"Multi-domain Battle" : comment l'Army se prépare pour une confrontation majeure en 2035 !

DEFENSE&Industries n°10
Jean-Jacques Patry, décembre 2017

Le 17 octobre 2017, Multi-domain Battle (MDB), le concept commun aux deux institutions Army et Marines a été rendu public, après deux années de préparation.

MDB se présente sous deux formes : le nouveau manuel OperationsFM 3.0, Operations, Headquarters Department of the Army, October 2017, 364 p. de l’Army et un document cadre (Concept Paper) servant de guide aux travaux d’approfondissement ouverts aux autres arméesMulti-Domain Battle: Evolution of Combined Arms for the 21st Century 2025-2040, Draft Paper, Version 1.0, October 2017, 79 p.. Du côté des Marines, c’est le document de 2016 : The Marine Corps Operating Concept. How an Expeditionary Force Operates in the 21st CenturyThe Marine Corps Operating Concept: How an Expeditionary Force Operates in the 21st Century, Department of the Navy, Headquarters United States Marine Corps, September 2016, 27 p. qui incarne la perception de MDB.

Le concept prend en compte deux configurations génériques contre un Etat de type « Peer Competitor » ou « Near-Peer Competitor » :

  • Une campagne principale dans le cadre d’une coalition ;
  • Un engagement contre une stratégie hybride visant à inhiber une réplique politique et militaire américaine directe.

In fine, MDB s’applique aux phases de pré-confrontation, du conflit armé et de la sortie de crise. MDB positionne l’Army au sein du Joint Concept for Access and Maneuver in the Global Commons (JAM-GC) de 2015 qui encadre la modernisation de l’ensemble des forces interarmées américaines dans la préparation et la conduite d’un conflit majeur. 

Le processus MDB naît d’une intervention du Deputy Secretary of Defense Bob Work à l’US Army War College en 2015. Dans un environnement dans lequel les adversaires des Etats-Unis disposent de forces en cours de numérisation, de systèmes défensifs performants et de capacités de frappe de précision dans les profondeurs tactiques et opératives, comment l’Army doit-elle se préparer pour vaincre une fois à terre ? L’intervenant appelait au développement d’un « Air Land Battle 2.0 » et invitait l’Army à en développer le contenu. Le premier brouillon est édité en février 2017, sous la forme d’un White Paper exploratoire.

De quoi s’agit-il ? De repositionner l’Army comme acteur à part entière du combat interarmées à venir. 

Après une longue éclipse de près de quinze ans ; une fois éliminées les séquelles des campagnes de contre-insurrection en Afghanistan et en Irak, les forces armées de terre (et les Marines) sont retournées aux concepts des campagnes classiques, là où ils avaient été laissés pour cause de « Guerre contre la terreur ». Le spectre des opérations se recentre sur le haut. En cause : la Chine et ses capacités militaires avancées, et la Russie à l’issue de l’affaire ukrainienne.

Mais les choses ont changé depuis la fin de la décennie 1990. A l’époque l’US Army, couplée à l’US Air Force, disposait d’une doctrine Air Land Battle (ALB) qui en faisait un acteur principal des opérations majeures en Europe. Dans les deux cas contemporains, chinois et russe, le problème consiste à craquer la noix des systèmes de défense anti-aériens multicouches et des capacités de frappes de précision dans la profondeur, restreignant la liberté de mouvement d’une force interarmées projetée. Par conséquent, le défi des capacités Anti Access / Area Denial (A2/AD) est avant tout un problème pour les aviateurs et les marins, dans le duel qui les oppose aux systèmes défensifs régionaux, dont la densité et la sophistication promettent des pertes élevées en cas de confrontation, en défaveur de l’assaillantConference delivered by the Deputy Secretary of Defense Bob Work, U.S. Army War College, Carlisle, PA, April 8, 2015..

Il s’agit donc pour l’Army de retrouver un rôle à sa juste mesure dans un environnement de haute intensité, dans lequel la force interarmées a été segmentée ou en partie déconnectée et ne peut plus lui fournir les appuis nécessaires. Il lui faut donc combattre dans les domaines qui ne sont pas les siens, au moins temporairement.

Pour le Marine Corps, qui rappelons-le est une force intégrée interarmées par destination, le problème se présente de la manière suivante : « The Marine Corps is currently not organized, trained, and equipped to meet the demands of a future operating environment characterized by complex terrain, technology proliferation, information warfare, the need to shield and exploit signatures, and an increasingly non-permissive maritime domain »The Marine Corps Operating Concept… Op.Cit, p. 8.. En d’autres termes, la mission principale des Marines qui consiste à entrer en premier devient problématique, d’autant plus que la zone littorale d’engagement s’urbanise tendanciellement et très rapidement.

