L’évolution du contexte spatial en Italie
Au XXème siècle, le secteur spatial italien apparaissait comme une niche d’excellence, un remarquable réservoir de savoir-faire et de technologies qui s’exprimait quasi exclusivement dans le cadre de collaborations internationales. Le patrimoine historique du spatial italien puise ses racines dans les années 1960, avec le projet San Marco du Conseil national de la recherche et l’activité du département d’ingénierie aérospatiale de l’Université de Rome La Sapienza, créé et longtemps dirigé par Luigi Broglio. Il faut également souligner l’importance de la recherche en astrophysique au sein de la remarquable école de physique italienne. Nous avons donc affaire à un secteur de haut niveau mais qui est longtemps resté plutôt discret, car lié à une communauté de chercheurs et d’industriels fonctionnant en cercle relativement clos au niveau national.
Pour examiner le spatial italien, il convient de partir des chiffres. Le budget de l’Agence spatiale italienne est d’environ 1 milliard d’euros alors que le volet italien du plan de relance européen, le PNRR, dédie plus de 2 milliards d’euros au spatialLaura Magna, « Non solo astropreneurs: quale destino dell’aerospazio italiano, manifattura da 50 miliardi di euro? », Industria Italiana, 1er décembre 2022.. Une enveloppe globale de 5 milliards devrait être consacrée au spatial en Italie dans les prochaines années« Spazio, dal Governo 5 miliardi in 5 anni », Giornale di Sicilia, 1er décembre 2022.. Dans le cadre de la ministérielle ESA qui s’est tenue à Paris en novembre 2022, l’Italie s’est engagée sur une contribution de 3,1 milliards d’euros pour la période 2023-2025, un budget qui est en nette augmentation (+ 35 %) comparé à celui de la conférence ministérielle de 2019« Finanza; Avio, esito conferenza ESA: attesi contratti per 700 milioni dal 2023 », Il Messaggero, 29 novembre 2022.. Déjà, le budget avait connu en 2019 un véritable bond en avant par rapport à la conférence précédente, en 2016. En l’espace d’une décennie, le budget italien consacré à l’ESA a quasiment triplé. Ces chiffres confirment la solidité des programmes d’une Italie qui se situe à la troisième place européenne, non loin de la France (3,2 milliards d’euros) et de l’Allemagne (3,5 milliards) alors que le budget global ESA est de 16,9 milliards d’euros. Cette fourchette de chiffres illustre combien l’Italie s’est désormais durablement ancrée dans le peloton de tête du spatial européen. Cette progression est assez récente et peut également s’illustrer par les avancées technologiques et les réformes institutionnelles qui sont intervenues au cours des vingt dernières années.
La montée en puissance du secteur spatial italien au XXIème siècle
Au cours du XXIème siècle, le spatial italien a franchi des étapes technologiques et symboliques qui apparaissent comme des passages cruciaux dans la montée en puissance du secteur. Le lancement de la fusée Vega, le 13 février 2012, représente certainement un moment topiqueGiovanni Caprara, « Spazio Dopo il lancio i nostri scienziati hanno cantato in coro l'inno di Mameli; In orbita Vega, il razzo made in Italy », Corriere della Sera, 14 février 2012.. L’aventure de l’accès à l’espace en Italie remonte aux origines du spatial, lorsque déjà au sein du projet San Marco les Italiens expérimentaient les lancements off-shore depuis une plateforme ancrée au large de Malindi au Kenya en utilisant des vecteurs américains. Depuis ces activités pionnières, on avait pu observer la persévérance d’une Italie qui poussait pour se doter d’une capacité en matière de lanceurs. Le projet Vega a connu bien des vicissitudes mais n’a jamais été abandonné et signifie clairement l’ambition italienne en la matière, une manière de sortir de la position ancillaire qui correspondait à la production exclusive de satellites et de services.
La participation d’astronautes italiens aux différentes missions habitées va également contribuer à incarner le spatial auprès du grand public. A ce sujet il convient de distinguer l’astronaute Samantha Cristoforetti, première femme italienne à voler en novembre 2014 : cet évènement suscite un large intérêt et renforce la perception du spatial en Italie.
