Moderniser et discipliner, la réforme de l’armée chinoise sous Xi Jinping

Le secrétaire général du Parti communiste chinois Xi Jinping a lancé en 2013 une vaste réforme de l'Armée populaire de libération (APL) afin d’en faire une armée moderne et puissante, un véritable outil au service de la protection des intérêts nationaux chinois. Mise en œuvre à partir de fin 2015, cette réforme vise à accroître les capacités opérationnelles de l'APL grâce à une chaîne de commandement optimisée, une restructuration des forces et une nouvelle organisation militaire du territoire chinois. La réforme vise également à garantir le contrôle politique et disciplinaire du Parti sur son armée.

Dès décembre 2012, quelques semaines après sa nomination au poste de secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC), Xi Jinping développait son concept phare de « rêve chinois » (中国梦), incluant le « rêve d’une armée puissante » (强军梦). Il considère que, pour parvenir à la renaissance de la nation chinoise, il est indispensable de construire « un pays prospère et une armée puissante » (富国和强军) L’interaction entre ces différents termes est définie précisément dans un article de l’Université de défense nationale publié par le journal du Comité central du PCC. « Le rêve chinois conduit au rêve d’une armée forte, le rêve d’une armée forte soutient le rêve chinois » (中国梦引领强军梦,强军梦支撑中国梦), Qiushi, 2 décembre 2013..

Dans un contexte stratégique marqué par les inquiétudes causées par la modernisation rapide des forces armées chinoises Les dépenses militaires chinoises ont triplé entre 2006 et 2016, dépassant, selon les données officielles, la barre de 150 milliards de dollars. La Chine occupe le deuxième rang mondial derrière les États-Unis dont les dépenses avoisinaient 600 milliards de dollars en 2016. , par l’accroissement des tensions régionales en mers de Chine orientale et méridionale, et plus largement par le renforcement de la compétition sino-américaine, Xi Jinping a initié une réforme sans précédent, par son envergure, de l’Armée populaire de libération (APL) afin d’en faire un véritable outil au service de la protection des intérêts nationaux chinois. Les trois objectifs de la réforme sont (1) de s’assurer de la loyauté totale de l’APL envers le PCC, (2) d’accroître les capacités opérationnelles des forces armées, et ainsi réduire l’écart capacitaire avec les États-Unis, et (3) d’améliorer le niveau d’entraînement et de professionnalisation des militaires.

La première étape, initiée officiellement lors du troisième plénum du 18ème Congrès du PCC en novembre 2013, visait à conceptualiser et préparer l’annonce de la réforme. Cette étape s’inscrit dans une évolution plus large du processus de prise de décision chinois et du système de sécurité chinois dans son ensemble. La seconde étape, à partir de fin 2015, a été l’amorce de la mise en œuvre concrète de la réforme avec, entre autres, la refonte de la chaîne de commandement, de la structure des forces et de l’organisation militaire du territoire, mais aussi le renforcement du contrôle politique et disciplinaire du Parti sur les forces armées.

Prémices et préparatifs de la réforme

Une double centralisation du processus de prise de décision

Le système politique chinois est caractérisé depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping par  une double concentration du pouvoir autour du Parti et, en son sein, autour de son secrétaire général Pour plus d’information voir : Bondaz Antoine and Meijer Hugo, “The Hegemon and the Challenger: The Dilemmas of American and Chinese Grand Strategy Formation in an Interconnected World”, Paper presented at the 24th World Congress of Political Science, IPSA, Poznan, juillet 2016.. Dès le 18ème Congrès du PCC de novembre 2012, Xi Jinping est devenu le secrétaire général du PCC et le président de la Commission militaire centrale (CMC), le plus haut organe décisionnaire militaire La Commission militaire centrale de la République populaire de Chine (RPC) et la Commission militaire centrale du Parti communiste chinois forment une seule et même Commission. Officiellement élue par l’Assemblée nationale populaire, elle est actuellement composée de onze membres et commande l’APL, la Police armée du peuple (PAP) ainsi que la milice de l’APL. C’est en sa qualité de président de la CMC, et non en sa qualité de président de la RPC, que Xi Jinping est le chef des forces armées chinoises. Il représente les intérêts des forces armées au sein du Comité permanent du Bureau politique du Comité central du PCC, qui ne compte plus de militaire depuis 1977.. Son prédécesseur, Hu Jintao, avait attendu deux ans après son arrivée au pouvoir en 2002 pour en prendre la présidence. Quant à Jiang Zemin, bien qu’il ait obtenu les deux postes en 1989, son influence sur l’APL était demeurée limitée jusqu’à la mort de Deng Xiaoping, en 1997.

