William J. Perry & Tom Z. Collina, The Button. The New Nuclear Arms Race and Presiden-tial Power From Truman to Trump, Dallas, BenBella Books, 2020 (335 pages).

Au cours d’une intervention de Moscou en Biélorussie, le président Trump est averti, alors qu’il joue au golf, que deux cents missiles russes se dirigent vers l’Amérique. Quelques instants plus tard, c’est quatre cents missiles. Il n’a que quelques minutes pour réagir. Il décide d’exercer l’option MAO-1 (Major Attack Option – One), la riposte la plus massive (environ un millier d’armes). DZ6EF5, ZE6258 : les codes d’authentification sont échangés. L’ordre est donné. Il s’avère quelques minutes plus tard qu’il s’agissait d’une fausse alerte : le système informatique du StratCom a été piraté. Trop tard : la Russie a déjà lancé sa propre frappe en riposte.

Ce scénario ouvre l’ouvrage coécrit par Bill Perry, ancien Secrétaire à la défense sous Bill Clinton, et Tom Collina, expert engagé des questions nucléaires. Autant dire que son agenda est clair : il s’agit de proposer une transformation radicale de la politique nucléaire américaine. Pour les auteurs, trois éléments de la politique actuelle – pleine autorité présidentielle, option de l’emploi en premier, option du lancement sur alerte – forment une combinaison dont les risques sont, à les en croire, supérieurs aux bénéfices.

Les activistes du désarmement « profitent » pleinement de la personnalité particulière de Donald Trump pour défendre leur cause, et The Button ne fait pas exception. Toutefois, les principaux arguments sont développés par ses auteurs de manière claire et plutôt rigoureuse à défaut d’être toujours détaillée et convaincante.

Plus précisément, quatre critiques sont faites. (1) L’autorité présidentielle exclusive serait « inconstitutionnelle », argument que l’on retrouve parfois aux Etats-Unis au motif, notamment, que seul le Congrès est habilité à déclarer la guerre. (2) Le dispositif actuel serait « dangereux »  du fait des risques majeurs qu’il comporte : fausse alerte, décision impulsive d’un président qui n’aurait pas la plénitude de ses moyens, ou encore piratage informatique. (3) Il serait « obsolète » car, à en croire les auteurs, l’histoire américaine récente montrerait que jamais « un président américain emploierait l’arme nucléaire en premier ». (4) Il serait enfin et surtout « inutile ». D’une part,  car le risque d’une attaque surprise massive russe serait inexistant. L’option du lancement sur alerte, décrite sous Reagan comme un moyen de « compliquer le calcul soviétique », ne se justifierait ainsi plus. D’autre part, « les Etats-Unis n’ont pas besoin d’armes nucléaires pour dissuader ou riposter à une menace non-nucléaire » (p. 101). Ils estiment que les capacités non-nucléaires américaines sont suffisantes.

Les auteurs ne s’attardent guère sur cette dernière question, pourtant centrale pour les alliés de l’Amérique, notamment en Asie. Ils regrettent ainsi que Barack Obama ait été, en 2010, persuadé par le Pentagone de maintenir la possibilité de riposter à une attaque biologique par un recours au nucléaire. Et que l’administration Obama n’ait pas eu « le temps » de revoir la question fin 2016, face à l’opposition notamment du Japon. Il est vrai que Rahm Emmanuel (son directeur de cabinet) avait averti le président Obama dès 2012 qu’il ne pouvait pas passer autant de temps, et dépenser autant de capital politique, sur une question – le désarmement et la sécurité nucléaires – peu centrale pour les électeurs…  

La doctrine américaine doit donc être celle de la « vocation unique » (sole purpose) : les armes nucléaires ne doivent pas être engagées en premier. Et une frappe intercontinentale ne devrait être concevable qu’en riposte à une attaque vérifiée.

Souhaitant apparaître comme des acteurs responsables, MM. Perry et Collina n’en proposent pas moins – sans doute sous l’influence du premier – que l’Amérique puisse maintenir « un arsenal puissant mais modeste tant que des armes nucléaires sont détenues par d’autres pays » (p. 106). Les missiles sol-sol intercontinentaux seraient supprimés. Les forces américaines se limiteraient à 10 SNLE de la classe Columbia, complétés par des bombardiers B-21. Ceci permettrait, à les en croire, une économie de dix milliards de dollars par mois. Les défenses antimissiles du territoire seraient également réduites. Mais le système de commandement, contrôle et communications ferait l’objet d’une attention soutenue et d’un effort particulier. 

De manière notable, les auteurs se prémunissent contre l’argument consistant à suggérer qu’en l’absence d’une recapitalisation complète de la triade stratégique, le processus de maîtrise des armements ne pourrait recueillir l’assentiment du Congrès : ils estiment que, dans un tel cas, la poursuite de ce processus n’en vaudrait pas la peine. Espérant que de telles décisions feraient à nouveau de l’Amérique un leader dans le domaine de la non-prolifération, les deux auteurs vont jusqu’à dire que la prorogation du Traité de non-prolifération des armes nucléaires en 1995 fut une erreur : elle aurait conduit à relâcher la pression sur les Cinq…

En dépit de l’aura de M. Perry, cette vision ne sera pas consensuelle au sein du camp démocrate – et le Carnegie Endowment prépare, de son côté, un texte destiné à former la base d’une future Nuclear Posture Review dont tout indique qu’il sera plus « centriste » que l’ouvrage de MM. Perry et Collina.

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William J. Perry & Tom Z. Collina, The Button. The New Nuclear Arms Race and Presiden-tial Power From Truman to Trump, Dallas, BenBella Books, 2020 (335 pages).

Bruno Tertrais

Bulletin n°79, septembre 2020



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