Une nouvelle stratégie de Défense pour le Royaume-Uni

Le 16 mars 2021, le Royaume-Uni a publié un nouveau document stratégique intitulé « Global Britain in a competitive age ». Ce document, fruit d’un travail de réflexion initié l’année dernière, vient actualiser la « Strategic Defence and Security Review » (SDSR) de 2015 et en particulier prendre en considération ce que les rédacteurs du document considèrent comme des changements considérables de l’environnement stratégiques. Ces transformations, détaillées dans la première partie du rapport, nécessitent selon les auteurs quelques changements de posture, et en particulier une diplomatie plus active pour influencer les normes régulant le système international, un focus sur les questions climatiques et environnementales, et un effort marqué sur le développement scientifique et technologique, la résilience cyber et la protection des systèmes spatiaux d’importance vitaleGlobal Britain in a competitive age, The Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy, Presented to Parliament by the Prime Minister, by Command of Her Majesty, mars 2021..

Dans le domaine de la dissuasion, le document a été très commenté et observé. En effet, la publication consacre trois pages entières à ce domaine, justifiant la nécessité de l’arsenal nucléaire britannique pour garantir la sécurité du pays, le rôle de cette composante dans la défense collective de l’OTAN, les coopérations avec la France ou encore l’engagement britannique en faveur de la maîtrise des armements, de la non-prolifération et du désarmement. 

De manière très notable, la revue inclut un paragraphe dans lequel le gouvernement britannique réévalue à la hausse le nombre de têtes nucléaires jugé requis pour assurer la crédibilité de sa dissuasion :

« The fundamental purpose of our nuclear weapons is to preserve peace, prevent coercion and deter aggression. A minimum, credible, independent nuclear deterrent, assigned to the defence of NATO, remains essential in order to guarantee our security and that of our Allies. In 2010 the Government stated an intent to reduce our overall nuclear warhead stockpile ceiling from not more than 225 to not more than 180 by the mid-2020s. However, in recognition of the evolving security environment, including the developing range of technological and doctrinal threats, this is no longer possible, and the UK will move to an overall nuclear weapon stockpile of no more than 260 warheads. »

Cette formulation peut surprendre, puisque le Royaume-Uni devient la première puissance du P5 (hors Chine) à annoncer une augmentation de son arsenal depuis la fin de la guerre froide. Au niveau symbolique, c’est une décision forte, qui est d’autant plus visible qu’elle émane d’une des gouvernements du P5 les plus engagés en faveur du désarmement nucléaire. Depuis plusieurs décennies, Londres avait notamment construit une image de « laboratoire du désarmement » permettant notamment de promouvoir une approche équilibrée des questions nucléaires et de neutraliser les oppositions internes (en particulier au sein du Labour) à la poursuite du programme Trident. 

Dans ce contexte, comme le remarquent plusieurs experts, cette décision risque de nuire à l’image du Royaume-Uni comme puissance nucléaire « modérée » ou « responsable », et interroger sur la crédibilité de ses initiatives telles que le partenariat avec la Norvège sur la vérification du désarmement nucléaireMatthew Harries, UK’s strategic defence review goes nuclear, The Financial Times, 17 mars 2021.. Plusieurs risques politiques sont associés à ce revirementNew UK Defense Strategy A Troubling Step Back on Nuclear Policy, Arms Control Today, 15 mars 2021., en particulier une difficulté accrue pour les partenaires européens de défendre auprès de leurs opinions publiques la politique de désarmement des Etats dotés (étape-par-étape), un blocage encore plus fort au sein du TNP dont la conférence d’examen reste prévue pour le mois d’août 2021, ou encore une difficulté accrue à critiquer l’augmentation des arsenaux nucléaires asiatiquesMatthew Harries et Tom Plant, Going Ballistic: The UK’s Proposed Nuclear Build-up, Commentary, RUSI, 16 mars 2021.. Par ailleurs, cette décision a sans surprise été perçue très négativement par la RussieKremlin Denounces UK Plan to Increase Nuclear Arsenal, The Moscow Times, 17 mars 2021..

L’on peut penser que les autorités britanniques ont jugé que ces inconvénients étaient supportables au vu des bénéfices attendus de la nouvelle posture. Parmi les potentielles raisons techniques avancées, certains ont noté que cette augmentation du volume jugé nécessaire était peut-être liée à la période de transition qui verra la cohabitation de deux types de SNLE et de deux types de têtes nucléaires dans le cadre du programme de modernisation. Cela pourrait également être un ajustement technique lié au rythme différencié entre la production de nouvelles têtes et le démantèlement des anciennes. Certains notent que la réduction du nombre de têtes à 180 était un objectif annoncé lors de la dernière SDSR et que rien n’indique qu’il ait été atteint, dans ce contexte, la nouvelle revue ne témoignerait pas nécessairement d’une augmentation de l’arsenal mais d’une révision des objectifs précédents. A ce titre, les dernières estimations officielles faisaient état de 215 têtesClaire Mills, « Replacing the UK's strategic nuclear deterrent: progress of the Dreadnought class », Briefing Paper, Number 8010, mis à jour le 2 mars 2021.. Enfin, d’autres suggèrent une réponse à la détérioration du contexte stratégique et donc une décision plus assumée qu’une simple adaptation à l’évolution des programmesConversation entre Viping Narang, James Cameron, David Salisbury, Heather Williams et Nick Richie, Twitter, 13 mars 2021.. De ce point de vue, les capacités accrues pourraient pour certains permettre d’envisager des usages plus flexibles et diversifiés de l’arsenal, notamment sous la forme de frappes limitéesStocking up Britain is adding nukes for the first time since the cold war, The Economist, 20 mars 2021., mais aussi à l’encontre d’un plus grand nombre d’adversaires potentielsHans Kristensen, British Defense Review Ends Nuclear Reductions Era, FAS, 17 mars 2021. Le nombre de 260 serait potentiellement lié également à la volonté d’avoir plus fréquemment deux SNLE en patrouilleLawrence Freedman, Twitter, 16 mars 2021.. Au niveau stratégique, cette remontée en puissance pourrait signaler une volonté de renforcer la crédibilité de la dissuasion britanniqueMatthew Harries et Tom Plant, op. cit..

La décision britannique montre que pour Londres, une dissuasion minimale n’est pas associé à un seuil fixe mais peut induire un arsenal variable en fonction de l’évolution de la situation stratégique. Cette conception fait écho à la position française. Du reste, le texte fait écho à nombre de préoccupations françaises et cet accent porté sur la crédibilité de la dissuasion (qu’elle soit de nature technique ou géopolitique) semble accentuer les convergences entre les visions stratégiques des deux paysGeorgina Wright et Bruno Tertrais, The UK’s Integrated Review: What Global Britain Means for France, Institut Montaigne, 17 mars 2021.. Au vu des réactions suscitées par ces annonces, les précisions que le gouvernement britannique pourra apporter seront très scrutées dans les prochaines semaines et moisELN responds to the 2021 UK Integrated Review of security, defence, development and foreign policy, Commentary, European Leadership Network, 16 mars 2021..

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