Russie-Israël : la Syrie, nouvel enjeu structurant de la relation israélo-russe

Introduction

Les relations israélo-russes ont gagné en profondeur depuis l’intervention militaire de la Russie en Syrie. Moscou et Tel-Aviv ont bâti depuis 1991 une relation spéciale qui repose sur des acquis singuliers. La présence de près de 1,5 million d’Israéliens russophones en Israël, qui se sont érigés en arbitre de la vie politique de l’État hébreu, en est un. Leur attachement à une forme de « sacralité » du rôle joué par l’Armée rouge lors de la Seconde guerre mondiale et le rejet catégorique de toute forme de relecture de ce conflit, en est un autre. La qualité et l’étanchéité de cette relation est apparue au grand jour lorsqu’Israël s’est abstenu de condamner la Russie pour l’annexion de la Crimée en 2014 et n’a pas non plus pris part aux sanctions euro-atlantiques.

L’intervention militaire réussie de la Russie en Syrie a enrichi le partenariat israélo-russe d’un nouveau volet. Moscou et Tel-Aviv sont depuis 2015 « voisins » au Levant, et le Kremlin fait de plus en plus office d’acteur sécuritaire pour l’État hébreu. La Russie prétend par ailleurs jouer un rôle sur le dossier israélo-palestinien, sans être pour autant parvenue jusqu’à présent à convaincre Tel-Aviv de sa centralité, et ce, malgré ses succès militaires syriens. Enfin, leur relation bilatérale dispose aussi d’un volet commercial non négligeable, Israël demeurant une des rares sources occidentales de technologies pour la Russie, depuis l’entrée en vigueur des sanctions liées à la crise ukrainienne en 2014.

La Russie, un acteur de la sécurité d’Israël

Depuis l’insertion militaire de Moscou dans le conflit syrien fin septembre 2015, Israël a pris pragmatiquement acte du fait que la Russie s’est réinstallée durablement dans son voisinage immédiat. Quelques jours avant le déclenchement de l’opération russe en Syrie, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’était ainsi rendu à Moscou afin de s’entendre sur des mécanismes dits de « déconfliction », permettant d’éviter un incident entre Tsahal et les premiers appareils russes qui étaient alors déployés, à l’étonnement général, par la Russie en Syrie.« Israel, Russia to Coordinate Military Action on Syria: Netanyahu », Reuters, 21 September 2015.

Le poids des représentations

Deux perceptions partagées mutuellement par Vladimir Poutine et Benyamin Netanyahou permettent d’expliquer en partie le langage commun qu’ils ont rapidement adopté en Syrie. Tous deux éprouvent d’emblée une méfiance instinctive à l’égard des soulèvements populaires qui secouent l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient en 2011, et qui reçoivent le nom de « printemps arabes ». Les deux hommes d’État estiment qu’il s’agit plutôt d’un « printemps islamiste ».« Netanyahu Outfoxed Russia, Iran and ISIS with his Cynical, Ruthless Syria Policy », Haaretz, 17 March 2019. En Syrie, Benyamin Netanyahou redoute qu’il ne profite avant tout à Téhéran. Pour Vladimir Poutine, qui est prompt à établir un parallèle avec les « révolutions de couleur » qui ont affecté l’espace post-soviétique dans la première moitié des années 2000, la « révolution syrienne » s’apparente à un modus operandi visant à réaliser un nouveau changement de régime au Moyen-Orient. La seconde perception commune est celle de free rider qu’ils entretiennent l’un à l’égard de l’autre. À tort ou à raison, la Russie reste perçue côté israélien comme un des rares acteurs capables de bouleverser le rapport de force régional dans le voisinage de l’État hébreu, à travers la livraison d’armements qu’Israël considère comme irraisonnée à des pays comme l’Iran ou la Syrie, et qui peuvent aboutir, en fin de compte, entre les mains du Hezbollah libanais. Côté russe, on perçoit Tel-Aviv comme un des derniers acteurs régionaux qui dispose aujourd’hui encore de la capacité à ruiner les efforts de Moscou pour maintenir en place le régime de Damas. Aussi, le dialogue et les mécanismes établis très tôt, au plus haut niveau, entre Benyamin Netanyahou et Vladimir Poutine, ainsi que les états-majors russe et israélien,Russes et Israéliens ont établi dès 2015 une ligne de communication entre la base russe de Hmeimim et le centre de commandement israélien de Kiriya, situé à Tel-Aviv. visent aussi bien à éviter des accidents entre Tsahal et les forces armées russes, qu’à canaliser les intentions de l’autre dans le contexte syrien.