La prépondérance du Parti dans l’organisation administrative, politique et sociale du pays a été renforcée, et Xi Jinping centralise l’essentiel du processus de décision, à travers notamment la présidence de la plupart des organes institutionnels, dont diverses commissions et l’ensemble des groupes dirigeants restreints en charge des questions internationales et stratégiques. Ces groupes dirigeants restreints au sein du PCC sont en charge de la coordination politique au plus haut niveau A titre d’exemple, le groupe dirigeant restreint en charge des affaires internationales, actuellement présidé par Xi Jinping, est composé du vice-président de la RPC, des directeurs du Département de la propagande et du Département International du PCC, du conseiller d’État pour les affaires étrangères, des ministres des Affaires étrangères, de la Défense nationale, de la Sécurité publique, de la Sécurité d’État, et du Commerce, ainsi que des directeurs du Bureau des affaires de Taiwan, du Bureau des affaires de Hong Kong et de Macao, du Bureau de l‘information du Conseil d’État et du Bureau des chinois d’outremers..

A l’issue du sixième plénum du 18ème Congrès, en octobre 2016, « tous les camarades du PCC » ont en outre été appelés à s'unir étroitement autour du comité central, le camarade Xi Jinping en étant le cœur » « S’unir étroitement autour du Comité central du Parti avec le camarade Xi Jinping en son cœur afin de créer une nouvelle situation dans laquelle le Parti et ses engagements se développent de façon complète et stricte » (紧密团结在以习近平同志为核心的党中央周围努力开创全面从严治党和各项事业发展新局面), Quotidien du Peuple, 24 novembre 2016.. Le terme de « cœur » (核心), qui fait référence à la nécessité de reconnaître un dirigeant central au sein d’un système de leadership collectif (集体领导), avait été utilisé pour la première fois en novembre 1989 pour qualifier Jiang Zemin, puis pour qualifier de façon rétroactive Mao Zedong et Deng Xiaoping. Hu Jintao, souvent présenté comme un dirigeant plus faible que ces prédécesseurs, n’en avait pas bénéficié Miller Alice, “The PLA in the Party Leadership Decision-making System” in Saunders Phillip C. and Scobell Andrew (eds.), PLA Influence on China’s National Security Policymaking, Stanford Security Studies, 2015, pp. 58-83..

Une conception extensive et inclusive de la sécurité nationale

La réforme de l’APL s’intègre dans une réforme plus vaste de l’appareil de sécurité chinois, articulée autour du nouveau concept de « sécurité nationale aux caractéristiques chinoises » (中国特色国家安全). Ce concept doit permettre au PCC de faire face à ce qui est présenté comme des risques sécuritaires « sans précédent » menaçant son maintien au pouvoir « Le comité central du Politburo du PCC a tenu une réunion pour étudier et approuver un aperçu  de la stratégie de sécurité nationale » (中共中央政治局召开会议 审议通过国家安全战略纲要), Xinhua, 23 janvier 2015., Ce n’est donc pas seulement la sécurité de l’Etat mais aussi la sécurité du PCC qui doit être garantie et renforcée par cette grande réforme.

Ce concept est par conséquent volontairement extensif et inclusif. L’amiral Sun Jianguo, vice-chef d'état-major de l’APL, en a présenté onze dimensions : sécurité politique (政治安全), sécurité du territoire (国土安全), sécurité militaire (军事安全), sécurité économique (经济安全), sécurité culturelle (文化安全), sécurité sociétale (社会安全), sécurité scientifique et technologique (科技安全), sécurité de l'information (信息安全), sécurité écologique (生态安全), sécurité des ressources (资源安全) et sécurité nucléaire (核安全) Sun Jianguo, « Suivre de façon inébranlable la voie de la sécurité nationale aux caractéristiques chinoises » (坚定不移走中国特色国家安全道路), Qiushi, n° 5, 2015..