Enfin, il faut également rappeler qu’a été adoptée en 2018 une loi d’organisation du secteur spatial, qui centralise les décisions sous l’autorité du chef du gouvernement (président du Conseil des Ministres) en instituant une cabine de pilotage pour la politique spatiale. Historiquement, le secteur spatial italien était caractérisé par une logique institutionnelle de recherche et développement avec une agence spatiale, l’ASI, placée sous l’autorité du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche« Spazio, a settembre prima riunione del Comitato interministeriale », Askanews, 20 juillet 2018.. La loi de 2018 fait progresser la politique spatiale au rang de politique gouvernementale prioritaire qui se doit d’être articulée dans une vision stratégique interministérielle qui englobe les différentes composantes : non seulement la recherche scientifique mais aussi la politique industrielle, la défense, les transports ou bien la diplomatie. On notera d’ailleurs qu’en décembre 2022 la fondation Leonardo a organisé un colloque au Parlement pour promouvoir une nouvelle législation pour les activités spatiales, ce qui illustre le consensus autour d’une structuration croissante du secteur ainsi que le rôle stratégique du groupe industriel italien« Camera: domani convegno sullo spazio con Fontana », ANSA, 15 décembre 2022..
Un autre élément doit être mentionné en ce qui concerne l’industrie. En 2007 se met en place une co-entreprise franco-italienne basée sur la fusion entre les activités spatiales d’Alcatel et celles de la holding italienne Finmeccanica. Cette opération produit l’actuelle structure de l’alliance spatiale entre les groupes français Thalès et italien Leonardo, héritiers de ces participations, autour des deux co-entreprises ThalesAleniaSpace et Telespazio. Ce passage est loin d’être anodin car il va forcer le principal producteur italien de satellites, Alenia, à rentrer dans une relation de coopération étroite avec le partenaire français. Certainement, il faudra presque une décennie pour qu’une dynamique bilatérale intégrée se mettre en place. A cet égard, il est important de relever l’aspect structurant qu’a pu constituer la coopération franco-italienne en matière de télécommunications de sécurité : les accords entre Athena-Fidus et Sicral vont permettre de solidifier la coopération industrielle au sein de ThalesAleniaSpace avec des possibilités de synergies et d’accès à un marché public dédiéGiovanni Caprara, « La sicurezza arriva anche dallo spazio », Il Corriere della Sera, 18 juillet 2008..
De plus, il convient de relever comment les activités spatiales se sont repositionnées au sein même de la holding Leonardo. Alors que l’accord avec la France laissait seulement 33 % de la joint-venture de production de satellites en mains italiennes, on aurait pu craindre une certaine « dénationalisation » de l’entreprise TAS-I, en d’autres termes que le caractère minoritaire ne remette en cause la perception de l’existence d’un champion national de construction de satellites par les différents acteurs italiens, au bénéfice d’autres sociétés. Il y a certainement eu un moment de flottement mais TAS-I a réussi à revenir sur le devant de la scène. Elle profite et contribue au renforcement du spatial en Italie d’une manière générale mais en outre elle se repositionne comme une marque positive au sein de Leonardo. Il faut rappeler que le groupe Leonardo est le fruit d’une histoire compliquée. L’ancienne Finmeccanica apparaissait comme une holding publique d’entreprises de technologie de taille moyenne, avec des spécificités et une action plutôt autonome des différentes composantes comme Selex, Datamat, Oto Melara ou Alenia Aeronautica. Le projet de transformation en Leonardo en 2016 correspond également au plan porté par le PDG de l’époque, Mauro Moretti, qui prévoit une intégration plus poussée avec la disparition des identités des entreprises composant la holding au profit d’une approche générique et globale sous la marque Leonardo. Cette opération s’est révélée plutôt négative pour les marques traditionnelles d’un groupe qui apparaissait dès lors comme réduit à son rôle de producteur d’hélicoptères (Agusta Westland), diminuant de fait l’autonomie des anciennes entités de la holding. Mais elle a provoqué un effet paradoxal en ce qui concerne Telespazio e ThalesAleniaSpace. Du fait de l’accord international de partage du contrôle avec le groupe français Thales, l’autonomie de ces entreprises a survécu à la volonté centralisatrice de la gestion Moretti car elles sont restées hors du périmètre centripète. Après la nomination d’Alessandro Profumo à la direction du groupe en 2017, la partie spatiale de Leonardo a pu tirer un large profit de la croissance nationale et internationale du secteur. Alors qu’en termes de résultats financiers l’activité spatiale du groupe pèse relativement peu par rapport à l’électronique de défense, les hélicoptères ou l’aéronautique, en termes de perception le spatial est devenu depuis la fin de la décennie 2010 une identité forte de l’entreprise qui se projette ainsi comme producteur avancé de technologie en bénéficiant également d’une dynamique de croissance. Les principaux dirigeants spatiaux du groupe, Massimo Comparini et Luigi Pasquali, ont joué un rôle clef dans cette dynamique de relance stratégique du spatial au sein de Leonardo, un élément qui est loin d’être anodin au vu de l’importance de l’acteur industriel dans un écosystème italien qui a toujours été caractérisé par la capacité des groupes publics à insuffler une stratégie globale à l’ensemble des acteursJean-Pierre Darnis, « The role of Italy’s strategic industries in its foreign policy », in Giampiero Giacomello, Bertjan Verbeek (eds), Italy's Foreign Policy in the Twenty-First Century. The New Assertiveness of an Aspiring Middle Power, Lanham, Lexington Books, décembre 2011..