Résumons-nous : pour l’Army, une fois entrée sur le théâtre, il faut survivre et prendre la lutte à bras le corps, y compris en intervenant dans les autres domaines aérien, maritime, spatial et cybernétique ; pour les Marines, il faut tout simplement pouvoir entrer ! Le Marine Corps ne sera pas étudié ici, mais dans un prochain article spécialement dédié.

Créer des « fenêtres d’avantages » sur l’ennemi en remplacement d’une supériorité disputée.

Tout d’abord, MDB couvre la période 2025-2040. C’est le temps nécessaire à la maturation de technologies avancées telles que  l’intelligence artificielle, la fabrication additive, les nanomatériaux, et indispensable à la « robotisation » des forces armées américaines, dans leur ensemble. Pour l’Army, le plan de robotisation a été présenté en mars 2017The US Army Robotic and Autonomous Systems Strategy, TRADOC, March 2017, 26 p.. Pour les Marines, il n’existe pas de document officiel comparable (ils dépendent de la Navy pour les programmes), mais une initiative robotique multi-milieux avec expérimentations est en coursSydney J. FREEDBERG Jr., « Semper Robotic: Marines Try Out New Tech, Tactics », Breaking Defense, October 20, 2016. Sydney J. FREEDBERG Jr., « Marines Seek To Outnumber. Enemies With Robots », Breaking Defense, October 25 2016.. MDB va donc nécessairement évoluer, voire se transformer, au fur et à mesure de ces avancées.

Les domaines concernés incluent les milieux aériens, maritimes et terrestres, avec leurs prolongements spatiaux. S’y ajoutent les différentes strates de la cybernétique confondue avec la guerre électronique et maintenant ouvertes aux opérations par des militaires ou des partenaires institutionnalisés (interagences) ou privés. Les champs de bataille des deux prochaines décennies sont donc qualifiés de « Compressed » (comprimé) et de « Congerved » (convergent).

  • « Comprimé » illustre l’abolition des distances géographiques et du temps avec la dissémination mondiale des technologies informationnelles à la disposition du plus grand nombre et utilisables à des fins de propagande, d’intoxication, de sabotage et de subversion. Par conséquent, toutes les forces engagées dans une campagne, même celles qui ne sont pas présentes sur le théâtre des opérations sont menacées comme les forces au contact aussi bien par des munitions de précision à longue portée que par des tentatives de décrédibilisation par fausses nouvelles ou attaques systémiques cyber.
  • « Convergent » constitue le pendant pour la manœuvre amie, puisque le Commandant de la force doit être en mesure de faire converger sur les points faibles adverses détectés, l’ensemble des effets physiques et immatériels disponibles, en utilisant les mêmes domaines.

MDB fait donc un sort aux espérances développées par les concepts précédents hérités de la première vague de numérisation des forces américaines, dont Army After Next (1997), qui misaient sur la supériorité informationnelle pour détecter, traquer et détruire l’ennemi, tout en se protégeant par une parfaite connaissance de ses positionnement et modes d’action (Total Awareness)Robert SCALES, « Battle For Army’s Soul Resumes: Lessons From Army After Next », Breaking Defense, March 28, 2017..

La supériorité opérationnelle obtenue par l’interarmisation et l’interconnexion des forces dirigées contre un ennemi classique non numérisé fait donc place maintenant à la recherche de « fenêtres d’avantage », nécessairement aléatoires et temporaires contre une ennemi durci, qu’il convient de détecter dans un domaine ou l’autre et exploiter au plus vite. Ceci implique une réorganisation des forces terrestres, lesquelles dépendent pour leur efficacité et leur survie d’une intégration poussée avec les autres armées et d’une forte capacité de résilience en cas de rupture momentanée des réseaux.

Des forces terrestres alertes et résilientes, agissant en réseaux  à partir des ensembles technologiques 4.0.

Comment dès lors l’Army se prépare-t-elle pour les deux décennies à venir ?

Plusieurs chantiers, les « Cross-Functional Teams »Sydney J. FREEDBERG Jr., « Army Shifts $1B In S&T, Plans Modernization Command: UnderSec McCarthy », Breaking Defense, December 07, 2017., sont engagés en parallèle pour concrétiser les capacités d’intervention multi-domainesGeneral David PERKINS, « Multi-Domain Battle : The Advent of Twenty-First Century War », Military Review, November-December 2017, pp. 8-13..