En janvier 2014, la Commission centrale de sécurité nationale (中央国家安全委员会) a été créée en tant qu’institution décisionnaire pour élaborer des politiques et coordonner les organes de sécurité chinois au sens large. Cette nouvelle institution, dont le projet existait depuis la fin des années 1990, notamment suite à la crise de 1995-1996 dans le détroit de Taiwan Cabestan Jean-Pierre, La politique internationale de la Chine: entre intégration et volonté de puissance, Presses de Sciences Po, 2010., vise à rationaliser la réflexion et la prise de décision en matière de sécurité nationale, alors que celles-ci étaient éclatées en une multitude de groupes de travail restreints, de commissions, de bureaux et de ministères sans coordination au plus haut niveau Pour plus d’information voir : Julienne Marc, “The New Central National Security Commission”, China Analysis, ECFR, mars 2014..

Evolutions perceptibles dans la doctrine militaire chinoise

La neuvième version du Livre blanc sur la défense nationale, soit la deuxième version depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, a été publiée en mai 2015. Malgré un nouveau titre, La stratégie militaire de la Chine (中国的军事战略), aucun changement fondamental de doctrine n’est à relever. Le concept de « défense active » (积极防御) demeure au cœur de la doctrine militaire du PCC depuis la guerre civile. Il repose sur l’interprétation du concept maoïste « nous n’attaquerons pas à moins d’être attaqué, mais nous contre-attaquerons sûrement en cas d’attaque » (人不犯我,我不犯人;人若犯我,我必犯人). Autrement dit, cette stratégie repose sur deux piliers : la protection des intérêts chinois d’une part et la riposte en cas d’atteinte à ces mêmes intérêts d’autre part.

Cependant, plusieurs évolutions notables qui prennent en compte l’évolution de l’environnement stratégique et des intérêts internationaux de la Chine, sont à noter. Elles donnent toute leur cohérence aux réformes annoncées quelques mois plus tard. Premièrement, l’objectif principal des forces armées n'est plus de « gagner des guerres locales dans les conditions d'informatisation » (打赢信息化条件下的局部战争), objectif en vigueur depuis 2004, mais de « gagner des guerres locales informatisées » (打赢信息化局部战争). Selon les analystes chinois, ce changement sémantique indique que « l’informatisation » « L’objectif est d’atteindre une position dominante dans le domaine de l’information au sens large ce qui implique de mettre en place des systèmes permettant de mieux utiliser les sources d’information, d’accroître les capacités de reconnaissance, d’alerte avancée et de contrôle, de développer des moyens de frappes de précision à moyenne et longue portée, ou encore d’améliorer les systèmes de soutien aux forces armées ». Cheung Tai Ming, Mahnken Thomas, Seligsohn Deborah, Pollpeter Kevin, Anderson Eric, Fan Yang, Planning for Innovation: Understanding China’s Plans for Technological, Energy, Industrial, and Defense Development, U.S.-China Economic and Security Review Commission, 2016, p. 18. (信息化) n’est plus une simple caractéristique des guerres modernes, mais un facteur déterminant et incontournable pour gagner la guerre, ce qui intègre également la nécessité croissante de mener des opérations interarmées Wen Bing, « Identifier le point de départ de la préparation à la lutte militaire » (定准军事斗争准备基点), Study Times, 8 juillet 2015..

Deuxièmement, une priorité plus grande est accordée aux questions maritimes. Le pays doit ainsi « abandonner la mentalité traditionnelle d’une supériorité de la terre sur la mer » Cette préoccupation mentionnée dans le Livre blanc a depuis longtemps été soulignée par les universitaires chinois. Voir : Bondaz Antoine, “China facing its maritime borders” in China Analysis, ECFR, février 2013.. Alors que les intérêts chinois à l’étranger se multiplient, les capacités de la Marine chinoise doivent être renforcées afin de remplir un spectre croissant de missions.  Celle-ci ne doit ainsi plus seulement assurer la « défense des eaux côtières » (近岸防御), expression utilisée dans les Livres blancs de 2010 et 2013, mais être en mesure de garantir la « défense des eaux côtières et la protection en haute mer » (近海防御与远海护卫). Enfin, alors que les différends territoriaux et les risques d’incidents en mers de Chine orientale et méridionale s’accroissent, la Chine doit développer ses capacités opérationnelles en termes de « combat naval » (海上军事斗争).

Troisièmement, alors que le spatial et le cyberespace n’étaient que brièvement mentionnés dans les précédents Livres blancs, le spatial est désormais considéré comme un « espace incontournable de la compétition stratégique internationale ». La défense du cyberespace est devenue « un nouveau pilier du développement économique et social, et un nouveau domaine de la sécurité nationale » La stratégie militaire de la Chine (中国的军事战略), Bureau de l’information du Conseil d’État de la RPC, 26 mai 2015..

