La diplomatie des otages : une arme du faible au fort entre les mains de l’Iran
La politique des otages n’est en rien une nouveauté, l’histoire foisonne d’exemples. La pratique, déjà assez répandue dès l’Antiquité, faisait de l’otage un gage exigé de l’adversaire soumis par les armes ; on attendait de ce dernier qu’il réponde à un certain nombre de demandesParmi ces demandes on peut rappeler les exemples suivants : la cité de Carthage, qui, après la défaite d’Hannibal en 202 avant J.C., dut remettre des otages à Rome ; François Ier, prisonnier de l’empereur Charles Quint, qui livra comme otage son fils aîné, le dauphin François, ainsi que son second fils, le duc d’Orléans..
Les otages, victimes de tensions diplomatiques ou de conflits qui leur échappent, outre le fait d’être des instruments de pression et des monnaies d’échange, sont aussi devenus avec le temps un outil de communication redoutable entre les mains de régimes peu scrupuleux et bien déterminés à faire plier les Etats qui leur sont défavorables. Le Moyen-Orient ne fait pas exception, et la République islamique d’Iran reste un cas emblématique de ce genre de procédés.
Le nouveau régime, mis en place début 1979 et incarné par l’ayatollah Khomeyni après son retour d’exil, va instrumentaliser le tristement célèbre assaut contre l’ambassade américaine à Téhéran mené par un groupe d’étudiants iraniens, alors qu’aux Etats-Unis commence la campagne électorale pour les présidentielles. L’Iran, sous sanctions depuis lors, ne cessera pas d’avoir recours à cette politique de coercition en l’adaptant au contexte international du moment, ce jusqu’à aujourd’hui, n’hésitant pas à s’en prendre aux ressortissants occidentaux, y compris hors de son territoire. Le Guide suprême Khomeiny et son successeur, l’actuel ayatollah Khamenei, sauront faire usage de ce moyen de pression, véritable arme du faible au fort, entretenant l’image d’un régime « victime » du Grand SatanEn arrivant au pouvoir, Khomeyni récupère le sentiment d’exaspération à l’égard de la présence américaine et nourrit la haine de l’Occident. À partir de là, l’anti-américanisme va non seulement devenir de plus en plus politique, mais va également servir le discours de la République islamique visant à asseoir sa propre autorité, en décrivant les États-Unis comme le « Grand Satan » ; le slogan « Marg bar Amrika » (« Mort à l’Amérique »), est toujours exploité par le pouvoir plus de quarante ans après la révolution et la création de la République islamique. et justifiant par là-même une politique des plus répressives à l’intérieur même de ses frontières.
La prise d’otages du 4 novembre 1979 : point de bascule de la politique étrangère iranienne
Le 4 novembre 1979, l’ambassade américaine à Téhéran est envahie par des étudiants, fidèles du Guide suprême, l’ayatollah Khomeyni : 52 Américains seront retenus durant 444 jours. Ce groupe, qui a priori a agi seul, réclamait le renvoi du Shah en Iran – qui quitta définitivement le pays en janvier 1979 – pour qu’il soit remis aux nouvelles autorités iraniennes et soit jugéCe dernier, après un long périple, était entré aux Etats-Unis pour se faire hospitaliser, étant atteint d’un cancer en phase terminale.. Khomeyni comprend très vite où est son intérêt et va instrumentaliser cette prise d’otages à des fins politiques, donnant ainsi un second souffle au mouvement révolutionnaire et mettant par là même fin aux divisions internes entre les partisans du maintien du dialogue avec les Etats-Unis et les représentants de la ligne dure. Il parvient à mobiliser la foule contre l’ennemi américain et donne plus d’ampleur encore à son anti-impérialisme.
La réponse de Jimmy Carter, le président américain démocrate, ne se fit pas attendre et les premières sanctions contre l’Iran, dont l’arrêt des importations de pétrole iranien, furent adoptées. La voie des négociations fut un échec et le 7 avril 1980, les relations diplomatiques sont officiellement rompues. Le 15 avril 1980, J. Carter donna son feu vert à l’envoi d’une équipe chargée de récupérer les otages ; mais l’Opération Eagle Claw, qui devait avoir lieu le 24 avril, tourne au fiascoLes hélicoptères américains s’écrasent dans le désert iranien par défaillance technique causée par une tempête de sable.. Les Etats-Unis demandèrent aux pays alliés de faire pression sur Téhéran« Storm over the Alliance », Time, 28 avril 1980., sans résultats probants.
La mort du Shah, le 27 juillet 1980 (ce dernier s’éteint au Caire, terrassé par un cancer du système lymphatique), et la guerre entre l’Iran et l’Irak (de 1980 à 1988) ne suscitèrent aucun relâchement de la politique d’intimidation du régime iranien, qui entendait bien perturber l’élection présidentielle américaine. En novembre 1980, J. Carter, largement décrédibilisé par la crise des otages, essuya une défaite au profit de son adversaire républicain, Ronald W. Reagan. Le 20 janvier 1981, quelque douze minutes après le discours d’investiture du nouveau président américain, les otages furent libérés. Cette libération fut négociée sous l’égide de l’Algérie, par l’entremise du ministre algérien des Affaires étrangères, Mohamed Seddik Benyahia. L’Iran obtint la levée du gel des avoirs iraniens aux Etats-Unis et l’absence de sanctions commerciales. Cette prise d’otages, qui fut ressentie par les Américains comme une humiliation sans précédent, marqua un tournant majeur de la politique étrangère de la toute jeune République islamique d’Iran (RII).
L’auteur des prises d’otages est le plus souvent un acteur non étatique, qu’il soit un groupe terroriste ou une organisation criminelle mafieuse. Mais dans le cas de la diplomatie des otages, l’initiateur est un Etat, tout comme la cible à travers l’otage lui-même. Il ne faut cependant pas mettre de côté l’organisation non étatique qui agit pour un Etat, et là encore on retrouve l’Iran, qui dans certains cas, en plus de faire appel à des groupes considérés comme terroristes, n’hésite pas à s’associer à un autre Etat complice, comme ce fut le cas avec la Syrie. Cette « réponse du faible au fort », que le régime qualifie lui-même de « réponse asymétrique », va se poursuivre via les proxies, notamment durant la guerre opposant l’Iran à l’Irak, avec les prises d’otages répétées au Liban, sans oublier les attentats qui ont été particulièrement meurtriersOn peut citer les attentats, qui seront évoqués dans cet article, du 23 octobre 1983 à Beyrouth, qui ont touché la France et les Etats-Unis..