Le facteur iranien dans les relations russo-israéliennes

Aujourd’hui, alors que le régime de Bachar el-Assad n’est plus au bord de l’effondrement, Israël a vu se matérialiser un des pires scénarii qu’il redoutait : une Syrie, certes sauvée de l’effondrement par Moscou, mais en voie de réunification sous l’influence de Téhéran.Chuck Freilich, « Syria’s Assad Regime Won the Civil War », Haaretz, 10 March 2019. Bien que l’État hébreu ait adopté dès le début de la guerre civile syrienne une posture en retrait, l’accroissement de l’empreinte iranienne en Syrie est perçu à Tel-Aviv comme une menace existentielle qui est susceptible de justifier une intervention militaire israélienne. Israël a établi deux « lignes rouges », sur fond de renforcement de la présence iranienne dans la république arabe : le Golan et le Hezbollah. Tandis que le premier ne doit pas devenir une base pour le lancement d’attaques contre le territoire israélien, la milice libanaise ne doit pas chercher à s’y installer, ni ne recevoir du matériel sophistiqué remettant en cause, même localement, la supériorité d’Israël. L’Iran, qui a drainé, entrainé, payé et armé des dizaines de milliers de miliciens chiites partis combattre en Syrie, a aussi déployé des unités de Gardiens de la révolution, étendrait désormais ses infrastructures militaires sur le territoire syrien et y construirait des usines pour la confection d’armes, notamment à destination du Hezbollah.« Iran Wants to Stay in Syria Forever », Foreign Policy, 1st June 2018. Une Syrie sous l’emprise de Téhéran n’est toutefois ni dans l’intérêt d’Israël, ni dans celui de la Russie, tandis que Bachar el-Assad ne souhaite être la créature ni des Russes, ni des Iraniens.

Au terme de bientôt quatre années d’intervention militaire russe, Israël perçoit Moscou comme un acteur sécuritaire de premier plan dans le contexte syrien, et de loin, celui qui dispose du plus grand nombre de leviers sur Téhéran.Entretien de l’auteur avec un expert israélien sur les enjeux de sécurité d’Israël, mars 2019. À tort ou à raison, les Israéliens estiment que ces leviers (échanges économiques russo-iraniens, coopération militaro-technique, projet de nouvelle tranche à la centrale nucléaire de Bouchehr…) peuvent s’avérer suffisamment puissants pour obtenir à terme un retrait de l’Iran et de ses supplétifs de Syrie. L’ascendant diplomatique et militaire russe sur l’Iran a encore été conforté par la décision de Donald Trump de retirer les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 (JCPOA), et par le neo-containement que l’administration américaine met depuis à l’œuvre contre la république islamique. Aussi, aujourd’hui, Israël attend de la Russie qu’elle fasse le nécessaire afin de contribuer dans un premier temps au retrait de toutes les forces iraniennes et pro-iraniennes du Golan, puis, dans un second temps, de Syrie.Ibid. Cette approche s’apparente à une forme de pis-aller pour l’État hébreu qui, en dehors de ses frappes ponctuelles contre des objectifs désignés comme iraniens ou assimilés en Syrie, n’a guère d’autres options (en dehors de celle de déclencher une opération de grande ampleur). Israël regarde avec inquiétude la fusion par les Iraniens des milices chiites arabes et afghanes (comme la division Fatemiyoun, constituée de Hazaras afghans) dans l’armée syrienne, et leur déploiement sous uniforme syrien aux abords immédiats de la frontière avec Israël. Plus inquiétant pour le long terme, les Israéliens estiment assister à un processus de « chiisation » du sud syrien mis en œuvre par Téhéran à travers l’importation de populations chiites à qui la nationalité syrienne est octroyée et qui sont réinstallées dans les zones limitrophes de l’État hébreu. Vu de Tel-Aviv, personne ne peut écarter, que, d’ici quelques années, l’Iran mette en avant la nécessité de protéger ces populations afin de justifier a posteriori sa présence militaire.Entretien de l’auteur avec un expert militaire israélien, mars 2019.

Si l’expulsion des Iraniens et des milices chiites pro-iraniennes hors de Syrie paraît être un objectif hors de portée des Russes, il en va autrement du Golan. Bien que Moscou considère de jure ce territoire comme syrien et occupé par Israël,« Russia rejects Israel’s claim to Sovereignty over Golan Heights », Middle East Monitor, 12 October 2018. de facto, l’aviation russe ne le survole jamais, semblant indiquer que la Russie n’entend pas remettre en question la mainmise israélienne sur ce plateau. Fin juillet 2018, l’envoyé spécial du président russe pour le Moyen-Orient, Alexandre Lavrentiev, déclarait que les milices chiites et les forces pro-iraniennes avaient quitté le Golan, et s’étaient retirées jusqu’à 85 kilomètres de la ligne de démarcation « Bravo », emportant avec eux leur armement lourd.« Iranian Forces Withdraw 85km from the Demarcation Line at Golan Heights », TASS, 31st July 2018. Or, il paraît douteux que les Iraniens aient accepté de se retirer de Damas comme de la mosquée Sayyida Zeinab – haut lieu de pèlerinage chiite – tous deux situés à moins d’une cinquantaine de kilomètres de la zone démilitarisée. Cela suppose donc que, au minimum, la ligne à laquelle faisait allusion Alexandre Lavrentiev n’était pas située à une distance uniforme de la frontière syro-israélienne. Lors de sa dernière visite à Moscou fin février 2019, Benjyamin Netanyahou aurait par ailleurs présenté des cartes à Vladimir Poutine établissant la présence masquée iranienne près du Golan,«Нетаньяху приехал к Путину предупредить о войне» [« Netanyahou est venu voir Poutine pour le mettre en garde contre la guerre »], Московский Комсомолец, 27 февраля 2019. mettant ainsi en doute la capacité des Russes à interdire son accès aux Iraniens et à leurs affidés. Si les Israéliens semblent donc bien au fait des résultats à ce jour limités de la Russie pour enrayer l’expansion iranienne sur le plateau du Golan et au-delà, en Syrie, ils persistent néanmoins à voir dans Moscou le seul acteur qui dispose des leviers adéquats sur Téhéran, et, en l’absence d’autres options, l’unique interlocuteur valable avec qui il convient de maintenir un dialogue étroit sur cet enjeu.