Il faut également relever qu’une large partie du spatial italien se situe dans la région de RomeGiusy Lorlano, « Il Lazio va in orbita », Milano Finanza, 10 décembre 2022.. Entre le district électronique et spatial du quartier de la Tiburtina, en périphérie romaine, les usines d’Avio à Colefero, qui produisent les lanceurs, les pôles universitaires d’ingénierie de la Sapienza ou de Tor Vergata, le centre ESRIN de l’ESA à Frascati ou bien les institutions de pilotage comme l’ASI, un écosystème complet et efficace s’est mis en place à Rome. Certes il ne faut pas oublier l’existence d’autres centres d’excellence en Italie, de Turin jusqu’à Naples, mais l’effet de district romain est important et explique également la résonance sur les institutions (gouvernement et ministères) ainsi que sur la sphère médiatique.
Si les entreprises contrôlées par Leonardo apparaissent comme les chefs de file industriels du secteur (Telespazio, TAS mais aussi Avio dont Leonardo possède 29,6 % du capital), on relève également la croissance d’autres acteurs. Par exemple dans le cas des contrats de la nouvelle constellation Iride, OHB Italia et Argotec sont les maîtres d’œuvre des premières tranches. L’émergence de ces acteurs de taille plus réduite dans un contrat public important comme le programme Iride est un indice de la croissance de l’ensemble des acteurs du secteur, alors que différentes institutions se mobilisent pour faire en sorte que le tissu de PME italiennes, caractérisé par son dynamisme, puisse s’insérer dans la « space economy », comme observé lors du récent « New Space Economy European Expoforum » organisé à Rome en novembre 2022« New Space Economy European Expoforum: in presenza l’edizione 2022 », Askanews, 11 novembre 2022..
Ces éléments technologiques, humains, industriels et institutionnels illustrent la progression du spatial italien au cours des deux dernières décennies, une montée en puissance qui vient également croiser une tendance mondiale, celle de la revalorisation du spatial par le biais du « new space » et de la relance de l’exploration que l’on constate d’une manière générale depuis les années 2010.
L’évolution des programmes
Le spatial italien se trouve donc à la confluence entre des tendances internes et externes qui permettent d’expliquer la dynamique de croissance que l’on a déjà observée concernant les budgets.
Si l’on examine les programmes, on remarque qu’au sein de la ministérielle, l’Italie défend les filons déjà actifs, en particulier la réalisation du lanceur Vega E (avec un propulseur liquide) ainsi que celle de la navette de service spatial Space Rider, sans oublier le développement d’un étage supérieur réutilisableCarmine Fotina, « Spazio, maxi contratti per Avio: 950 milioni da Esa e Commissione Ue », Il Sole 24 Ore, 30 novembre 2022.. La filière spatiale italienne a réussi à s’imposer comme une filière complète, couvrant désormais un panel large de technologiesEmilio Cozzi, « L’eccellenza italiana tra tecnologie spaziali e applicazioni terrestri », Il Sole 24 Ore, 6 décembre 2022..