Un processus de réforme méthodique

En parallèle de ces évolutions doctrinaires, la réforme de l’APL s’est déroulée de façon méthodique et fortement coordonnée à partir du troisième plénum du 18ème Congrès du Parti, en novembre 2013. La toute première étape a été de créer cinq groupes de travail restreints pour concevoir et mettre en œuvre la réforme. Le plus important, le Groupe dirigeant restreint de la CMC pour l’approfondissement de la réforme de la défense nationale et des forces armées (中央军委深化国防和军队改革领导小组), s’est réuni pour la première fois le 15 mars 2014. Dirigé par Xi Jinping, le Groupe a pour vice-responsable exécutif le général Xu Qiliang, second-vice-président de la CMC, ancien commandant en chef de l’armée de l’Air, réputé proche de Xi.

Ce cycle préparatoire s’est conclu par l’organisation d’une Conférence de travail du 24 au 26 novembre 2015, et par la présentation par Xi Jinping des grandes lignes de la réforme militaire à venir. A notamment été énoncé le nouveau « Principe en douze caractères » (十二字) qui préconise que « la CMC contrôle l’ensemble, les zones de combat dirigent le combat, et les armées gèrent la construction des forces » (军委管总, 战区主战, 军种主建). Les détails pratiques de la réforme ont quant à eux été dévoilés quelques semaines plus tard dans un « Avis de la CMC sur l'approfondissement de la réforme de la défense nationale et des forces armées » « Avis de la CMC sur l'approfondissement de la réforme de la défense nationale et des forces armées » (中央军委关于深化国防和军队改革的意见), Xinhua, 1er janvier 2016., le 1er janvier 2016.

Réformer pour accroître les capacités opérationnelles de l’APL

Nouvelle chaîne de commandement

Groupes de travail restreints liés à la réforme de l’APL (tableau réalisé par les auteurs)

Formés en 2013

Groupe dirigeant restreint pour l’examen des projets d’infrastructures militaires et des biens immobiliers de l’armée

全军基本建设项目和房地产资源普查工作领导小组

Groupe dirigeant restreint pour l’éducation et la mise en pratique de la ligne de masse

全军党的群众路线教育实践活动领导小组

Groupe dirigeant restreint de la CMC pour l’inspection du travail

中央军委巡视工作领导小组

Formés en 2014

Groupe dirigeant restreint de la CMC pour l’approfondissement de la réforme de la défense nationale et des forces armées

中央军委深化国防和军队改革领导小组

Groupe dirigeant restreint pour la supervision de l’entraînement militaire

全军军事训练监察领导小组

Le 11 janvier 2016 a été annoncée une profonde restructuration de l’organisation de la chaîne de commandement au sein de l’APL. Le principal objectif était de rationaliser le processus décisionnel en donnant une place prépondérante à la CMC. Ainsi les quatre très influents Départements généraux (de l’Etat-Major, de la Politique, de la Logistique et de l’Armement) de l’APL ont été absorbés par la CMC et leurs prérogatives ont été éclatées en six départements, trois commissions et cinq bureaux. Si certains des directeurs des quatre anciens Départements généraux, sont aujourd’hui à la tête de certains organes de la CMC, ils ont en revanche perdu une part importante de leurs attributions et de leur autonomie. 

Structure de commandement militaire avant la réforme (pré 2016)
Structure de commandement militaire après la réforme (post 2016)  

Cette réorganisation prend le contre-pied d’une tendance initiée par Deng Xiaoping qui visait à réduire la verticalité de la chaîne de commandement et à accroître la coordination horizontale entre la CMC et les Départements généraux Tai Ming Cheung, “The Riddle in the Middle, China’s Central Military Commission in the Twenty-first Century” in Saunders Phillip C. and Scobell Andrew (eds.), PLA Influence on China’s National Security Policymaking, Stanford Security Studies, 2015, pp. 84-119.. Ce raccourcissement de la chaîne de commandement permet à la CMC d’avoir un contrôle direct sur les nouvelles cinq zones de combat et sur les quatre armées. Pour compléter cette centralisation du pouvoir, Xi Jinping s’est octroyé le titre de Commandant en chef (总指挥) du Centre de commandement interarmées des opérations (联合作战指挥体制), créé en avril 2016.