L’État hébreu, qui a de facto accepté la présence à moyen terme de Bachar al-Assad, se contenterait bien d’une réactualisation du « gentlemen’s agreement » qui prévalait avec Damas jusqu’à 2011, et qui a garanti la relative stabilité de la frontière syro-israélienne pendant quatre décennies. C’est précisément l’un des points sur lesquels Donald Trump et Vladimir Poutine se sont entendus lors de leur rencontre à Helsinki en juillet 2018 : garantir la sécurité à la frontière de l’État hébreu, selon la ligne de 1974. Le déploiement d’unités de la police militaire russe sur le Golan début août 2018, peu après la rencontre entre les deux présidents, constituait un geste visant à démontrer l’engagement de Moscou sur ce dossier. Ces unités patrouillent depuis le long de la ligne « Bravo » et ont aussi permis le retour de la mission de maintien de la paix onusienne qui avait été évacuée en 2012. En tout état de cause, la Russie prévoit de déployer huit points d’observation le long de la zone démilitarisée.

Rappelons que l’État hébreu, pendant un temps, envisageait la restitution du Golan à la Syrie en échange de la signature d’un accord de paix,En 2007, sous Ehud Olmert, par l’intermédiaire de la Turquie, puis encore sous Benyamin Netanyahou, en 2010, sans que cela n’aboutisse, dans les deux cas, sur un accord de paix. selon le principe « terre contre paix ». Il s’agit là d’un scénario que Moscou verrait bien, à plus long terme, prendre forme. En ce sens, la déclaration du Président Trump le 21 mars 2019 portant sur la souveraineté israélienne sur le Golan ruine les efforts russes et a été logiquement sévèrement critiquée par Moscou.«Комментарий Департамента информации и печати МИД России в связи с намерением США признать суверенитет Израиля над Голанскими высотами» [« Commentaire du département des relations publiques du ministère russe des Affaires étrangères sur l’intention des États-Unis de reconnaître la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan »], site du ministère russe des Affaires étrangères, 22 mars 2019.

Bachar el-Assad : « The Devil we Know »

Face aux difficultés que les Russes éprouvent à mitiger l’empreinte iranienne en Syrie, la préservation de l’État syrien semble émerger comme un point de convergence entre Moscou et Tel-Aviv. Tous deux considèrent en effet que, en dernier ressort, seul un pouvoir central fort sera en mesure d’exiger le départ de l’allié iranien. Afin de favoriser cette issue, Russes et Israéliens ont des approches différentes. Moscou a entrepris de refondre l’armée syrienne en créant de nouvelles unités (4e Corps, 5e Corps notamment)La création du 6e Corps ferait actuellement l’objet de pourparlers entre Russes et Turcs. construites, à la différence des milices pro-iraniennes, sur une base pluriethnique et pluriconfessionnelle.Igor Delanoë, « Ce que la Russie a gagné de son intervention militaire en Syrie », Orient XXI, 9 octobre 2018. Dans cette optique, Moscou peut compter sur ses liens historiques forgés avec l’élite militaire syrienne, largement formée dans les écoles soviétiques, et miser aussi sur le fait que l’armée syrienne est familière du matériel militaire de facture soviétique et russe. Le fil conducteur de la Russie consiste à renforcer l’appareil sécuritaire syrien afin qu’il compte moins sur les ressources iraniennes, conduisant Damas, en fin de compte, à demander le départ des Iraniens. Côté israélien, les frappes que l’État hébreu conduit régulièrement en Syrie, et qui sont désormais assumées au plus haut niveau à Tel-Aviv,« In Rare Acknowledgement, Israel Confirms Strike on Iran Weapons caches in Syria », The Times of Israel, 13 January 2019. visent tout autant à détruire le dispositif iranien, qu’à envoyer à Bachar el-Assad le signal qu’il n’a rien à gagner à laisser Téhéran s’installer en Syrie. Ces frappes, réalisées avec le discret assentiment de Moscou qui « ferme les yeux », conviennent à la Russie dans la mesure où elles s’inscrivent dans cette logique visant, par attrition, à amenuiser l’empreinte iranienne.