Le Liban des années 1980 : arrière-cour de la politique des otages de Téhéran
Le Liban, déchiré par la guerre civile démarrée en avril 1975 et sous la double occupation israélienne et syrienne, représente à bien des égards pour l’Iran un espace clef pour mener à distance sa politique des otages à travers des groupes locaux totalement inféodés, parmi lesquels se trouvent le Djihad islamique libanais et le Hezbollah (ce dernier né officieusement en 1982Il faut attendre mai 1985 pour que le Hezbollah reconnaisse officiellement son existence dans une lettre ouverte. Cette milice est constituée au départ d’anciens du mouvement chiite Amal, de certains membres de la gauche progressiste libanaise et de jeunes séduits par l’ayatollah Khomeyni et ses Gardiens de la révolution (les Sepah-e Pâsdârân). La théorie de la Wilâyat-e-faqih (la Guidance du religieux) portée par Khomeyni lui-même, fait de nombreux émules au sein de la base chiite libanaise. Des clercs demandent le soutien de l’Iran pour conduire la lutte contre l’armée israélienne. La nouvelle république envoie un corps de 1 500 Pâsdârân pour mettre sur pied les premiers « régiments » de la Résistance islamique au Liban.). Ces organisations exigent la fin de l’aide à l’IrakEn septembre 1980, Saddam Hussein, soutenu par les puissances occidentales, décide d’attaquer l’Iran. Cette guerre, qui, selon les dire du Raïs irakien, devait être réglée en quelques semaines, dura huit années., des rançons ainsi que la libération de prisonniers. Il va de soi que les demandes qu’elles formulent reflètent essentiellement des revendications de Téhéran, même si d’autres « doléances » sont parfois mises en avant. Entre 1982 et 1989, 96 otages occidentaux ont été enlevés au Liban, parmi lesquels 25 Américains, 16 Français, 12 Britanniques, 7 Suisses et 7 AllemandsPierre Razoux, La Guerre Iran-Irak, note n° 1, Perrin, collection Tempus, 2017, p. 749..
Un bras de fer sans fin avec Washington
L’affaire des otages au Liban commence le 19 juillet 1982, avec l’enlèvement du président de l’Université américaine de Beyrouth, David S. Dodge, par l’Amal islamique. Ses ravisseurs exigent de Washington qu’il fasse pression sur Israël pour faire évacuer Tsahal de Beyrouth. Pour les Etats-Unis, il n’est pas question de céder aux demandes de preneurs d’otages. Dans ce contexte particulièrement délicat, Arafat et ses hommes, présents au Liban pour y poursuivre la lutte contre Israël, seront évacués. A partir de là, David S. Dodge sera remis au Hezbollah puis transféré en Iran. Il faudra attendre le 21 juillet 1983 pour qu’il soit libéré à Damas. Téhéran espérait récupérer le chef des Gardiens de la révolution, Ahmed Motevaselian, responsable de la zone de Baalbek (au Liban), enlevé avec trois autres Iraniens par les PhalangistesLes Kataëb, milice chrétienne libanaise créée par Pierre Gemayel en 1936..
La guerre entre l’Irak et l’Iran a été déterminante dans la politique des otages. En effet, Téhéran entend également punir les Américains pour avoir rétabli le contact avec Saddam Hussein et pour leurs bombardements visant le Hezbollah. Saddam Hussein décida en effet de renouer avec Washington après que Moscou lui eut expliqué que malgré son soutien, il n’était pas question de prendre officiellement parti pour Bagdad dans cette guerre (Moscou entendait maintenir une ouverture possible à des négociations avec Téhéran). Le 16 mars 1984, le chef de poste de la CIA à Beyrouth, William Buckley, est enlevé par le Djihad islamique, qui, après des mois de silence, rend publique son exécutionSon corps sera retrouvé en 1991 lors de travaux de voierie dans la zone proche de l’aéroport de Beyrouth, zone qui est entre les mains du Hezbollah. . Avant sa mort, il avait été transféré en Iran, où il a été torturé.
Washington décide alors d’apporter son soutien à l’Irak en fournissant une aide en matière de renseignement, d’imagerie spatiale via ses satellites de reconnaissance, etc. Ronald Reagan autorisera le transfert à l’Irak de bombes à fragmentation ainsi que la vente de six avions Lockheed L-100 et la version civile de l’avion de transport militaire C-130 Hercules. En réponse, l’Iran décide de frapper les Etats-Unis sur le territoire libanais : quatre Américains sont enlevés par le Djihad islamique (Franck Régier, professeur de chimie à l’Université américaine, le 10 février 1984, Peter Kilburn, travaillant également à l’Université américaine, Jeremy Levin, journaliste à CNN, kidnappé le 3 mars 1984, et Benjamin Weir, pasteur presbytérien, enlevé le 8 mai 1984).
L’Iran nie toute implication mais déclare être en mesure de faciliter leur libération. Pour ce faire, Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, alors président de l’Assemblée consultative islamique et fondé de pouvoir au Conseil de la guerre, pose ses conditions : il demande aux Américains de faire pression sur les Phalangistes pour libérer les prisonniers iraniens et de convaincre le Koweït de gracier les activistes chiites condamnés pour les attentats commis en décembre 1983. Téhéran exige aussi des Etats-Unis de stopper leur rapprochement avec Bagdad et de restituer les avoirs du Shah rapatriés aux Etats-Unis.