La nouvelle structure de l’APL, annoncée le 31 décembre 2015, comprend désormais officiellement deux nouvelles armées, l’armée de Terre et l’armée des Lanceurs, et une nouvelle Force de soutien stratégique.

La création d’une véritable armée de Terre (陆军) dotée d’un état-major particulier vise à normaliser une organisation institutionnelle dans laquelle le poids des forces terrestres est historiquement prépondérant par rapport aux forces navales et aériennes. Les militaires chinois évoquent à ce titre le « concept de la grande armée de Terre » (大陆军观念) Cheng Li, “Promoting ‘Young Guards’: The Recent High Turnover in the PLA Leadership (Part II: Expansion and Escalation)”, China Leadership Monitor, n° 49, février 2016., les composantes aérienne et marine étant numériquement marginales par rapport aux forces terrestres. La majorité des postes clefs de l’APL étaient également occupés par des officiers des forces terrestres, à l’instar des  Départements généraux, des régions militaires, et encore aujourd’hui six des onze sièges de la CMC.

Cette prédominance n’est pas uniquement remise en cause par cette réforme organisationnelle. Dès le 3 septembre 2015, dans l’allocution d’ouverture du défilé militaire célébrant le 70ème anniversaire de la victoire chinoise sur le Japon en 1945, Xi Jinping annonçait la réduction des effectifs de l’APL de 300 000 hommes Cette réduction n’est ni la première ni la plus importante – un plan de réduction d’un million d’hommes avait été lancé en 1985. KOKOSHIN Andrei A., “2015 Military Reform in the People’s Republic of China: Defense, Foreign and Domestic Policy Issues”, Harvard Kennedy School, Belfer Center Paper, octobre 2016., une réduction qui concernera principalement les forces terrestres. Par ailleurs, les effectifs de recrutement dans les académies militaires liées à l’armée de Terre ont diminué de 24 % entre 2015 et 2016. A l’inverse, les académies militaires liées à la Marine, l’armée de l’Air et l’armée des Lanceurs ont vu leur recrutement croître de 14 %, et le recrutement dans les domaines spécifiques du renseignement spatial, des radars et des drones a augmenté de 16 % “PLA Restructuring Changes Focus at Military Schools”, China Daily, 28 avril 2016.. Enfin, le vice-amiral Yuan Yubai a été nommé en janvier 2017 commandant de la zone de combat méridionale, soit le premier marin à occuper un tel poste.

La Force de la seconde artillerie en charge     de l’arsenal balistique conventionnel et nucléaire a été renommée armée des Lanceurs (火箭军) Rocket Force est la traduction officielle en anglais d’armée des Lanceurs, mais elle ne reflète pas l’évolution institutionnelle de « force » à « armée ».. Elle a été élevée au rang d’« armée » (军) au même titre que les armées de Terre, de l’Air et la Marine alors qu’elle n’avait, de 1966 à 2015, que le rang de « force » (部队). Les forces stratégiques chinoises, qui constituent « la pierre angulaire de la sécurité de la Chine », deviennent par cette réforme la quatrième arme de l’APL, pour l’instant seule responsable de la dissuasion nucléaire Malgré un programme avancé de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (Type 094, Classe Jin) et de missiles balistiques océaniques (JL-2), la dissuasion océanique chinoise n’apparaît pas encore opérationnelle. La Chine ne dispose pas non plus officiellement d’une composante aéroportée..

En outre, afin de prendre en compte l’importance croissante du cyberespace et de l’espace pour les intérêts nationaux chinois et de « gagner des guerres locales informatisées », la réforme de l’APL a conduit à la création d’une Force de soutien stratégique (战略支援部队), censée soutenir les opérations en matière de guerre électronique, dans le cyberespace et le spatial.

Enfin, l’interopérabilité entre les différentes forces de l’APL est devenue un enjeu majeur, qui requiert de mieux coordonner les capacités navales, aériennes, balistiques, ainsi que cybernétiques et spatiales. C’est dans cette optique qu’a été créée en septembre 2016 la Force de soutien logistique interarmées (联勤保障部队) au sein de la CMC (à la différence de la Force de soutien stratégique qui est une composante autonome de l’APL). Celle-ci est basée à Wuhan et dispose de cinq centres répartis à travers le territoire (Wuxi, Guilin, Xining, Shenyang, Zhengzhou) “China Establishes Joint Logistic Support Force”, China Military Online, 13 septembre 2016.. Le commandement des opérations par les zones de combat, tout comme la création du Centre de commandement interarmées des opérations dirigé par Xi Jinping, sont également des signaux forts de la volonté de former les forces à intervenir conjointement.