Cette approche israélienne a trouvé ses limites en septembre 2018, lorsqu’un avion russe de reconnaissance et de renseignement Il‑20 a été abattu malencontreusement par la défense anti-aérienne syrienne, alors que des F‑16 israéliens se livraient à de nouvelles frappes. La réaction du ministère russe de la Défense, qui s’est empressé de dénoncer la responsabilité d’Israël dans cet accident, trahit une forme d’exaspération vis-à-vis des bombardements israéliens à répétition en Syrie. Les explications fournies par les militaires israéliens venus à Moscou, et qui ont affirmé avoir respecté le mémorandum sur la « déconfliction » mis au point en septembre 2015, n’ont pas convaincu leurs homologues russes. Cette vive réaction de la Russie, au-delà de l’accident, traduit des dissonances au sein de l’élite politico-militaire russe au sujet de la teneur de la coopération avec l’Iran en Syrie, et de l’équilibre à maintenir vis-à-vis d’Israël à ce sujet. Ainsi, en novembre 2017, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, rappelait que la présence des forces iraniennes en Syrie était légale dans la mesure où elles s’y trouvaient à l’appel de Damas.« Russia Did Not Promise to Ensure Withdrawal of Pro-Iranian Troops from Syria », Ria Novosti, 14 November 2017. Toutefois, quelques mois plus tard, Alexandre Lavrentiev laissait explicitement entendre que les forces étrangères, y compris le Hezbollah et les soldats iraniens, avaient vocation à quitter la Syrie.« Foreign Contingent Must Leave Syria », Ria Novosti, 18 May 2018. Quant aux frappes israéliennes à répétition, désormais pleinement assumées par Benyamin Netanyahou contre l’avis d’une partie de son état-major,« Netanyahu Again Confirms Syria Strike, Contrary to Position of Top Brass », Haaretz, 13 February 2019. elles exercent, à dessein, une pression accrue sur la coopération russo-iranienne, et ont fini par exaspérer le ministère russe de la Défense, comme cela a été illustré en septembre 2018. Les dernières frappes israéliennes intervenues en Syrie les 20 et 21 janvier 2019, sans que les S‑300 délivrés par Moscou à Damas en octobre 2018 ne soient entrés en action,Ces systèmes semblent à ce jour sous le contrôle de personnels russes. ont fait réagir le président de la Commission parlementaire iranienne pour les questions de sécurité nationale et de politique étrangère, Heshmatollah Falahatpisheh (conservateur modéré). Il s'est fait l'écho de sérieuses critiques au sujet de « l'étonnante » inactivité des batteries de S‑300 pendant les raids israéliens.« Russian S-300s not Active during Attack in Syria », IRNA, 24 January 2019. Ces propos ne reflètent toutefois pas la position officielle du ministère iranien des Affaires étrangères, mais une "humeur" qui traverse certains cercles à Téhéran. Or, les militaires russes restent pleinement au fait que le soutien des forces russes déployées en Syrie repose sur deux principaux points d'entrée : le port de Tartous et la base aérienne de Hmeimim. Si le premier est principalement tributaire de la liberté de navigation à travers les détroits turcs, le second dépend du libre accès aux espaces aériens iranien et irakien. Qu’adviendrait-il si l’Iran décidait de fermer son ciel aux appareils russes, suite, par exemple, à une énième vague de frappes israéliennes contre ses intérêts en Syrie, sans que la Russie ne réagisse ?Rappelons l'épisode de la base d'Hamadan, au cours duquel l'Iran a décidé de fermer l'accès à Moscou à cette base aérienne en août 2016, après que les médias en Russie aient révélé l'usage qu'en faisaient les forces aérospatiales russes. En outre, en août 2018, les autorités irakiennes ont contraint un avion russe, à destination de la Syrie, à rebrousser chemin vers l'Iran, avant de l'autoriser dans un second temps à traverser le ciel irakien. « Iraq blocks Russian Warplane from Using its Airspace », Al-Masdar News, 31 August 2018.

Moscou réalise donc un numéro d’équilibrisme bien compris par les Israéliens qui n’hésitent pas à placer délibérément la Russie dans une position d’inconfort afin de lui rappeler l’objectif final recherché : un retrait complet de l’Iran de Syrie.Cet inconfort était palpable suite à l’entretien accordé par Benyamin Netanyahou à des journalistes israélien lors de sa visite à Moscou en février 2019, au cours duquel il déclare que « le retrait des forces iraniennes de Syrie est un objectif partagé par Israël et la Russie ». Cet affichage a été maintes fois critiqué anonymement par des sources diplomatiques russes. « С сокращенным дружественным визитом» [« Une visite amicale écourtée »], Коммерсант, 28 февраля 2019.  Le régime iranien a beaucoup trop investi en Syrie depuis 2011, aussi bien financièrement (environ 30 milliards de dollars depuis 2011)« Iran Wants to Stay in Syria Forever », art. cit. que militairement et politiquement, pour s’en retirer abruptement et unilatéralement. Enfin, de récents signaux tendent à indiquer qu’il envisage au contraire de pérenniser sa présence en Syrie : au 1er octobre 2019, le port de Lattaquié devrait ainsi passer sous contrôle iranien. La récente réunion des chefs d’états-majors iranien, irakien et syrien le 18 mars à Damas aurait ainsi eu, entre autres objets de discussion, celui de l’axe commercial Iran-Irak-Syrie dont l’aboutissement au Levant serait le port syrien.«Иран договаривается с Сирией и Ираком без России» [« L’Iran s’entend avec la Syrie et l’Irak, sans la Russie »], news.ru, 18 марта 2019.