Le 20 septembre 1984, un attentat cible l’ambassade américaine à Beyrouth, faisant 23 morts et des dizaines de blessés. Le bras de fer entre les deux pays s’intensifie : le père Lawrence Jenco, à la tête de la mission catholique américaine, est enlevé. Le 16 mars 1985, c’est au tour de Terry Anderson, correspondant de l’agence Associated Press au Moyen-Orient, de se faire enlever ; il restera otage pendant six ans et demi et sera libéré le 4 décembre 1991. Trois mois plus tard, David Jacobson (de l’hôpital américain) et Thomas SutherlandIl sera libéré le 18 novembre 1991., doyen de la faculté d’agronomie de l’Université américaine, sont enlevés. Une vingtaine d’autres Occidentaux sont entre les mains de l’Iran via le Hezbollah. La Grande-Bretagne, qui est sur la liste des cibles du régime des ayatollahs, refusera de céder aux exigences, et ses otages Alex Collet, Leigh Douglas et Philipp Padfield seront exécutés. La France va elle aussi se trouver dans le collimateur de Téhéran, les relations entre les deux pays s’étant lourdement détériorées depuis la chute du régime du Shah.
A l’origine des attentats et des enlèvements, de lourds contentieux entre la France et l’Iran
L’affaire EurodifEn décembre 1974, Jacques Chirac, alors Premier ministre, est en voyage officiel à Téhéran. Les Iraniens lui proposent un prêt d’un milliard de dollars pour la construction d’une usine d’Eurodif. Téhéran devient actionnaire d’Eurodif et aura droit à 10 % de l’uranium produit sur le site. et le refus du gouvernement français de poursuivre la collaboration avec Téhéran après l’arrivée de Khomeyni au pouvoir vont entacher les relations entre Paris et Téhéran. A cela s’ajoute l’asile accordé à Abolhassan Bani SadrRéfugié politique en France depuis 1981, cet ancien proche de l’ayatollah Khomeiny avait été élu président en janvier 1980 avant d’être destitué dix-sept mois plus tard. Il prônait un islam libéral. et Massoud RadjaviDirigeant de l’Organisation des Moudjahidines du peuple iranien, il s’enfuit, le 28 juillet 1981, pour la France à bord d’un Boeing d’Iran Air détourné avec l’aide de quelques-uns de ses partisans. Il obtient immédiatement le statut de réfugié politique. Expulsé de France en 1986, il s’installe en Irak. Il a disparu en 2003 après l’invasion américaine en Irak., ce qui ne sera pas sans conséquences sur la crise diplomatique qui oppose les deux pays. Entre 1981 et 1991, assassinats, attentats et prises d’otages vont s’enchaîner.
Comme pour les Etats-Unis, la guerre entre l’Irak et l’Iran, s’ajoutant aux autres contentieux qui opposent Paris et Téhéran, aura des répercussions sans précédent pour la France. La livraison de cinq Super Etendard « Louis » à l’IrakIl s’agit de l’opération Sugar, lancée par le gouvernement français le 7 octobre 1983. Le 26 mai 1983, François Mitterrand, malgré la levée de boucliers au sein du gouvernement et de la Marine, valida la livraison de six Super Frelon à Bagdad et ordonna de lui « louer » cinq Super Etendard pour une durée de vingt-cinq ans., qui devait se faire en toute discrétion, sera aussitôt révélée par la presse irakienne, qui annonça l’arrivée de ces appareils qui allaient permettre d’infliger de lourdes pertes à l’Iran et d’affecter son trafic pétrolier. Le 23 octobre 1983, selon la thèse officielle, l’attentat du Drakkar a été causé par un camion piégé précipité contre l’immeuble Drakkar, qui abritait une partie du contingent français déployé au Liban ; cette version est contestée par les survivants, selon qui des explosifs auraient été placés sous le bâtiment avant l’arrivée de ce contingent. Cette attaque aura causé la mort de 58 parachutistes français et de la famille du gardien de cet immeuble. Juste avant, le QG des Marines fut la cible d’un camion piégé, entraînant la mort de 241 soldats américains. Le double attentat fut attribué au Djihad islamique et au Hezbollah, deux relais majeurs de l’ingérence iranienne au Liban.
Le 31 juillet 1984, un Airbus d’Air France est occupé par les Pâsdârân au cours d’une escale à Téhéran. Une soixantaine de passagers sont retenus en otage. Les preneurs d’otages exigent la libération d’Anis Naccache et de ses complicesMilitant politique libanais au service du régime iranien. En 1980, il tenta d’assassiner à Paris Shapour Bakhtiar, le dernier Premier ministre du Shah d’Iran. En 1982, il sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.. C’est avant tout un prétexte pour amorcer les négociations en vue d’une normalisation. Les otages sont libérés début août, le contact est ainsi rétabli entre Paris et Téhéran. Téhéran déclare être prêt à acheter des armes à la France ; René-Pierre Audran, qui supervise les ventes d’armes à l’Irak, envoie, sans avertir l’Elysée et Matignon, son adjoint à Téhéran. L’initiative sera stoppée net par la France, qui refuse toute livraison d’armes. René-Pierre Audran est assassiné le 25 janvier 1985 par Action Directe – selon des rumeurs en lien direct avec le Djihad islamique. Paris diminue les livraisons à Bagdad, sans pour autant se rapprocher de Téhéran, afin de régler les contentieux. Le 22 mars 1985, Marcel Fontaine (vice-consul), Marcel Carton (chargé du protocole à l’ambassade de France)Tous deux seront libérés au bout de 1 139 jours de captivité., et sa fille Dominique PerezElle sera libérée une semaine après. (secrétaire au service culturel) sont enlevés par le Djihad islamique. Le 22 mai 1985, Jean-Paul Kauffmann, reporter à l’Evénement du JeudiIl sera libéré le 4 mai 1988, après 1 078 jours de captivité., et le chercheur Michel SeuratIl mourra en captivité ; le Djihad islamique annonça son exécution en mars 1986, mais le chercheur est certainement mort d’un cancer. Les ossements de Michel Seurat seront formellement identifiés en 2006 et sa dépouille mortelle rapatriée le 6 mars 2006. sont kidnappés à leur tour. Ces enlèvements sont revendiqués par le Djihad islamique une semaine après. Le 10 septembre 1985, les ravisseurs libanais réclament la libération d’Anis Naccache et du commando qu’il dirigea.