Cross-Domain Fires : les feux de précision de longue portée et les moyens cyber afférents pour combiner des effets matériels et immatériels dans les domaines de lutte. Il s’agit de maintenir un ISR permanent à partir d’une multitude de capteurs disséminés et d’en intégrer les informations dans un « méta-réseau » Joint, Inter-organizational, and Multinational (JIM). Les effecteurs terrestres en domaine maritime comprennent la recherche et le développement de nouveaux missiles aérobies de longue portée anti-navires et basés à terre. C’est ici le modèle de défense régionale chinois qui sert d’exemple. Les systèmes déployés par l’Army et le Marine Corps serviront à dissuader et à soutenir la Navy dans l’approche littorale. Pour le domaine terrestre, c’est le programme Extended Range Cannon Artillery (ERCA) qui prend en compte l’allongement des portées des tubes de 155 mm (extension de 40 km recherchée en sus des 24/30 km acquis). Il inclut l’obusier XM907, le projectile à propulsion additionnelle XM1113, un système de chargement automatisé XM654 « supercharge » et un tout nouveau système de contrôle de tirDaniel WASSERBLY, « Picatinny Arsenal advances M777 extended range howitzer », Jane's Defence Weekly, 01 March 2017.. A plus long terme, les missiles ATACMS seront remplacés par des Deep-Strike Missiles de 500 km de portée (Long-Range Precision Fires requirement). Le domaine spatial est couvert par le Program Manager, Positioning, Navigation, and Timing (PM PNT) prenant en compte le remplacement du GPS devenu trop vulnérable aux brouillages et assurant un accès sécurisé à l’ensemble des systèmes ayant besoin de données géoréférencées.

Les domaines de la cybernétique et de la guerre électronique sont désormais confondus. Une nouvelle capacité est à l’étude pour reconstituer l’environnement cybernétique (militaire et civil) de la force et en présenter une situation au Commandant : le programme  Commander's situational understanding of cyber and electromagnetic activities (CEMA SU) vise à concevoir les nouveaux outils nécessairesKashia SIMMONS, « Cyber Quest 2016: Exploring tactics, tools for CEMA situational understanding », TRADOC, August 5, 2016..

La modernisation de l’Army implique une rationalisation des procédures d’acquisition et d’innovation. C’est à quoi va s’employer le Futures & Modernization Command (FMC) installé à l’été 2018. En attendant, ses composantes sont déjà au travail sous la forme de huit Cross-Functional Teams (CRT) dans six domaines prioritaires : Long Range Precision Fires, Next Generation Combat Vehicule, Future Vertical Lift, Networks (deux CRT : l’une sur l’architecture informationnelle sécurisée et l’autre sur le remplacement de la technologie GPS), Air and Missile Defense, Soldier (soldat numérisé et augmenté). La dernière équipe approfondira les systèmes d’apprentissage et d’entraînement par simulation.

Chaque CRT est confiée à un général de brigade ou de division disposant d’une expérience récente de commandement. Sont rassemblées sous ses ordres des équipes du TRADOC, du matériel, du soutien, des spécialistes des armes, des techniciens extérieurs ou des universitaires. Leur mission consiste à qualifier précisément les futurs besoins opérationnels dans leur domaine de compétence, en accompagnement des programmes lourds, de proposer et d’expérimenter des solutions innovantes rapides.

Next Generation Combat Vehicle (NGCV) constitue le second chantier avec la mise en fabrication de deux prototypes pour 2022. Le NGCV doit constituer la famille d’engins blindés pour une manœuvre semi-autonome ou autonome en environnement hautement agressif. Il doit être de petite dimension (engagement en zone urbaine), surprotégé par des dispositifs passifs et actifs, raisonnablement gourmand en carburant et surdoté en munitions à effets différenciés à longue portée. Le véhicule peut opérer avec un équipage à bord ou en semi-autonomie. Pour l’heure, le concept mise sur un transport de troupe 2+6 équipé d’un 50mm. Mais il ne s’agit que d’un démonstrateurBen JUDSON, « Next-Gen Combat Vehicle prototyping kicks off», Defense News, October 10, 2016. Ben JUDSON, « What is the Next-Gen Combat Vehicle? », Defense News, November 3, 2016.. Bien entendu, l’ensemble est numérisé et conçu pour travailler en collaboratif avec des unités semi-robotisées.