Le JCPOA : des postures russe et israélienne peu compatibles

Les postures respectives de Moscou et Tel-Aviv vis-à-vis du JCPOA constituent un point de divergence. Benyamin Netanyahou a régulièrement émis de vives critiques au sujet de ce qu’il n’hésitait pas à désigner comme une « erreur historique » commise par l’administration Obama, à propos de la signature de l’accord. Moscou, pour sa part, avait fortement contribué à l’aboutissement du JCPOA. Si la décision de Donald Trump de retirer les États-Unis de l’accord a été applaudie par le Premier ministre israélien, les cercles militaires en Israël se montrent en revanche plus réservés et ne partagent en tout cas pas l’analyse faite par Benyamin Netanyahou sur le JCPOA.Yuri Barmin, « Russia and Israel: The Middle Eastern Vector of Relations », RIAC Working Paper, 42/2018, pp. 13-14. Aujourd’hui, Washington cherche à amener Téhéran à une reddition intégrale, et n’envisage de renégocier un nouvel accord que s’il inclut non seulement les aspects nucléaires, mais aussi le programme balistique iranien et l’expansion iranienne au Moyen-Orient. Cette approche correspond aux attentes de Tel-Aviv et, de plus en plus semble-t-il, à celles des Européens. En revanche, Moscou s’oppose à amender le JCPOA, même si la Russie a toujours conservé une méfiance vis-à-vis des ambitions balistiques iraniennes.Contrairement aux États-Unis, le territoire russe, dans sa partie sud, est depuis des années à portée des missiles iraniens. En toute hypothèse, il ne faut pas s’attendre à ce que le Kremlin intègre le facteur syrien dans d’éventuelles futures négociations visant à refondre le JCPOA.

Moscou : un intermédiaire à la crédibilité renouvelée pour le règlement de la question israélo-palestinienne ?

Une crise qui s’insère dans l’agenda de puissance retrouvée par Moscou au Moyen-Orient

Le conflit israélo-palestinien fait partie des dossiers brûlants qui jonchent l’agenda stratégique régional, avec le règlement des crises en Syrie, au Yémen et en Libye. Suite à son insertion militaire réussie en Syrie et à sa campagne victorieuse pour remettre en selle le régime de Damas, le Kremlin a retrouvé le statut de puissance au Moyen-Orient dont il avait été déchu après 1991. Le crédit d’influence accumulé par Moscou sur le dossier syrien pourrait être investi par la Russie dans le règlement d’une de ces crises afin de le faire fructifier. La conclusion par l’entremise du Kremlin d’un accord politique menant au règlement d’une crise majeure au Moyen-Orient permettrait en effet de transcender les succès enregistrés en Syrie qui reposent tout autant sur l’utilisation du hard power que sur la capacité du Kremlin à discuter avec tous les acteurs du conflit syrien. Ce dernier atout s’est cependant jusqu’à présent révélé insuffisant en vue de la conclusion d’un accord ouvrant la voie à une transition politique en Syrie.

Dans ce contexte, s’impliquer dans le règlement du conflit israélo-palestinien présente un intérêt évident tout autant qu’un risque aux yeux de Moscou. Tout en demeurant en faveur d’une solution à deux États, la position russe a néanmoins évolué sur la question de Jérusalem : depuis avril 2017, Moscou considère Jérusalem-Ouest comme la capitale d’Israël et Jérusalem-Est, comme celle du futur État palestinien.« Foreign Ministry Statement regarding Palestinian-Israeli Settlement », site du ministère russe des Affaires étrangères, 6 avril 2017. La Russie bénéficie, sur ce dossier comme sur les autres, d’une aura liée à ses succès en Syrie. Elle a vu en outre son statut de médiateur du Quartet rehaussé à la suite de la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël, ce qui a disqualifié, aux yeux des Palestiniens, Washington de son rôle de médiateur principal dans le règlement du conflit. Toutefois, les Russes restent au fait que le dossier israélo-palestinien présente un risque élevé de dilapidation du capital d’influence qu’ils ont chèrement acquis en Syrie. Rappelons que dès 2007, le Kremlin émettait l’idée de tenir une conférence pour la paix à Moscou, sans que cette proposition ne se matérialise par la suite. En septembre 2016, la capitale russe était censée abriter une rencontre directe entre Mahmoud Abbas et Benyamin Netanyahou, mais cette réunion – qui aurait été la première entre les deux hommes depuis 2010 – n’a pas eu lieu, les deux parties s’accusant mutuellement d’avoir fait échouer sa tenue. Si les Palestiniens continuent à se déclarer disponibles et prêts à rencontrer les Israéliens, ces derniers – qui n’ont pas formellement refusé le principe d’une conférence à Moscou – semblent louvoyer et éviter d’aborder le sujet avec les Russes.