Téhéran rappelle la liste de ses conditions, mais les négociations patinent. Le 7 décembre 1985, le double attentat aux Galeries Lafayette et au Printemps, faisant plusieurs dizaines de blessés, visent à rappeler à Paris qu’il est temps de négocier sérieusement. Les 3, 4 et 5 février, trois nouveaux attentats frappent Paris – à la Galerie Claridge sur les Champs-Elysées, à la librairie Gibert et au Forum des Halles. L’approche des élections législatives en mars 1986 augmente la pression. L’Etat français et l’opposition ont établi le contact séparément. Le constatant, Téhéran saisit l’occasion pour faire monter les enchères ; Camille Sontag et Marcel Coudari sont enlevésMarcel Coudari et Camille Sontag résidaient à Beyrouth pour des raisons personnelles. M. Coudari, installé au Liban depuis plusieurs années, avait été enlevé à Beyrouth-Ouest, le 27 février 1986. Camille Sontag (85 ans) a été capturé le 7 mai 1986, également à Beyrouth-Ouest, sur le front de mer, alors qu’il se rendait avec sa femme aux PTT pour régler ses factures dans la perspective d’un départ définitif du Liban. Ils ont été libérés le 12 novembre 1986.. Quelques jours avant l’élection, une équipe d’Antenne 2 est enlevée le 8 mars 1986 : il s’agit des journalistes Jean-Louis Normandin, Philippe Rochot, Georges Hansen et Aurel Cornea. Le 17 mars 1986, un attentat a lieu dans le TGV Paris-Lyon, puis, trois jours après, c’est le Point Show des Champs-Elysées qui est visé. Le gouvernement français est conscient qu’il est urgent de négocier. Jacques Chirac, Premier ministre, charge son chef de cabinet, Maurice Ulrich, de négocier tout en mettant dans la boucle son ami Houphouët-Boigny, président de la Côte d’Ivoire, où se trouve une importante communauté chiite libanaise. Jacques Chirac accepte d’expulser Massoud Radjavi mais pas Bani Sadr, et il reçoit le Premier ministre iranien, Mir Hossein MoussaviIl fut Premier ministre de 1981 à 1989. Le poste de Premier ministre a été supprimé après la révision constitutionnelle de 1989. Aujourd’hui, le rôle du Président s’apparente davantage à celui d’un chef de gouvernement.. La France est alors prête à négocier les modalités de remboursement du reste du prêt Eurodif et à faire libérer Anis Naccache, ce dernier étant devenu l’enjeu d’un bras de fer diplomatique avec Téhéran. Le 20 juin 1986, Philippe Rochot et Georges Hansen sont libérés. Mais les négociations ralentissent à nouveau du fait du nombre trop important d’interlocuteurs du côté français. François Mitterrand refuse d’accorder la grâce à Anis Naccache, et les négociations se retrouvent à nouveau dans l’impasse. Le 8 septembre 1986, une bombe explose au bureau de poste de l’Hôtel de Ville de Paris, puis aux Quatre-Temps de la Défense, au Pub Renault des Champs-Elysées, et rue de Rennes. Les négociations reprennent pour la finalisation des modalités de remboursement de la première tranche du prêt Eurodif. En revanche, la France refuse catégoriquement de livrer de l’uranium enrichi.
Marcel Coudari et Camille Sontag ont été libérés le 11 novembre 1986 à Damas ; c’est dans la capitale syrienne que la restitution des deux otages a eu lieu, preuve s’il en est de la complicité de la Syrie avec Téhéran. Le 17 novembre, Paris annonce la signature d’un accord partiel de règlement du contentieux financier entre la France et l’Iran. Le 22 novembre 1986, 330 millions de dollars sont versés (soit un tiers du milliard de dollars prêté par le régime du Shah au Commissariat à l’énergie atomique). S’en suit la libération d’Aurel Cornea le 24 décembre 1986.
Restent quatre otages français et une trentaine d’autres otages occidentaux. Georges Besse, PDG de Renault, est assassiné par Action Directe. L’Iran est une nouvelle fois soupçonné d’être derrière cet assassinat. Roger Auque, alors correspondant de guerre au Liban, est enlevé le 13 janvier 1987 par le HezbollahLe Hezbollah voit en lui un agent de la DGSE, ce qui est nié à l’époque mais sera admis plus tard par l’intéressé lui-même dans un livre posthume.. Il reste otage pendant près d’une année– il est libéré le 27 novembre 1987, en même temps que Jean-Louis Normandin. Le 5 mai 1988, les premiers otages français, Marcel Fontaine, Marcel Carton et Jean-Paul Kauffmann, sont enfin libérés (Michel Seurat est mort en détention). Quant aux détenus les plus « encombrants » de France, Anis NaccacheCirculant régulièrement entre Damas, Beyrouth et Téhéran, il intervenait régulièrement sur les plateaux des chaînes de télévision pro-iraniennes. Il est décédé le 22 février 2021 à Damas, à l’âge de 70 ans. et ses quatre complices, ils sont finalement graciés par François Mitterrand le 27 juillet 1990, et s’envoleront vers la République islamique d’Iran.
Toutes ces libérations ne signifient pas pour autant l’abandon d’une « diplomatie coercitive » de la part d’un régime qui mise tout sur la politique du bras de fer. Cette stratégie des prises d’otages est un moyen d’obtenir non seulement des compensations financières, mais également des échanges de prisonniers.
La diplomatie des otages, un instrument de coercition toujours d’actualité
Les détentions arbitraires, inaugurées, comme nous l’avons vu, par l’ayatollah Khomeyni, sont devenues un levier non négligeable de la politique étrangère iranienne. Ceci est à relier à la dégradation des relations bilatérales avec le pays dont est originaire l’otage (il en va de même quand celui-ci est binational)L’Iran ne reconnaît pas la double nationalité, ce qui lui permet d’arrêter les binationaux sans que ces derniers bénéficient de l’aide consulaire.. La libération peut être obtenue en échange de compensations financières, ce qui est d’autant plus important pour l’Iran sous sanctions depuis 1979Carole André-Dessornes, Guerres silencieuses, embargos et blocus au Moyen-Orient de 1948 à nos jours, Geuthner, Paris, décembre 2022, pp. 44-47.. Il peut s’agir également d’échanges de prisonniers (voire, dans certains cas, des deux).