Future Vertical Lift (FVL) accompagne NGCV dans la troisième dimension. L’aérocombat figure en bonne place comme outil de renseignement, de force de frappe et de transport de troupes et de soutien pour les opérations « distribuées » dans la grande profondeur ennemie ; de même que pour l’évacuation sanitaire de combattants. La période 2017-2040 correspond, par ailleurs, à la fin de vie opérationnelle des 3.000 appareils de type AH-64 pour l’attaque et UH-60 pour la manœuvre. C’est donc à un remplacement massif de plates-formes que le programme FVL doit répondreDr. Bill LEWIS, « Future Army Aviation Research », Army Technology, March/April 2015, Volume 3, Issue 2, pp. 6-7.. Pour l’heure, les hélicoptères lourds ne sont pas concernés. Il est prévu de moderniser les CH-47 (environ 450 en service de tout type) en CH-47 F Chinook Block II jusqu’en 2060.

FVL Initiative, lancée en 2012, prévoit donc de fabriquer une série de plates-formes conçues à partir de modules communs et chargées de remplacer les actuels vecteurs de reconnaissance, de transports tactiques légers et moyens, d’attaqueJim SNIDER, Future Direction in Future Vertical Lift, American Helicopter Society, 29 April 2010, 29 p.. Dans le cadre de MDB, l’Army a besoin de plates-formes durcies (blindage et systèmes redondants pour pilotage et navigation, autopilotées et téléopérées), capables de déplacements rapides, discrets, avec emport d’équipements lourds sur de grandes distances et en mesure de s’affranchir d’infrastructures sol devenues trop vulnérables. Une expérimentation est en cours avec un démonstrateur pour plate-forme moyenne à partir de deux prototypes. C’est le sous-programme Joint Multi-Role-Technology Demonstrator (JMR-TD) lancé en 2012 et pour lequel se sont positionnés BOEING-SIKORSKY avec le projet SB-1 Defiant, et BELL HELICOPTER et son convertible V-280 Valor.

L’architecture des réseaux (Networks) constitue le chantier suivant, probablement le plus complexe. Deux problèmes se posent : d’une part l’abandon de l’architecture Internet de combat WIN-T, héritière de la première vague de numérisation mais qui, maintenant, se révèle trop vulnérable aux attaques informatiques et cybernétiques et aux brouillages. De plus, les installations fixes nécessaires pour les supports physiques des réseaux deviennent un obstacle à la fluidité de la manœuvre et offrent de trop belles cibles aux frappes physiques adverses. Il faut donc rendre mobiles et durcis des réseaux de transmissions de données toujours aussi nécessaires. S’y ajoute la vulnérabilité du GPS, lequel est une technologie incorporée dans tous les systèmes, capteurs et effecteurs numérisés. Or, la dégradation ou la suppression du signal (déni d’accès spatial, brouillage ou corruption des signaux) réduit considérablement la précision et donc l’efficacité des capacités.

L’ensemble de ces transformations s’opère au moment ou toutes les infrastructures informationnelles du Department of Defense et des armées passent en Cloud confiés à des opérateurs privés.

Air & Missile Defense redevient une préoccupation de survie pour des unités terrestres manœuvrant sous couverture aérienne temporaire et confrontées aux munitions de précision (missiles ou couples hélicoptères-missiles), et aux drones (manœuvres de saturation en essaim). L’architecture antimissile est interarmées, mais il faut la compléter par une densification des systèmes de défense de courte portée (Maneuver Short-Range Air Defense – SHORAD). Les expérimentations en cours se concentrent sur une combinaison de laser de 2 KW, de brouillage radio et de canons automatiques sur plateformes StrykerSydney J. FREEDBERG Jr., «Army Races To Rebuild Short-Range Air Defense: New Lasers, Vehicles, Units », Breaking Defense, February 21, 2017.. Toutefois, la grande affaire réside dans l’Army’s Integrated Air and Missile Defense Battle Command System (IBCS). Il s’agit d’une architecture C2 spécialement destinée à la lutte antiaérienne et antimissile intégrée. Le programme, dont l’Army est l’intégrateur, est encore en phase de tests pour les anti-missilesFrançis MAHON, « Support IBCS, Best Missile Defense C2 We’ve Got: Former MDA Tester », Breaking Defense, June 12, 2017..

L’équipement du soldat (numérisé et augmenté) fait partie du dernier chantier. Concernant l’homme lui-même, deux capacités nouvelles sont explorées : les munitions à détonation programmable et autoguidées (combat urbain et en zones compartimentées) et les aides à l’effort (exo-squelettes). L’Army se concentre sur des expérimentations de niveau groupe et section de combat pour acquérir de l’expérience sur la généralisation de binômes humains / machines. Il s’agit surtout de tester des mini-machines de reconnaissance, des fardiers téléopérés, et d’introduire les premiers véhicules automatisés dans des convois logistiquesSydney J. FREEDBERG Jr., « Armed Robots: US Lags Rhetoric, Russia », Breaking Defense, October 18, 2017.. Ceci constitue la première étape d’un plan de long terme exposé dans l’US Army Robotics and Autonomous Systems, déjà cité, et qui fera l’objet d’un article complet ultérieurement. 