Réussir la réconciliation intra-palestinienne

La Russie a parallèlement entrepris de travailler à la réconciliation des différentes factions palestiniennes. Ces efforts s’inscrivent dans une approche qui consiste tout autant à créer les conditions propices à la tenue d’une conférence pour la paix, qu’à éviter une escalade intra-palestinienne. Dans cette optique, Moscou bénéficie des efforts de l’ÉgypteLe Caire est parvenu à favoriser la création d’un gouvernement d’unité nationale palestinien en octobre 2017, qui a depuis fait long feu. ainsi que de ses canaux de communication établis directement aussi bien avec l’Autorité palestinienne, qu’avec le Hamas. La dernière réunion visant à aboutir à une réconciliation intra-palestinienne s’est tenue à Moscou du 11 au 14 février 2019, sous les auspices de l’Institut des études orientales de l’Académie des Sciences de Russie, et n’a débouché sur aucune avancée.« Moscow Keeps Calm with Palestinian Reconciliation, undermines Trump's 'Deal of the Century' », Al-Monitor, 17 February 2019. Les parties ont été dans l’incapacité de s’entendre sur une déclaration commune. Pour l’Autorité palestinienne, c’est la position maximaliste du Hamas, sur la question des frontières et de Jérusalem notamment, qui torpille les efforts russes, et ferait par la même occasion « le jeu d’Israël ».Entretien de l’auteur avec un diplomate arabe à Moscou, mars 2019. L’objectif qui consiste à créer un consensus entre les Palestiniens paraît néanmoins bien plus à portée de main de la diplomatie russe, que celui de l’organisation d’une conférence israélo-palestinienne pour la paix. Un succès russe sur le dossier de la réconciliation intra-palestinienne constituerait en outre une première étape en vue de la tenue d’une telle conférence à Moscou, ou ailleurs. Organisée sous les auspices de l’ONU, cette conférence pourrait aussi être un prétexte à la réactivation du Quartet.

Les efforts, jusqu’à présent stériles, déployés par la Russie sur le dossier israélo-palestinien peuvent donner l’impression que Moscou cherche plus à démontrer sa capacité à maintenir le dialogue avec les différentes parties, qu’elle n’est en position de jouer un rôle central. Le Kremlin ne paraît guère être en mesure d’influencer de manière déterminante le règlement de la crise, ni de faire pression sur les Israéliens et les Palestiniens pour les amener à un compromis. Moscou manque en effet de leviers sur eux : les premiers attendent « l’accord du siècle » censé être proposé par l’administration Trump, et les relations économiques palestino-russes se résument à une dizaine de millions de dollars d’échanges entre 2007 et 2017.Statistiques du Service fédéral des douanes russes. Toutefois, Israéliens comme Palestiniens tiennent aussi à maintenir les canaux ouverts avec Moscou sur le dossier israélo-palestinien. Tel-Aviv estime, à tort ou à raison, qu’éconduire ouvertement les propositions de bons offices formulées par les Russes pourrait avoir des répercussions négatives sur le dialogue noué avec eux en Syrie. Pour les Palestiniens, les liens avec la Russie s’inscrivent dans une stratégie globale de survie de l’administration Abbas, tout autant que dans les efforts déployés à l’international pour soutenir la cause d’un État palestinien.

La dynamique sur laquelle pouvait éventuellement capitaliser le Kremlin dans le sillage de son succès militaire en Syrie s’est épuisée, et n’a en tout cas pas semblée suffisante pour convier une conférence pour la paix à Moscou en septembre 2016. À l’évidence, les bonnes relations que la Russie entretient avec l’Égypte, comme avec Israël, de même que l’épanouissement des liens entre Moscou et les pétromonarchies du Golfe servent la contribution russe, toute limitée qu’elle soit, au dossier israélo-palestinien. En outre, un règlement politique du conflit syrien pourrait potentiellement rejaillir positivement sur le règlement du conflit israélo-palestinien. Toutefois, à ce jour, la valeur ajoutée russe se situe bien au niveau des efforts que le Kremlin concentre en vue de réaliser l’unité palestinienne.

Des échanges commerciaux et des investissements à la recherche d’un nouveau souffle

Au cours des dix dernières années, Israël et la Russie ont réalisé en moyenne 2,7 milliards de dollars d’échanges annuels. Comme avec l’immense majorité de ses partenaires économiques, la balance commerciale russe avec Israël demeure structurellement excédentaire (voir Tableau 1 ci-dessous). En 2018, la Russie était le 19e partenaire commercial de l’État hébreu, qui pour sa part était le 3e partenaire économique de Moscou en 2017 sur la zone Moyen-Orient (41e au niveau mondial).Seules les statistiques portant sur les trois premiers trimestres de 2018 étaient disponibles côté russe au moment de la rédaction de ces lignes. L’Égypte est incluse dans la zone Moyen-Orient pour les besoins de la présente étude, mais pas le reste des pays d’Afrique du Nord. Israël importe de Russie principalement des hydrocarbures, des diamants bruts, des métaux et des céréales. Pour sa part, la Russie importe de l’État hébreu des produits agricoles et pharmaceutiques, des machines et des systèmes électroniques ainsi que des produits raffinés issus de l’industrie pétrochimique. Sur la période 2007-2017, le commerce israélo-russe représente environ 6,6 % des échanges commerciaux entre la Russie et les pays du Moyen-Orient (Égypte incluse).