La réorganisation du territoire en cinq « zones de combat »

Zones de combat et localisation des États-majors interarmées

Le 1er février 2016, les sept régions militaires (军区) ont été remplacées par cinq zones de combat (战区) qui disposent chacune d’un état-major interarmées et d’un état-major de chacune des armées (seulement trois états-majors dans les trois zones maritimes pour la Marine). Une innovation importante est que les zones de combat sont désormais en charge du commandement des opérations en cas de guerre via leur état-major interarmées, et non plus les états-majors de chaque armée.

Le général Jin Mingkui, vice-directeur pour l’éducation à l’université de Défense nationale, a quelque peu précisé les fonctions spécifiques de ces zones de combat Jin Mingkui, « Un changement fondamental dans la structure de commandement » (指挥体制的根本变革), China Network, 27 novembre 2016.. Selon lui, la zone de combat orientale se concentre sur la « réunification pacifique » avec Taiwan et gère les tensions en mer de Chine orientale ; la zone de combat méridionale « maintient la stabilité » en mer de Chine méridionale et gère les « interférences » des puissances étrangères ; la zone de combat occidentale est en charge du maintien de la stabilité du grand Ouest chinois ; la zone de combat septentrionale préserve la stabilité en Asie du Nord-est et est en charge de la dissuasion nucléaire ; enfin, la zone de combat centrale protège la capitale et serait responsable de la réserve opérationnelle.

Cette réorganisation modifie fortement la configuration spatiale des anciennes régions militaires et redistribue l’administration militaire des provinces chinoises. Notons la discontinuité géographique de la zone de combat septentrionale qui rassemble des provinces héritées des anciennes régions militaires de Pékin (Mongolie intérieure), de Shenyang (Heilongjiang, Jilin et Liaoning), et plus étonnamment de Jinan (Shandong) de l’autre côté du Golfe de Bohai. Cette spécificité est vraisemblablement liée à la mission de dissuasion qu’assure cette zone de combat, dont la délimitation reprend celle de la Base 51 de l’armée des Lanceurs.

Réformer pour garantir le contrôle politique et disciplinaire du parti sur l’armée

L’armée du Parti

Le contrôle politique et disciplinaire au sein de l’armée constitue un autre volet majeur de la réforme. Le tout premier axe de la réforme, tel que présenté par Xi Jinping, est en effet de s’assurer du maintien du « leadership absolu du Parti sur l’armée » (党对军队绝对领导) et de la « mise en œuvre complète du système de responsabilité du président de la CMC » (全面落实军委主席负责制). Ce contrôle accru sert trois objectifs. Le premier, fondamental, est de rappeler que l’APL est l’armée du PCC, et non l’armée de la République populaire. Le second est de lutter contre la corruption colossale au sein de l’armée. Le troisième est de purger les éléments hostiles à Xi Jinping et de se prémunir contre l’émergence de nouvelles factions.

Les visites à forte portée symbolique se sont multipliées ces dernières années afin de rappeler la primauté du Parti sur l’armée, et de légitimer en parallèle la lutte contre la corruption. En novembre 2014, au cours d’une conférence de travail à l’occasion du 85ème anniversaire de la Conférence de Gutian, Xi Jinping rappelait le contrôle absolu du Parti sur l'armée et citait Mao Zedong selon qui « le Parti commande le fusil » « Notre principe est que le Parti commande le fusil, et il ne devra jamais être permis au fusil de commander le Parti » (我们的原则是党指挥枪,而决不容许枪指挥党). Mao Zedong, "Problems of War and Strategy", Discours de clôture de la Sixième réunion plénière du Comité central du PCC, 6 novembre 1938.. Le secrétaire général du PCC était entouré de tous les membres de la CMC, et plus de 400 représentants de l’APL et du ministère de la Sécurité publique assistaient à la conférence. Cet événement a été fortement médiatisé dans la presse chinoise et qualifié de « nouvelle conférence de Gutian ».

La conférence de Gutian

Gutian est un site emblématique dans l’histoire du PCC. La Conférence de Gutian a eu lieu en décembre 1929. Il s’agissait de la première réunion depuis la fondation de l’Armée rouge des travailleurs et des paysans de Chine (中国工农红军), le 1er août 1927.