A partir de 2005, la question du nucléaire iranien est redevenue un sujet de préoccupation sur la scène internationale. L’ex-président iranien, Mahmoud AhmadinejadIl a été le sixième président de la République islamique d’Iran, de 2005 à 2013. Il a participé à la guerre entre l’Iran et l’Irak dans les rangs des Gardiens de la Révolution. Il est actuellement membre du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime. Ce conseil, créé en 1988 par décret de l’ayatollah Khomeiny, a pour mission d’arbitrer les litiges entre le Parlement et le Conseil des gardiens. Il est composé de membres de droit et de membres nommés par le Guide., un ultra-conservateur, en a fait un instrument de propagande des plus efficaces et a donné « un nouveau souffle » à la politique des otages.
En juillet 2009, alors que les relations s’étaient fortement détériorées avec la France depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, Clotilde Reiss, étudiante française, est arrêtée pour « espionnage ». Elle ne retrouvera la liberté que le 15 mai 2010, après un simulacre de procès ultramédiatisé par le pouvoir iranien. Cette libération a été suivie de celle d’Ali Vakili Rad, condamné à Paris en 1991 pour l’assassinat de l’ancien Premier ministre Shapour Bakhtiar.
Depuis le premier mandat d’Ahmadinejad, pas moins de cinquante ressortissants occidentaux, binationaux ou non, ont été arrêtés et emprisonnés ou placés en résidence surveillée (de fait dans l’impossibilité de quitter le territoire) pour atteinte à la sécurité de la République. Il faudra attendre le deuxième mandat du président américain Barak Obama et, du côté iranien, l’arrivée à la tête de la présidence d’un candidat appartenant au camp des réformateurs, Hassan Rohani, pour assister à un dégel et à une reprise du dialogue entre Washington et Téhéran.
Les échanges de prisonniers dans le contexte du JCPoAIl s’agit de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (en anglais : Joint Comprehensive Plan of Action ou JCPoA) signé le 15 juillet 2015. L’Iran et les six pays du groupe P5+1 (les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Russie, la Chine et l’Allemagne) ont signé un accord historique prévoyant un ralentissement du programme nucléaire iranien en échange d’un allègement des sanctions internationales.
Le « réchauffement » des relations entre les puissances occidentales et l’Iran aboutira à la signature de l’accord historique sur la question du nucléaire iranien sous la présidence du successeur d’Ahmadinejad, le président réformiste Hassan Rohani. La question des échanges de prisonniers, bien que passée sous silence à ce moment-là, a joué un rôle dans la reprise des négociations et s’est concrétisée lors de la conclusion de cet accord, ainsi qu’après la signature du JCPoA.
On peut ainsi citer les quatre Irano-Américains échangés le 16 janvier 2016 contre sept Iraniens détenus aux Etats-UnisLe Point avec AFP, « Echange de prisonniers entre Téhéran et Washington », Le Point, 16 janvier 2016.. Ces libérations sont intervenues quelques heures avant l’officialisation de l’entrée en vigueur du JCPoA. Parmi les prisonniers américains figure Jason Rezzaian, journaliste au Washington Post, détenu durant 500 jours ; il fut arrêté en juillet 2014 et condamné fin 2015 à une peine de prison pour espionnage (la durée de la peine n’a jamais été divulguée). Les négociations auraient duré un an. Les trois autres prisonniers libérés sont le pasteur Saïd Abedini, accusé d’avoir « perturbé la sécurité nationale » par ses activités religieuses et condamné à huit ans de prison ; Ami Hekmati, ex-Marine, accusé d’espionnage au profit de la CIA (d’abord condamné à mort, sa peine avait été commuée en dix ans de prison) ; et un certain Nosratollah KosraviL’OLJ avec AFP, « Qui sont les prisonniers américains libérés par l’Iran ? », L’Orient-Le Jour, 17 janvier 2016.. Les sept Iraniens en question, dont six ont la double nationalitéIl s’agit de Nadar Modanlou, Bahram Mekani, Khosro Afghahi, Arash Ghahreman, Tourak Faridi, Nima Golestaneh et Ali Sabounchi., avaient été arrêtés par les Américains après avoir vendu des équipements industriels à l’Iran en violation des sanctions internationales contre Téhéran.
Les Etats-Unis ont également abandonné leurs poursuites contre quatorze autres Iraniens pour lesquels auraient été établies des demandes d’extradition, qui concrètement n’auraient eu aucune chance d’aboutir si Washington avait décidé de maintenir ces demandes. Un cinquième Américain, Matthew Trevitick, étudiant dont le nom n’avait jamais été divulgué avant l’annonce de sa libération, a été libéré, sans aucun lien avec l’échange de prisonniers, mais dans le cadre d’un « accord de bonne volonté ». Dans la foulée, l’UE a annoncé la levée de certaines sanctions économiques et financières contre Téhéran, qui s’est pour sa part engagé à continuer à coopérer avec Washington au sujet de l’affaire Robert Levinson, ancien agent du FBI disparu en 2007 sur l’île de Kish (dans le golfe Persique)« Qui sont les prisonniers américains libérés par l’Iran ? », op. cit..
Les choses auraient pu en rester là. Mais l’arrivée d’un nouveau président à la Maison blanche en janvier 2017, Donald Trump, foncièrement hostile au JCPoA, et le virage opéré par les Etats-Unis dans leur politique vis-à-vis de Téhéran, vont remettre en question la politique étrangère américaine.