  • Le commerce russo-israélien, 2008-2018
    (millions de dollars)

 

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018*

Exportations russes

2 034

1 044

1 763

1 757

1 631

2 085

2 291

1 540

1 464

1 667

1 538

Importations russes

736

637

825

1 093

1 286

1 489

1 142

806

722

824

550

Volume
commercial

2 770

1 681

2 588

2 850

2 917

3 574

3 433

2 346

2 186

2 491

2 088

Source : Service fédéral des douanes russes

* Pour 2018, seuls les trois premiers trimestres sont comptabilisés.

Ces chiffres incluent les importations israéliennes en hydrocarbures et diamants.

Après avoir accusé le choc de la crise économique de 2008-2009, les échanges commerciaux russo-israéliens sont repartis à la hausse dès 2010 et ont retrouvé leur niveau ante crise en 2011. Ils n’ont cessé d’augmenter en volume jusqu’à atteindre leur maximum pour la période en 2013, plus de 3,5 milliards de dollars, soit plus du double des échanges enregistrés en 2009. Depuis 2014, le volume du commerce israélo-russe connaît une tendance générale à la contraction. Compte-tenu des chiffres partiels disponibles pour l’année passée, 2018 devrait cependant connaître une stabilisation de cette dynamique avec un commerce bilatéral qui pourrait s’établir à environ 2,5 milliards de dollars, ce qui correspondrait alors globalement au niveau des échanges de 2017. Afin de donner une nouvelle impulsion à leurs échanges commerciaux, Russes et Israéliens négocient depuis plusieurs années l’instauration d’une zone de libre-échange entre l’État hébreu et l’Union économique eurasiatique (UEE). Après plusieurs tours de discussions, qui n’ont en rien compromis la volonté politique partagée de faire aboutir ce projet, les documents formalisant la création de cette zone pourraient être signés en 2019.« Israel and Iran both set to Join Russia-led Free Trade Zone », The Times of Israel, 12 February 2019. Ironie du sort, l’instauration d’une zone de libre-échange avec l’UEE pourrait intervenir concomitamment avec Israël et l’Iran.

  • Le commerce russo-israélien, 2008-2018
    (millions de dollars)

Source : Service fédéral des douanes russes

* Pour 2018, seuls les trois premiers trimestres sont comptabilisés.

Israël est la troisième source pour les flux d’investissements directs étrangers (IDE) réalisés en Russie par des pays du Moyen-Orient, avec près de 217 millions de dollars investis depuis 2007 dans l’économie russe, loin derrière la Turquie (plus de 1,6 milliard d’IDE accumulés en Russie) et les Émirats arabes unis (334 millions de dollars investis sur 2007-2017). Depuis le début des années 2010 et jusqu’à l’année 2014 incluse, Israël était le second pays moyen-oriental émetteur de flux d’IDE à destination de la Russie. Cette seconde place lui a été ravie en 2015 par Abou Dhabi qui, depuis, voit ses IDE augmenter d’année en année en Russie. Cette tendance devrait se confirmer en 2018 : au terme des trois premiers trimestres de 2018, les Émirats ont déjà investi près de 307 millions de dollars – un record pour les investissements émiratis en Russie (hors fonds souverains) – dans l’économie russe, tandis que les investissements israéliens s’élèvent pour la même période à 21 millions de dollars.Source : Banque centrale de Russie. En 2017, on a noté un reflux des IDE israéliens en Russie, avec une contraction de l’ordre de 81 millions de dollars. D’une manière générale, les investissements israéliens en Russie portent sur des projets agricoles, par exemple dans les oblasts de Lipetsk et Voronej, tandis que des projets similaires ont été amorcés par ailleurs dans la région de Saratov.«ТПП Саратовской области и Федерация торговых палат Израиля подписали соглашение» (« La Chambre de commerce et d’industrie de Saratov et la Fédération des chambres de commerce d’Israël signent un accord »), vzsar.ru, 15 mars 2016. Les investisseurs israéliens profitent ainsi d’un climat propice aux affaires dans le secteur agricole russe sur fond de politique de substitution aux importations, lancée par Moscou au lendemain de la crise ukrainienne.

  • Flux d’IDE russes et israéliens, 2007-2018*
    (millions de dollars)
 

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018*

IDE russes vers Israël

50

42

25

59

88

86

158

158

16

14

12

-4

IDE israéliens vers la Russie

0

0

-5

39

32

37

83

76

12

24

-81

21

Source : Banque centrale de Russie

*Pour 2018, seuls les trois premiers trimestres sont comptabilisés.