Un aspect important est celui du caractère pérenne de la commande publique italienne, un facteur qui apparaît comme un véritable levier. De ce point de vue, un des aspects les plus remarquables est certainement la croissance des capacités en matière d’observation de la Terre, avec en particulier la nouvelle constellation Iride, financée par le volet italien du plan de relance européenEnrica Battifoglia, « Al via costruzione satelliti Iride, per tutela Terra », ANSA, 3 décembre 2022.. La première tranche prévoit la réalisation de 22 satellites par deux consortiums coordonnés par Argotec et OHB Italia, avec une série d’entreprises sous-traitantes. Une deuxième tranche optionnelle est prévue, ce qui porterait l’investissement à un budget de 128 millions d’eurosDavie Madeddu, « Iride, in Italia 22 satelliti e investimenti per 68 milioni », Il Sole 24 Ore,3 décembre 2022.. Le budget global de ce programme devrait être d’1 milliard d’euros, avec le caractère particulier d’un programme italien mais dont la gestion a été confiée à l’ESA, en collaboration avec l’ASI, ce alors qu’au sein du plan de relance, 2,1 milliards sont dédiés à l’espaceGiovanni Caprara, « Sette miliardi per mandare l’italia in orbita », Corriere della Sera, 4 juillet 2022.. Ces sommes doivent être dépensées rapidement et les programmes réalisés d’ici 2026, ce qui est très bref. Il faudra donc probablement observer dans quelle mesure l’ensemble de ces budgets seront utilisés. Mais la tendance est claire, celle de pousser sur l’accélérateur du spatial en permettant à l’Italie de générer services et revenus.
De ce point de vue, Iride entend augmenter la disponibilité d’informations de géo-observation du territoire national italien, avec l’objectif de nourrir les différentes administrations italiennes dans une optique duale, mais aussi de permettre le développement de services pour faire face aux aspects critiques de la gestion environnementale, par exemple en ce qui concerne la connaissance fine des mouvements de terrain. C’est une vision d’un potentiel marché public et privé qui sous-tend un projet qui augmentera également les capacités de production d’information pour les utilisateurs de sécurité. Ici encore, cet aspect est caractéristique d’une Italie qui, depuis la production des satellites Cosmo-Skymed, a toujours mis en avant une logique duale, celle d’utilisateurs civils et militaires, ce qui lui permet de mobiliser des ressources que le seul ministère de la Défense n’arriverait pas à réunir. Il faut aussi relever la vision d’un écosystème italien qui veut faire croître sa capacité de production d’informations d’origine spatiale pour se situer en amont de la chaîne globale de valeur des données. Cette priorité donnée à l’observation de la Terre se retrouve également dans le soutien constant de l’Italie au programme européen Copernicus, une vision stratégique qui s’exprime dans la nomination, en octobre 2021, de Simonetta Cheli à la direction des programmes d’observation de la Terre de l’ESA, ce qui renforce la proximité entre l’ESRIN de Frascati et les institutions italiennes, comme on peut l’observer dans la gestion du programme Iride.
Parmi les programmes en cours de développement, il est important de souligner l’investissement sur l’exploration. Le programme de véhicule automatisé Space Rider est à cet égard significatif, ce d’autant plus qu’il comprend un volet sur la rentrée atmosphérique. Il faut enfin observer comment l’Italie contribue, au travers des capacités spécifiques des établissements turinois de TAS-I, non seulement à la partie européenne du programme lunaire Artemis (au sein du MSE, le module de service européen pour le vaisseau Orion) mais aussi au développement des modules d’habitation lunaire NASA pour le compte de Northrop Grumman, sans oublier le travail sur les structures d’habitation en orbite lunaire. TAS-I s’impose comme un fournisseur important dans le contexte de la relance de l’exploration lunaire, soit par le biais de la contribution ESA, soit directement pour la NASA.
Cette dualité apparaît comme révélatrice de tendances de fond. Le spatial italien est caractérisé par des dynamiques nationales qui doivent être en permanence analysées par le biais de leurs correspondances internationales. Il s’est historiquement construit dans une double dimension, transatlantique et européenne, et cette matrice se retrouve aujourd’hui dans les principaux axes de coopération (NASA, ESA et UE/Commission).
Le rapport avec la France : collaboration et compétition
Le secteur spatial italien est également caractérisé par un rapport très étroit avec la France, qui s’articule suivant plusieurs cercles, depuis les programmes bilatéraux jusqu’aux programmes européens (ESA ou Commission européenne). Nous avons déjà évoqué l’évolution de l’alliance industrielle TAS et Telespazio, la « Space Alliance » qui apparaît comme un facteur structurant. En ce qui concerne les programmes, on doit souligner la longue collaboration en matière d’observation de la Terre militaire, initiée par l’accord de Turin signé en 2001 et qui prend aujourd’hui la forme d’un accord signé en 2019 entre le programme français CSO et le programme italien Cosmo Skymed New Generation. Ces accords sont basés sur des échanges capacitaires, ce qui peut apparaître par certains côtés comme une véritable limite. Pour les télécommunications militaires, les accords entre Athena Fidus et Sicral structurent aussi une continuité des coopérations.