Nouvelles arrestations en Iran, une conséquence du retrait américain du JCPoA
Les arrestations d’étrangers, parmi lesquels encore des binationaux, se sont multipliées depuis le retrait américain du JCPoA en 2018. L’Iran a mis son système de justice pénale au service de sa politique étrangère comme levier de négociation pour obtenir des concessions.
Les prises d’otages des deux dernières décennies, ce encore plus depuis 2018, sont utilisées dans la guerre informationnelle entre l’Iran et les pays qualifiés par le régime d’« ennemis de l’extérieur » cherchant à déstabiliser de l’intérieur la République islamique, selon la rhétorique habituelle utilisée par le régime lui-même. Il va sans dire que ces incarcérations reposent sur des charges fictives. C’est aussi un moyen de maintenir la pression maximale sur sa propre population à l’intérieur de ses frontières, mais également auprès des opposants politiques et autres personæ non gratæ de la diaspora. Tout Iranien contestant le pouvoir est immédiatement présenté comme un traître de l’intérieur au service d’intérêts étrangers œuvrant pour la disparition de la RII. Le mot d’ordre est d’exploiter les crises extérieures pour mieux réprimer toute forme d’opposition, au nom de la sécurité de l’Etat.
Les détentions présentent aussi l’avantage, non des moindres, de détourner l’attention des médias des difficultés et contestations internes en permettant au régime, qui joue sa survie et est prêt à tout pour se maintenir en place, de se présenter comme le défenseur des intérêts nationaux.
En réponse aux nouvelles sanctions imposées à la suite du retrait unilatéral des Etats-Unis du JCPoA en mai 2018 par D. Trump ainsi qu’aux arrestations d’universitaires iraniens sur le territoire américain, l’Iran a cherché à s’en prendre aux universitaires occidentaux. Les autorités iraniennes mettent tout en œuvre pour contourner le cours de la justice dans les pays où d’anciens agents ont été condamnés ou en cours de jugement. C’est une manière de dissuader les puissances étrangères de lancer des poursuites contre des Iraniens agissant à l’étranger pour le régime. Parmi la vingtaine de détenus occidentaux encore incarcérés en Iran en janvier 2023 figuraient sept Français. On y retrouve Fariba Adelkhah, chercheuse franco-iranienne arrêtée en même temps que son compagnon Roland MarchalUniversitaire lui aussi, il a été libéré le 20 mars 2020., le 5 juin 2019. Fariba Adelkhah a été condamnée à cinq ans de prison en 2020 pour « collusion en vue d’intenter à la sûreté nationale ». Elle a été libérée le 10 février 2023, et placée en résidence surveillée jusqu’à son retour en France le 17 octobre 2023, plus de sept mois après sa sortie de prison.
On peut également évoquer le cas d’Ahmadreza Djalali : chercheur irano-suédois, accusé d’être espion du Mossad israélien, il est condamné à mort en 2017 pour « corruption sur terre » en lien avec des « activités d’espionnage ». Au cours d’un voyage en Iran où il avait été invité par les universités de Téhéran et Shiraz à participer à des ateliers sur la médecine de catastrophe, il est arrêté le 25 avril 2016. A l’heure actuelle il est toujours en prison. Son exécution a été annoncée à plusieurs reprises par les médias iraniens. Selon Amnesty International, Téhéran chercherait à obtenir la libération d’Hamid Noury, ancien responsable pénitentiaire iranien, condamné en Suède à la perpétuité pour des crimes commis en Iran en 1988. Les autorités iraniennes nient être à l’origine d’une quelconque requête de ce type, affirmant que ce ne sont que des allégations sans fondement.
Kylie Moore-Gilbert, universitaire anglo-australienne spécialiste de l’histoire politique du Moyen-Orient, invitée en 2018 en Iran pour assister à une conférence universitaire, a été arrêtée à l’aéroport alors qu’elle était en partance pour l’AustralieLondon Speaker bureau, « Interview with Dr Kylie Moore-Gilbert: former Iran hostage », non daté (interview donnée peu de temps après la libération de Kylie Moore-Gilbert).. Condamnée à dix ans de prison, soumise à l’isolement, elle a été libérée en novembre 2020 après deux ans et trois mois de détention.
Cette tactique du régime iranien sert son agenda sur la scène internationale tout en renforçant sa politique d’intimidation de ses adversaires où qu’ils se trouvent.
Les ressortissants étrangers, indissociables de la stratégie asymétrique de l’Iran
Téhéran ne s’est pas contenté de cibler les chercheurs : il a élargi son spectre tout en restant focalisé sur les ressortissants occidentaux. Le 8 mars 2021, Nazanin Zaghari-Ratcliffe est libérée de son bracelet électronique, un an après avoir été placée aux arrêts domiciliaires chez ses parents à Téhéran. Le 3 avril 2016 cette citoyenne irano-britannique, responsable de la Fondation Reuters, fut arrêtée à l’aéroport de Téhéran après avoir rendu visite à ses parents. Elle fut incarcérée à la prison politique d’Evin et condamnée à cinq ans de prison pour « complot visant à renverser le régime ». Mais contrairement à ce qui avait été espéré, elle fut visée par un nouveau procès, se trouvant cette fois accusée de « diffusion de propagande contre le régime »Elle avait participé à un rassemblement en 2009 devant l’ambassade d’Iran à Londres.. La déclaration, en novembre 2017, de Boris Johnson, alors ministre des Affaires étrangères, n’a malheureusement pas plaidé en sa faveur, ce dernier ayant dit qu’elle était en Iran pour enseigner le journalisme. Téhéran n’a pas manqué de se servir de cela pour faire de Nazanin Zaghari-Ratcliff une pièce supplémentaire dans un jeu diplomatique des plus sordides. Téhéran cherche à ce moment précis à obtenir le remboursement d’une dette de 394 millions de livres sterling (soit 470 millions d’euros) de Londres envers l’Iran, courant depuis les années 1970La dette remonte effectivement à l’époque du Shah et porte sur un contrat d’armement des chars d’assaut Chieftain.. Or le retrait des Etats-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire bloque tout transfert d’argent vers l’Iran. Mais ce sera chose faite en 2022 : Nazanin Zaghari-Ratcliff ainsi qu’un autre ressortissant britannique d’origine iranienne, Anoosheh Ashoori, un ingénieur à la retraite et homme d’affaires, arrêté en août 2017 alors qu’il rendait visite à sa mère puis condamné à dix ans de prison pour espionnage au profit d’Israël, sont tous deux de retour en Grande-Bretagne le 17 mars 2022Ouest France avec AFP, « Deux Irano-Britanniques, détenus en Iran depuis des années, retrouvent la liberté », Ouest France, 17 mars 2022.. Au même moment, Londres annonçait avoir soldé sa dette envers Téhéran.