  • Flux d’IDE russes et israéliens, 2007-2018*
    (millions de dollars)

Source : Banque centrale de Russie

* Pour 2018, seuls les trois premiers trimestres sont comptabilisés.

L’État hébreu est à l’origine de 9,1 % des flux d’IDE moyen-orientaux à destination de la Russie sur la période 2007-2017. Inversement, Israël n’attire que 4,6 % des IDE russes à destination du Moyen-Orient sur la même période.

Enfin, le dynamisme du secteur touristique constitue une autre singularité durable de la relation israélo-russe. En 2017, plus de 331 000 visiteurs russes se sont rendus en Israël, soit près de 9,2 % du contingent de touristes étrangers. La Russie maintient ainsi son rang de deuxième pays émetteur de flux touristiques à destination de l’État hébreu, derrière les États-Unis, malgré deux années consécutives de baisse (2015 et 2016).Bureau central des statistiques israéliennes. Les touristes français ont néanmoins exceptionnellement devancé les Russes en 2016 en se classant second. La baisse des flux touristiques russes en 2015 et 2016 s’explique par la chute des revenus de la population en Russie pour ces deux années.

Conclusion

Le partenariat russo-israélien a acquis suffisamment de profondeur et de densité dans les années 1990 et 2000 pour résister à la mise à l’épreuve que constitue pour lui la crise syrienne. Loin d’être une alliance, il s’apparente plutôt à un rapprochement tactique qui repose aussi bien sur les fondements singuliers de la relation bilatérale (communauté russophone en Israël, rejet du révisionnisme sur la Seconde guerre mondiale…) que sur le pragmatisme qui caractérise Russes et Israéliens dans leurs échanges. Pour autant, dans le contexte moyen-oriental, leurs attentes demeurent asymétriques : tandis que les Israéliens exigent des Russes qu’ils contribuent fortement à réduire à néant l’empreinte iranienne en Syrie, Moscou souhaiterait voir son rôle rehaussé sur le dossier israélo-palestinien.

Le maintien de Bachar el-Assad semble à la croisée des intérêts Russes et Israéliens, tout du moins à moyen terme. S’il semble y avoir un consensus relativement unanime sur cette question à Moscou, à Tel-Aviv, elle divise experts, militaires et politiciens, certains voyant dans le président syrien un pion plus qu’un acteur. Au demeurant, en vertu de l’adage « the devil we know », cette option s’apparente plus à un pis-aller qu’autre chose pour les Israéliens. La « brouille » israélo-russe, qui a fait suite à l’accident de l’Il‑20, semble par ailleurs bien enterrée en ce début d’année 2019 ; c’est en tout cas dans cette optique que Benyamin Netanyahou s’est rendu à Moscou fin février, manifestement avec succès. Pour autant, des points de divergences subsistent entre les deux partenaires. L’État hébreu considère certainement que la Russie est ingrate sur la question du Golan, elle qui persiste à considérer ce plateau comme annexé par Israël. Tel-Aviv attendait peut-être plus de retenue de la part de Moscou sur ce dossier – stratégique pour les Israéliens –, eux qui s’étaient abstenus de condamner le Kremlin en 2014 à l’ONU pour l’annexion de la Crimée. C’est dans cette optique qu’il convient certainement d’interpréter le vote israélien en décembre 2018 à l’ONU en faveur d’une résolution condamnant l’occupation de la péninsule par la Russie.« Israel Joins UN Critics of Russia’s ‘Occupation’ of Crimea », Haaretz, 19 December 2018. Inversement, les Russes s’attendaient probablement à ce que les Israéliens mettent à profit leurs très bonnes relations retrouvées avec Washington depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche afin d’obtenir un assouplissement des sanctions américaines à l’endroit de la Russie. Ceci ne s’est pas produit. Le JCPOA et son devenir constituent un autre point de divergence entre Russes et Israéliens. Enfin, la coopération énergétique entre Israël, Chypre et la Grèce qui s’articule autour de l’exploitation et de l’exportation de leur gaz naturel off-shore à destination de l’Europe place Tel-Aviv et Moscou en position de concurrents sur le marché gazier européen.Thrassy N. Marketos, « Eastern Mediterranean energy Geostrategy on Proposed Gas Export Routes », Note de la FRS, n°11/2018, 8 pages. Le gaz russe y afflue de longue date et les entreprises russes cherchent à y défendre leurs parts de marché, tandis que le gaz de Méditerranée orientale contribuera plus qu’autre chose à la diversification du mix gazier des Européens.

Il subsiste des axes de progression pour la relation israélo-russe. Ainsi, l’ouverture d’une zone de libre-échange entre Israël et l’UEE pourrait faire franchir un nouveau palier au commerce russo-israélien qui semble se heurter à un « plafond de verre » en termes de volume. Moscou et Tel-Aviv éprouvent par ailleurs de la sympathie pour les aspirations des Kurdes syriens à voir leurs droits reconnus. Reste à voir dans quelle mesure cela pourrait se transformer en un authentique point de convergence.

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