Dans son discours, le commissaire politique de la Quatrième branche de l’Armée rouge, Mao Zedong, avait critiqué les « idées erronées » (错误思想) dont « le point de vue purement militaire » selon lequel l’armée commanderait au Parti. Il affirmait la primauté de la politique et donc du Parti sur les affaires militaires et s’insurgeait contre ceux qui considéraient que « les affaires militaires et la politique sont opposées l'une à l'autre » et qui « refus[ai]ent de reconnaître que les affaires militaires ne sont qu’un des moyens d’accomplir des objectifs politiques ». Il ajoutait également que la « mission de l'Armée rouge n’[était] pas simplement de combattre mais aussi de faire de la propagande, d’organiser et d’armer les masses afin d’aider à la création d’un pouvoir politique révolutionnaire » Mao Zedong, “On Correcting Mistaken Ideas in the Party”, Discours au Neuvième Congrès du Parti de la Quatrième branche de l’Armée rouge, décembre 1929.. Xi Jinping inscrit ainsi sa réforme dans les origines mêmes de l’Armée rouge afin de la légitimer en la rendant compatible avec l’idéologie du PCC.

Un contrôle politique accru de l’APL

Afin d’assurer un contrôle politique et disciplinaire strict et à tous les niveaux hiérarchiques de l’APL, trois nouveaux organes ont été établis lors de la réforme de la CMC début janvier 2016 : la Commission d'inspection de la discipline (军委纪委), auparavant uniquement présente au sein du Parti mais pas au sein de l’Armée, la Commission politique et judiciaire (军委政法委), équivalent du plus haut organe décisionnel et de contrôle de l’appareil de sécurité publique dans le civil, et le Bureau de l’audit (军委审计署), qui contrôle la bonne mise en œuvre de la réforme sur le plan financier.

Dès février 2015, la CMC publiait une directive ordonnant à l’APL et la Police armée du peuple (PAP) de cesser toute activité. Des mesures avaient déjà été prises par ses prédécesseurs, mais Xi Jinping entend y mettre fin de façon définitive d’ici 2019. Celles-ci concernent en particulier la location immobilière, la production agricole et l’élevage, l’organisation de réceptions ou encore les services médicaux. Les sources officielles ont estimé début 2017 que 40 % de ces activités avaient d’ores et déjà cessé Zhang Tao, “PLA Slashes Commercial Activities”, People’s Daily Online, 19 janvier 2017.. Ces activités constituaient un canal important pour la corruption et le détournement d’argent. La cessation des services commerciaux favorise également – en théorie – un recentrage des militaires sur leur corps de métier.

D’autres mesures ont été prises, telle que l’annonce faite en décembre 2016 par le directeur du Département du travail politique de la CMC, Zhang Yang, de l’élaboration d’un « système pour les officiers basé sur le grade » (军官军衔制度) “China to Build Rank-Centered Military Officer System”, People’s Daily Online, 19 décembre 2016; « Transcription de la conférence de presse régulière du ministère de la Défense de décembre » (12月国防部例行记者会文字实录), Xinhua, 29 décembre 2016. . Celui-ci aura pour objectif de réglementer l’attribution d’un poste selon le grade de l’officier. Ainsi des officiers à fonction égale auront le même grade et un officier n’ayant pas le grade requis ne pourra pas postuler à un poste supérieur. Ce système devrait permettre d’éviter les difficultés de gestion de la hiérarchie et la promotion arbitraire d’officiers à un grade ou poste sous ou surévalués, souvent en contrepartie de pots de vin.

Une lutte anti-corruption visant les plus hauts échelons de l’APL

La campagne de lutte contre la corruption au sein de l’APL a été largement médiatisée. Plusieurs officiers généraux de premier plan ont déjà fait l’objet d’enquêtes et certains ont été condamnés. Guo Boxiong et Xu Caihou en sont les deux plus éminents exemples, tous deux ayant siégé à la CMC au cours de la précédente administration (2002-2012). En mars 2015, les trois généraux à la retraite Luo Yuan, Jiang Chunliang et Yang Chunchang révélaient sur Phoenix TV que Xu Caihou monnayait l’attribution du poste de commandant de région militaire à hauteur de plusieurs millions de yuan Gan Nectar, “Retired Generals Point to ‘Horrible’ Graft in PLA”, South China Morning Post, 10 mars 2015..