Le Français Benjamin Brière, travailleur humanitaire âgé de 37 ans, a été arrêté le 24 février 2020 pour avoir pris des photos de zones interdites avec un drone dans un parc naturel et accusé d’« espionnage et propagande » contre le régime. Le Franco-Irlandais Bernard Phelan, 64 ans, consultant en tourisme, a été arrêté pour atteinte à la sécurité nationale le 3 octobre 2022 puis détenu dans la prison de Mashad (au nord de l’Iran). Tous deux ont été libérés le 12 mai 2023Belga, « Libération de deux Français détenus en Iran, selon le ministère français des Affaires étrangères », RTBF, 12 mai 2023., pour des raisons humanitairesLe Figaro avec AFP, « Iran : libérés, les ex-otages français Benjamin Brière et Bernard Phelan sont arrivés à Paris », Le Figaro, 12 mai 2023., leur état de santé s’étant sérieusement détérioré.
Le régime des ayatollahs fait fi du droit et des normes internationales, ce qui en soi n’est guère une surprise. Le cas de Benjamin Brière est assez emblématique de cela : face à ses juges loin d’être impartiaux, il n’a jamais eu accès aux éléments de l’acte d’accusation et n’a pas pu préparer sa défense. Il n’est pas malheureusement pas un cas isolé.
Le Belge Olivier Vandecasteele, travailleur humanitaire arrêté le 24 février 2022, a été libéré le 25 mai 2023. Le prix de sa libération fut celle d’Assadolah AssadiGeorges Malbrunot, « L’Iran libère un humanitaire belge en échange d’un diplomate condamné pour un projet d’attentat », Le Figaro, 26 mai 2023., diplomate iranien à l’ambassade d’Iran à Vienne détenu en Belgique et condamné à vingt ans de prison pour son lien avec le projet d’attentat à la bombe déjoué à l’été 2018 à Villepinte, qui visait l’organisation des Moudjahidines du peuple : il avait fourni les explosifs via la valise diplomatique. Il fut arrêté en Allemagne en juin 2018 après la saisie d’une voiture transportant ces explosifs.
Le 7 mai 2022 c’est un couple de Français qui est arrêté à la fin de son séjour touristique en Iran : Cécile Kohler et Jacques Paris sont accusés d’être des espions cherchant à déstabiliser le pays. Les juges iraniens se sont appuyés sur le fait que Cécile Kohler était à l’époque responsable d’un syndicat d’enseignement, élément suffisant à leurs yeux pour les condamner tous les deux. Quatre français seraient donc encore détenus par Téhéran : Louis Arnaud depuis septembre 2022, Cécile Kohler et Jacques Paris et un autre dont l’identité n’a toujours pas été révéléeL’OLJ avec AFP, « Macron demande la libération des quatre Français détenus ‘dans des conditions inadmissibles’ », L’Orient-Le Jour, le 28 août 2023..
Ces dernières semaines, d’autres cas ont été exposés dans les médias : le 10 août 2023, l’agence de presse officielle iranienne Irna annonçait que cinq Américains détenus étaient transférés de leur prison pour être placés en résidence surveilléeLe Monde avec AFP, « L’Iran transfère cinq prisonniers américains en résidence surveillée », Le Monde, 10 août 2023.. Suite à un accord entre Washington et Téhéran, il est prévu que la libération se fasse après celle de cinq prisonniers iraniens incarcérés aux Etats-Unis et le dégel de six milliards de dollars iraniens en Corée du Sud (ces fonds étaient bloqués depuis 2018 car issus de la vente d’hydrocarbures en dépit des sanctions américaines).
Parmi les cinq prisonniers américains, seule l’identité de trois d’entre eux est connue : Siamak Namazi, arrêté en octobre 2015 et accusé d’espionnage ; Emad Sharqi, arrêté en janvier 2018 et condamné à dix ans de prison pour « conspiration avec l’Amérique » ; et Morad Tahbaz, condamné en 2020 à dix ans de prison pour espionnage. Le cinquième détenu est une femme, qui aurait été placée en résidence surveillée plusieurs semaines auparavant. Tous sont Irano-Américains.
Les États-Unis ont confirmé le 11 septembre 2023 l’autorisation de transfert de ces six milliards de dollars des fonds iraniens gelés, le Secrétaire d’État américain Antony Blinken ayant validé la dispense permettant leur transfertLe Figaro avec AFP, « Échange de prisonniers : Washington débloque 6 milliards de dollars de fonds iraniens », Le Figaro, 12 septembre 2023.. Quelques jours plus tard, les cinq ex-prisonniers américains sont bien arrivés à Doha après le transfert des fonds sur six comptes iraniens dans deux banques du QatarL’OLJ avec AFP, « Echange de prisonniers : cinq ex-détenus américains en Iran arrivent au Qatar », L’Orient-Le Jour, 18 septembre 2023.. Cet argent devait être utilisé exclusivement pour des achats humanitaires, or Téhéran, une fois le transfert effectué, a exprimé la possibilité d’« user autrement de cette enveloppe ». Cet accord ne préjuge en aucun cas de la relance des négociations autour du nucléaire iranien, qui sont au point mort, même si fin septembre 2023, d’après des sources citées par le média Amwaj« Scoop: Khamenei ‘grants permission’ for direct Iran-US nuclear talks », Amwaj Media, 26 septembre 2023. (basé en Grande-Bretagne), le Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, aurait permis à ses négociateurs sur le dossier nucléaire d’entrer en contact direct avec leurs homologues américains.