Une première réorganisation structurelle : l’alourdissement des unités légères en attendant la création d’une brigade MDB.

En attendant que ces chantiers produisent des résultats, il a été décidé d’augmenter la protection et la mobilité des brigades d’infanterie légère (Infantry Brigade Combat Team – IBCT). Celles-ci deviennent en effet trop lentes et trop vulnérables. Notamment les brigades aéroportées et aéromobiles qui, une fois à terre, se déplacent à la vitesse du piétonAndrew FEICKERT, Infantry Brigade Combat Team (IBCT) Mobility, Reconnaissance, and Firepower Programs, CRS, September 26, 2017, 14 p.. Trois programmes sont donc lancés simultanément :

  • Un transporteur léger de reconnaissance et de mobilité ; le Ground Mobility Vehicle (GMV). Un 4X4 aérotransportable et aérolargable embarquant 9 hommes ;
  • Un blindé léger de découverte et d’appui, aérotransportable (Light Reconnaissance Vehicle – LRV), avec 6 hommes à bord et un 30mm capable d’engager blindés légers et points d’appuis adverses ;
  • Un blindé chenillé léger aérotransportable (Mobile Protected Firepower - MPF) d’appui contre les blindés lourds et les casemates. Il est doté d’une capacité de tir indirect pour les zones urbaines.

L’ensemble illustre la nouvelle « philosophie » de l’acquisition de l’Army. Ces plates-formes sont déjà disponibles chez les constructeurs et ne demandent que des modifications mineures pour répondre aux besoins des unités légères. Il est donc possible de les intégrer en phase C du processus d’acquisition (production-déploiement), en éliminant les phases A et B d’études amont et de réalisation technique. Cette pratique de recours aux ressources extérieures tend à devenir une nouvelle norme, pour réduire les coûts et les délais d’acquisition.

Enfin, une force d’expérimentation, la Multi-Domain Task Force (MDTF) est mise sur pied et confiée à US Army Pacific Command (USARPAC) pour test.  Il s’agit d’une brigade de 1.500 personnels toutes armes, disposant de moyens d’attaque et de défense cyber et de moyens d’aérocombatSydney J. FREEDBERG Jr. « New Army Unit To Test Tactics: Meet The Multi-Domain Task Force », Breaking Defense, March 21, 2017.. L’objectif est d’étudier toutes les contraintes et les possibilités tactiques d’une unité de petite taille capable de mener des opérations en semi-autonomie ou autonomie complète, lors d’attaque contre les systèmes A2/AD adverses ou en mission de reconnaissance offensive dans la profondeur ennemie. Ces expérimentations en Asie, là où l’Army est susceptible d’intervenir au profit de la Navy et des Marines, voire d’ouvrir des couloirs de pénétration à l’USAF, devraient faciliter les rapprochements entre armées, en termes de construction de concepts et d’élaboration de doctrines, à partir de nombreuses expérimentations.

Conclusion : MDB constitue un indicateur de tendance sur le rééquilibrage du combat interarmées.

L’ère de la totale domination aérospatiale et aéromaritime s’efface peu à peu et, avec elle, ce qui caractérisait le modèle de guerre occidental de la fin du XXème siècle. On en revient donc aux fondamentaux de la confrontation armée avec son extension principale au sol qui reste le domaine même élargi des forces terrestres.

Certes, pour certains, MDB n’offre pas de véritable nouveauté et rappelle le contenu des théories de la première vague de numérisation avec Army After Next, voire plus loin encore avec Air Land BattleSchmuel SCHMUEL, « Multi-Domain Battle: Airland Battle, Once More, With Feeling », War on the Rocks, June 20, 2017.. Peut-être ! Mais là n’est pas la question.

MDB oblige la plus puissante force terrestre au monde à s’interroger :

  • sur la manière de conserver sa liberté de manœuvre dans un environnement hautement létal ;
  • sur la manière de piloter les processus d’innovation de plus en plus complexes ;
  • sur la manière de réexpliquer ce qu’est la nature de la puissance terrestre à des personnels militaires qui n’utilisent même plus ce terme et à des civils qui n’en ont qu’une vision parcellaire, déformée ou inexistante.

Tout n’est certainement pas applicable ou duplicable. Mais il y aura certainement « à boire et manger » dans tout ce maëlstrom et pendant au moins une décennie ! Alors à table !

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