. La fin d’année 2020 sera cruciale pour voir si le traité New Start, dernier maillon de cette chaîne, est prolongé au-delà de février 2021, date à laquelle il devrait expirer, mais les espoirs restent faibles dans ce domaine. En effet, l’administration Trump semble s’être enfermée dans le postulat que le Traité New Start n’avait pas de valeur sans la participation chinoise. Le Sénat américain, dont l’implication n’est pas nécessaire pour une extension du Traité, n’en reste pas moins un bastion républicain où de nombreux élus sont fermement opposés à tout nouvel accord de maîtrise des armements avec la Russie et sans doute plus largement à tout accord venant limiter les capacités américaines potentielles dans ce domaine. Les élections américaines de novembre 2020 seront cruciales sur ce point. Cependant, il n’est pas certain qu’une nouvelle administration démocrate prenant ses fonctions en janvier 2021 ait le temps de négocier l’extension de New Start d’ici à février 2021 et surtout que selon ce calendrier, cette extension ait un rôle positif sur la conférence d’examen.

En matière de désarmement, les perspectives pour cette année supplémentaire avant la RevCon sont également mauvaises. Avec l’arrivée aux plafonds imposés par le traité New Start, il n’existe plus pour la première fois depuis trois décennies de perspective de réduction des arsenaux mondiaux codifiée en droit, et l’on peut s’attendre à ce que la tendance de réduction des volumes d’armes nucléaires stagne puis s’inverse en raison de la progression des arsenaux asiatiques« Nuclear weapon modernization continues but the outlook for arms control is bleak: New SIPRI Yearbook out now », SIPRI, 15 juin 2020.. Par ailleurs, les perspectives sont toujours aussi mauvaises en ce qui concerne le TICE ou le FMCT et une année supplémentaire ne semble que pouvoir permettre de progrès dans ce domaine, avec les rumeurs de reprise des essais supposément émises par l’administration TrumpJohn Hudson et Paul Sonne, « Trump administration discussed conducting first U.S. nuclear test in decades », Washington Post, 22 mai 2020..

A l’inverse, les attentes en matière de désarmement ne donnent pas de signes de faiblir au vu des circonstances : le TIAN a enregistré de nouvelles ratifications depuis début 2020 et atteint désormais 44 Etats parties. Il n’est pas certain que le report lui permette d’entrer en vigueur, mais ses défenseurs ont saisi la pandémie en vigueur pour pointer le danger des menaces globales, le gaspillage de ressources dans les armes nucléaires, ressources qui pourraient être utilisées par le secteur médical ; ou encore l’inutilité de la dissuasion pour affronter les dangers auxquels sont réellement confrontés les populations. La question des conséquences humanitaires d’une frappe nucléaire et les réponses apportées par les gouvernements (ou absence de réponse) sont des sujets dont la pertinence semble prouvée par la crise actuelle à un grand nombre d’ENDAN. La question de la sécurité humaine devrait également resurgir.

Enfin, en matière de non-prolifération, les mois qui viennent pourraient voir l’explosion définitive du cadre mis en place par le JCPOA alors que l’AIEA rappelle à l’ordre de plus en plus explicitement l’Iran pour pouvoir garantir la nature pacifique de ses activités nucléaires« IAEA Board Calls on Iran to Fully Implement its Safeguards Obligations », AIEA, 19 juin 2020..

Si le contexte ne semblait pas favorable à la tenue d’une RevCon réussie en 2020, on peut donc s’attendre à ce qu’il empire encore d’ici à l’année prochaine. Pourtant, comme l’a signalé Gustavo Zlauvinen, ces difficultés, qui concernent principalement l’axe désarmement, ne signifient pas que le cycle d’examen n’a pas permis des progrès dans un ensemble de domaines liés à l’application du TNP. Les mois qui s’ouvrent vont fournir l’occasion d’approfondir ces avancées qui peuvent paraître modestes mais doivent néanmoins être considérées. Le pilier « usage pacifique » est celui qui suscite le moins de désaccords et plusieurs Etats souhaitent que la RevCon se focalise davantage sur les réalisations dans ce domaine, qui portent autant sur les aspects énergétiques, les bonnes pratiques en matière de sécurité et sûreté nucléaire ou encore les questions non-énergétiques. Sur ce dernier point, la crise de la Covid-19 a permis de rappeler le rôle de l’AIEA dans le domaine médical puisque l’agence a été impliquée dans la détection du coronavirus. Des séminaires sont régulièrement organisés pour présenter les travaux menés par l’AIEA dans le domaine agricole, médical, de l’eau ou de l’environnement. Deux éléments doivent néanmoins être pris en compte dans ce domaine : tout d’abord, les ENDAN les plus insatisfaits par l’état actuel du TNP estiment que ce pilier est bien connu et qu’il ne peut pas se substituer aux progrès en matière de désarmement. Deuxièmement, le soutien de ces Etats aux usages civils a tendance à se fracturer car certains Etats expriment de plus en plus fermement leur hostilité à l’énergie nucléaire de manière large, en particulier l’Autriche ou la Nouvelle-Zélande.

Le second élément qui pourrait faire l’objet de progrès durant cette année supplémentaire concerne les initiatives parallèles visant à favoriser le dialogue sur le désarmement et à proposer des alternatives jugées réalistes ou crédibles aux processus officiels bloqués. En particulier, une trentaine d’Etats a travaillé autour de l’initiative américaine de CEND qui cherche à diagnostiquer les points qui empêchent de progresser en matière de désarmement et à résoudre ces causes profondes. La Suède de son côté a également enclenché une approche pragmatique en réunissant une quinzaine d’Etats autour d’objectifs modestes. L’Allemagne s’intéresse aux évolutions technologiques et leurs conséquences sur la maîtrise des armements. Plusieurs Etats dont la France travaillent sur la question de la réduction des risques stratégiques en essayant de pousser des propositions modestes mais concrètes. Les travaux sur la vérification du désarmement se poursuivent. Ces éléments sont encourageants pour montrer l’existence d’une importante communauté d’Etats dotés et non-dotés au fait de la situation stratégique et n’ayant pas d’attentes difficilement réalisables dans l’environnement actuel. Néanmoins, ces débats et progrès risquent de peu peser dans le cadre plus large du TNP, surtout s’ils ont mis en balance avec un délitement du traité New Start. En effet, les Etats dotés et en particulier les Etats-Unis et la Russie risquent d’être accusés d’être eux-mêmes à l’origine des risques stratégiques ou des blocages qu’ils prétendent résoudre.

Le report de la conférence d’un an peut se révéler une opportunité uniquement si les Etats parties acceptent de revoir considérablement leurs attentes vis-à-vis de l’événement et du TNP lui-même. Cela nécessiterait l’abandon de posture politique parfois ancienne et peu constructive. La situation de crise actuelle pourrait favoriser une telle reconsidération, mais cela reste peu probable au vu de la politisation de ce forum multilatéral.

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Report de la 10e conférence d’examen du TNP : défis et opportunités

Emmanuelle Maitre

Bulletin n°78, été 2020



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