Le 4 septembre 2023, le New York Times a révélé au grand public le nom de Johan FloderusCe dernier était sur le point de quitter Téhéran après un séjour touristique avec des amis suédois lorsqu’il fut arrêté le 17 avril 2022. Voir Julien Connan, « Iran : un diplomate européen détenu par Téhéran depuis cinq cents jours », La Croix, 5 septembre 2023., citoyen suédois âgé de 33 ans travaillant pour le compte du département diplomatique de l’UE, retenu depuis 500 jours dans la prison d’Evin. Jusque-là, Stockholm et Bruxelles avaient refusé de dévoiler son identité. On peut aisément deviner la valeur qu’il revêt aux yeux de Téhéran et considérer que si le régime le relâche, ce sera au prix fort. Il est devenu bien malgré lui une monnaie d’échange inestimable dans un contexte de tensions extrêmes entre les deux pays. Il est fort probable que le nom d’Hamid Nouri, l’ancien responsable pénitentiaire iranien condamné en Suède à perpétuité en juillet 2022, évoqué précédemment pour le cas du scientifique irano-suédois Ahmadreza Djalali en attente de son exécution, refasse son apparition dans la liste des doléances de Téhéran. L’exécution par pendaison en Iran en mai 2022, du dissident irano-suédois Habib Chaab met une pression maximale sur Stockholm.
Conclusion
La République islamique d’Iran a une longue tradition de politique des otages, qui représente un des volets de sa stratégie asymétrique permettant de maintenir la pression, à un moindre coût, sur les Etats qualifiés d’ennemis. Pour le régime iranien, il en va aussi de sa survie. Cette diplomatie des otages est un moyen de peser sur les adversaires qui doivent rendre des comptes à leurs citoyens, qui n’admettront jamais qu’on sacrifie la vie d’un individu au profit de politiques qui les dépassent.
Mais, attention : les libérations, quand elles ont lieu, ne doivent en aucun cas être interprétées comme des signes de changement de posture. Le régime iranien n’est pas plus conciliant, il est tout simplement dans une logique opportuniste. Si, pour l’Iran, il s’agit de petites victoires, à moyen et long terme, le coût économique est immense. Il est évident que cette politique coercitive a des effets négatifs considérables sur le secteur du tourisme ; il y a toujours une part d’inquiétude pour les voyageurs en provenance de certains pays, et il va sans dire que cela touche principalement les pays occidentauxLe tourisme occidental est en berne en Iran depuis 2018. Le recul a commencé après le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire. .
Par ailleurs, ce type de politique ne fait qu’accroître la mauvaise réputation de l’Etat qui l’utilise. Dans le même temps, arrivé à ce niveau de confrontation, l’Etat en question se soucie-t-il réellement des effets réputationnels ? On ne peut qu’en douter concernant l’Iran. Il ne faut pas oublier la place qu’occupe la propagande anti-occidentale dans le narratif des ayatollahs et des Gardiens de la révolution, qui font face à une contestation qui perdure depuis la mort de Mahsa Amini en septembre 2022.
Un autre élément est à prendre en compte, à savoir la recomposition des alliances dans la région, qui ne va pas dans le sens d’une condamnation unanime de ce type de procédés. L’initiative canadienne de déclaration contre la détention arbitraireGouvernement du Canada, « Déclaration contre la détention arbitraire dans les relations d’Etat à Etat », https://www.international.gc.ca, 12 février 2021. n’a été adoptée que par 58 pays et l’Union européenne. Tous s’accordent à dénoncer cette pratique inacceptable, mais malheureusement les pays ayant recours à ce type de chantage, comme on peut s’en douter, sont peu enclins à suivre le mouvement.
Le prix des négociations pour les pays pris pour cible est placé à un niveau très élevé. Mais à long terme, cela risque de marginaliser encore plus l’Iran vis-à-vis de l’Occident. Cependant, la RII s’est dernièrement rapprochée plus avant de la Chine et de la Russie. Preuve en est son intégration en tant que membre à part entière de l’Organisation de coopération de Shanghai en juillet 2023 et son ralliement aux BRICS, qui sera effectif le 1er janvier 2024Au cours du dernier sommet des BRICS, qui s’est tenu du 22 au 24 août 2023 à Johannesburg, les membres ont opté pour l’élargissement en invitant six pays à les rejoindre d’ici à 2024, parmi lesquels quatre pays de la région moyen-orientale – l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, l’Egypte et l’Iran. – autant de moyens supplémentaires pour le régime iranien de contourner les sanctions imposées par l’Occident et de renforcer sa politique du bras de fer. Les prochaines élections législatives iraniennes prévues en 2024 ainsi que l’échéance présidentielle américaine ne risquent pas d’apaiser les tensions.
D’autres dirigeants, par le passé, ont utilisé ce moyen de pression. Ce fut le cas avec Saddam Hussein : le vol BA149, en provenance de Londres et à destination de Kuala Lumpur, avait fait escale à Koweït City le 2 août 1990, quelques heures après l'invasion irakienne. Les 367 passagers et membres d’équipage, après avoir été regroupés pendant plusieurs jours dans un hôtel, puis transférés à Bagdad, ont été utilisés comme « boucliers humains » sur des sites stratégiques. Certains ont passé plus de quatre mois en captivité. On peut citer encore l’exemple des « otages bulgares » du colonel Kadhafi : cinq infirmières et un médecin d’origine palestinienne, condamnés à mort pour avoir prétendument inoculé le sida à des enfants libyens, et libérés en 2007 après huit ans de calvaire. Ce fut là aussi une victoire pour le régime de Kadhafi, qui, après avoir piétiné le droit, a fait son grand retour sur la scène internationale.
Il semble clair que la politique des otages, qu’elle émane directement d’un Etat ou d’un groupe armé au service d’un autre Etat, a malheureusement encore de « beaux jours » devant elle.
La diplomatie des otages : une arme du faible au fort entre les mains de l’Iran
Note de la FRS n°22/2023
Carole André-Dessornes,
6 novembre 2023