En 2015 a été signé un protocole global de coopération entre le CNES et l’ASI qui a permis de programmer différentes initiatives. Les rapports bilatéraux ont connu des aléas lors des périodes récentes, avec une phase particulièrement négative en 2018-2019. Le sommet intergouvernemental de Naples en février 2020 marquera un retour à la normale, et la nomination de Mario Draghi à la tête du gouvernement italien en 2021 sera le signe d’une entente remarquable avec la présidence Macron. En novembre 2021 ceci se traduit par une relance bilatérale, avec non seulement la signature du Traité du Quirinal, dont l’article 7 décrit de manière spécifique le cadre de coopération spatiale, mais aussi, au même moment, la signature d’un accord de coopération bilatérale en matière de lanceurs, qui pose les bases d’un soutien commun et réciproque à Ariane, priorité française, ainsi qu’à Vega, priorité italienne, et règle des questions de partage de charge industrielle entre les deux pays« La France et l'Italie adoptent un accord de coopération dans le spatial », Agence France Presse, 26 novembre 2021.. La question des lanceurs reste cependant problématique entre Paris et Rome. Quelques semaines après la signature de ces accords, les Italiens vont découvrir sur le site du CNES l’annonce du projet Maia de micro-lanceurs, qu’ils perçoivent comme posant une concurrence à VegaGianni Dragoni, « Spazio, la Francia crea (da sola) una nuova società di lanciatori Maia », Il Sole 24 Ore, 25 mars 2022.. Malgré les dénégations, cette perception négative perdure : entre la France et l’Italie, sur les lanceurs, on est perpétuellement à la recherche d’un compromis et d’un équilibre satisfaisant, comme l’indiquent les déclarations du PDG d’Arianespace, Stéphane Israël, qui, en novembre 2022, insiste sur la potentielle complémentarité entre Vega C et MaiaCarmine Fotina, « L’intervista. Stéphane Israël. L’amministratore delegato di Arianespace interviene sulla contesa tra i progetti Vega e Maia e sottolinea: ‘Nei lanciatori c’è complementarietà di mercato’; ‘Sullo spazio tra Italia e Francia c’è la possibilità di cooperare’ », Il Sole 24 Ore, 29 novembre 2022.. L’échec du second vol du lanceur Vega C le mois suivant est regrettable d’un point de vue technologique et capacitaire. Cette pause forcée pourra cependant mettre en lumière les mécanismes de solidarité européenne mais aussi une certaine prudence dans la lecture des retards des programmes, qu’il s’agisse d’Ariane 6 ou de Vega-C.
Il faut d’ailleurs noter sur ce point que l’affirmation du spatial italien nourrit parfois un filon de pensée nationaliste qui revendique un état de « puissance » spatiale pour l’ItalieAgnese Rossi, « L'Italia è una potenza europea dello Spazio ma non può abbassare la guardia », Limes, 12 décembre 2022.. Cette lecture géopolitique du spatial fait florès en Italie, et voit dans la France un rival plutôt qu’un partenaire, en faisant passer au second plan la multiplicité des scénarios de coopération à bénéfice commun dans le contexte européen. A cet égard, le spatial est utilisé en Italie comme un support sur lequel sont projetées des lectures historiques qui tendent à considérer comme problématique le rapport avec la France, une construction intellectuelle qui se retrouve chez les tenants d’un certain nationalisme italienJean-Pierre Darnis, Les relations entre la France et l’Italie et le renouvellement du jeu européen, L’Harmattan, coll. Perspectives stratégiques, Paris, 2021.. Il s’agit donc d’un problème récurrent qui doit être relié à la succession d’accrochages bilatéraux que l’on observe depuis le début des années 2000, tendance exacerbée lors de la crise bilatérale de 2018-2019.
La montée en puissance du spatial italien est certainement une bonne nouvelle, car elle illustre la volonté d’un pays qui mise sur la technologie dans le cadre d’une stratégie de croissance, une opération qui ne peut être que bénéfique car elle est susceptible d’avoir un effet d’entraînement au niveau européen. Mais cette affirmation du spatial est également parfois interprétée d’une manière nationaliste en Italie, en particulier en ce qui concerne le rapport avec la France, très souvent jalousée.
La perception de cette réalité, souvent ambivalente, doit pousser les partenaires européens à renforcer un jeu coopératif, avec des aspects de compétition qui peuvent se révéler vertueux s’ils restent dans le cadre d’une vision commune de progrès et de solidarité.
L’évolution du contexte spatial en Italie
Note de la FRS n°01/2023
Jean-Pierre Darnis,
4 janvier 2023