D’autres officiers généraux à la retraite ont été condamnés pour corruption, comme Yang Jinshan, ancien vice-commandant de la région militaire de Chengdu, Liu Zheng, ancien vice-directeur du Département général de la logistique, Yu Daqing, ancien commissaire politique adjoint de la Force de la seconde artillerie, Tian Xiusi, ancien commissaire politique de l’armée de l’Air. D’autres ont été poursuivis par la justice chinoise alors qu’ils étaient encore en poste comme Fan Changmi, vice-commissaire politique de la région militaire de Lanzhou ou plus récemment Wang Jianping, commandant adjoint du département de l’état-major de la CMC et ancien commandant de la Police armée du peuple (PAP), arrêté en août 2016.

La punition des éléments déviants est accompagnée par la valorisation des officiers « loyaux et irréprochables » qui défendent les intérêts du Parti et de l’armée, comme l’a préconisé Xi Jinping lors d’un discours début décembre 2016 sur l’orientation de la réforme de l’APL. A cette occasion il a également appelé à éradiquer « l’influence pernicieuse » (流毒影响) qu’ont eue Guo Boxiong et Xu Caihou « Xi Jinping participe à la Conférence […] », op. cit.. Enfin, afin de s’assurer de la loyauté des forces armées, Xi Jinping s’est efforcé à promouvoir une « nouvelle garde » de généraux (少壮派). Ainsi, en août 2015, 9 des 11 généraux aux postes clés de la Marine et 10 des 11 généraux aux postes clés de l’armée de l’Air avaient été nommés depuis le 18ème Congrès du PCC, i.e. par Xi Jinping en tant que Président de la CMC Les postes les plus importants sont ceux de commandant, commandant adjoint, commissaire politique, commissaire politique adjoint, chef d'état-major, directeurs des Départements de la politique et de la logistique. Le taux de renouvellement moyen dans les postes clés de l’APL atteignait 63% en aout 2015. Cheng Li, “Promoting ‘Young Guards’: The Recent High Turnover in the PLA Leadership (Part I: Purges and reshuffle)”, China Leadership Monitor, n° 48, septembre 2015..

Conclusion

La réforme de l’APL entreprise par Xi Jinping est sans précédent. Elle modifie en profondeur l’organisation institutionnelle et géographique des forces armées, tout en soulignant l’importance croissante prise, non seulement par la Marine, mais aussi par les forces de soutien stratégique. Elle confirme également le rôle central de la dissuasion nucléaire et l’importance de l’interopérabilité entre les forces. Cette réforme pourrait permettre à terme de faire de l’APL  un outil efficace au service du Parti dans la défense des intérêts nationaux, que ce soit au niveau du territoire national ou des intérêts chinois à l’étranger.

La réforme militaire initiée par Xi Jinping va cependant au-delà de cette réorganisation des forces armées. Elle inclut aussi la dimension technologique à travers l’intégration des capacités civiles et militaires. Cette dynamique avait été initiée par Deng Xiaoping dans les années 1980 avec des résultats toutefois mitigés. Sous Xi Jinping, une véritable stratégie nationale a été mise en place en 2014 qui vise à étendre et approfondir la coopération civilo-militaire dans le domaine de la recherche et développement (notamment via les universités, les centres de recherche, les entreprises publiques et privées) ; à promouvoir le développement technologique des équipements militaires grâce aux innovations civiles (spin-on) et via des sources de financements diversifiées ; et à l’inverse, faire profiter la sphère civile des innovations militaires (spin-off).

L’efficacité globale de la réforme en matière de formation, de discipline et de capacités des forces restera à observer dans les années à venir. La question des résistances internes au sein de l’armée et du parti est, par exemple, un facteur difficile à évaluer pour l’instant. Le 19ème Congrès du PCC, prévu en novembre 2017, permettra d’envisager l’avenir de la réforme à travers la confirmation, scénario le plus crédible, ou non de l’autorité de Xi Jinping sur le PCC, mais aussi les nominations au sein du Comité permanent du Bureau politique et de la CMC. La composition de cette dernière pourrait présenter des évolutions significatives, conséquence directe de ces réformes. Plusieurs questions se posent dont le nombre de membres de la CMC, la nomination des commandants des zones de combat et de la Force de soutien stratégique, ou encore l’intégration ou non dans la CMC d’un représentant du contrôle politique et disciplinaire de l’armée.

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