Le troisième côté du triangle, ou le nécessaire dialogue stratégique entre l’Europe et l’Asie

La globalisation des enjeux de sécurité, par-delà la distance géographique et un faible engagement traditionnel dans les questions de sécurité au sens strict, impose un approfondissement du dialogue stratégique entre l’Europe et l’Asie. La stabilité de la zone Asie-Pacifique, menacée par de multiples tensions dans la péninsule coréenne ou en mer de Chine, constitue un enjeu majeur pour une Europe elle-même confrontée à des défis complexes de l’Ukraine au Moyen-Orient en passant par le risque terroriste. Si le partenariat de sécurité avec les Etats-Unis demeure primordial, cette évolution aboutit à un rapprochement des théâtres européens et asiatiques, qui nécessite une meilleure compréhension et une meilleure prise en compte des limites du possible et des enjeux réciproques.

Les dialogues transatlantique et transpacifique constituent les deux axes traditionnels d’un dialogue stratégique qui s’est développé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La fin de la Guerre froide n’a pas fondamentalement modifié cette logique et, longtemps, le dialogue euro-asiatique n’a occupé qu’une place réduite, peu encouragé par ailleurs par l’acteur américain.

Pourtant, au-delà du respect des normes et des principes, dans un monde devenu « apolaire » et plus instable, le système de sécurité international est aujourd’hui confronté à de vrais enjeux de sécurité, qui posent un défi direct à des puissances comme l’Union européenne ou le Japon. L’éloignement géographique, des priorités parfois différentes entre les intérêts économiques et les questions de sécurité, un contexte stratégique différent, ont longtemps rendu peu lisible la prise en compte de l’existence de menaces communes, qui imposent des consultations approfondies aux deux extrémités du continent eurasiatique.

Pourtant, notamment au niveau des acteurs les plus engagés en matière de défense comme la France, on constate une véritable prise de conscience, qui va au-delà des cercles stratégiques, du caractère commun des défis auxquels les États représentants de l’ordre démocratique international sont aujourd’hui confrontés.

En Asie, le Japon et ses voisins d’Asie du Sud-Est font directement face à la montée des tensions en mer de Chine orientale et méridionale. Mais pour une Europe dont 40 % des échanges extérieurs se fait avec l’Asie-Pacifique, la stabilité de la zone et la prévention des risques d’escalade et des conflits font aussi partie des intérêts majeurs, bien au-delà de la seule dimension économique. En la matière, la stratégie de la Chine en mer de Chine méridionale, qui semble remettre en cause certains aspects du droit international public, a contribué à une prise de conscience au niveau européen de l’importance des enjeux de sécurité en Asie.

Mais l’Asie et l’Europe sont également confrontées à d’autres enjeux de sécurité plus immédiats. La poursuite du programme nucléaire et balistique de la Corée du Nord constitue une menace très directe en Asie, mais également pour le système de non-prolifération. Par ailleurs, la portée des missiles intercontinentaux que la Corée du Nord cherche à développer aussi bien l’espace européen que les États-Unis. En Europe, la stratégie russe constitue un sujet majeur de préoccupation, mais le Japon est également confronté à la multiplication des incursions des forces aériennes russes.

Enfin, les États-Unis demeurent un des principaux facteurs de stabilité stratégique en Asie comme en Europe, mais la montée d’un isolationnisme qui viendrait mettre en danger leur capacité d’engagement, alors même que, face aux menaces, la consolidation des alliances apparaît comme un élément essentiel de stabilité, constitue aussi un motif de préoccupation partagé.

Un acteur chinois moins intégré au système international

Dans ce contexte difficile, la Chine occupe une place particulière. La montée en puissance de la RPC (République populaire de Chine) constitue un facteur incontournable qui pèse sur les équilibres stratégiques régionaux, mais, dans le même temps, les incertitudes qui entourent l’avenir de la puissance chinoise, ainsi que les réticences de Pékin devant un engagement véritablement responsable sur la scène internationale, doivent être prises en compte.

Par ailleurs, la position de la Chine, et les relations entretenues avec ses voisins et les puissances extérieures à la région, sont marquées par l’ambiguïté. Alors que les tensions s’accroissent entre la Chine et la quasi totalité des États de la zone Asie-Pacifique, le dynamisme des échanges économiques n’est pas interrompu. Et si une menace pèse sur la poursuite du processus de régionalisation économique centré sur la puissance chinoise, il s’agit d’abord d’une menace liée au ralentissement de la croissance économique auquel Pékin fait aujourd’hui face.

Pourtant, la stratégie mise en œuvre au niveau régional depuis la fin des années 2000, et plus encore depuis le XVIIIème congrès du Parti communiste et l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping, renforce les tensions. La stratégie extérieure de la Chine semble déterminée par une double analyse dont les termes sont contradictoires mais renforcent le sentiment d’urgence des autorités. Selon cette analyse, la Chine bénéficie d’une période d’opportunité qui doit lui permettre d’affirmer avec forces ses intérêts en Asie, mais, dans le même temps, les incertitudes démographiques et économiques font craindre un retournement brutal et plus rapide que prévu de ces circonstances favorables.

Par ailleurs, en dépit des apparences, le pouvoir de l’actuelle direction chinoise est fragile. Des contestations internes au parti communiste se sont notamment exprimées quant aux choix effectués par la direction. La préparation du prochain congrès du parti communiste en 2017 pourrait entraîner une nouvelle période de turbulences, et, dans ces circonstances, le choix d’une stratégie extérieure plus agressive constitue aussi un moyen de renforcer la cohésion interne Rappelons qu’à la veille du XVIIIème congrès une lutte de clans entre « fils de princes » a abouti à l’élimination de Bo Xilai. Aujourd’hui, la lutte contre la corruption s’apparente aussi à une lutte de clans entre la faction entourant Xi Jinping et des rivaux potentiels..

Au mois d’octobre 2015, en dépit de l’échec du concept de « nouvelles relations entre grandes puissances » sur lequel Pékin espérait fonder une relation « d’accommodement » avec les États-Unis, le président Xi Jinping a souligné à l’occasion d’une session d’étude du bureau politique du parti communiste que « la gouvernance globale et l’équilibre des forces » se trouvaient à un tournant « New World Order : Xi Bent on Securing Bigger Role for China in Global Affairs », South China Morning Post..

A plusieurs reprises, devant la Conférence CICA (Conference on Interaction and Confidence-building Measures in Asia), Xi Jinping a également défendu l’idée d’une « Asie aux asiatiques », excluant les puissances extérieures. L’architecture de sécurité fondée sur le renforcement des alliances avec les États-Unis est dénoncée comme obsolète, l’objectif est bien de tenter d’imposer dans la région un nouvel ordre défini par la hiérarchie de puissance entre la Chine et ses voisins, hors de toute « ingérence ».

La conclusion, en Asie, de ces analyses, a été d’accélérer les prises de position de la puissance chinoise, notamment en mer de Chine, afin de tirer partie le plus rapidement possible d’une période d’opportunité qui pourrait s’interrompre. La stratégie de la Chine en mer de Chine pose un défi direct au Japon, autour de la question des Senkaku, et le défi est d’autant plus grand que la menace est floue, maintenue à un niveau « infra militaire » avec le recours aux garde-côtes et à la milice maritime.

La stratégie de la Chine en mer de Chine méridionale pose également un défi à la communauté internationale en termes d’interprétation de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) et de liberté d’accès aux biens communs maritimes. Si, contrairement à la situation qui prévaut au Moyen-Orient et au risque terroriste, les tensions en mer de Chine n’ont fait aucune victime, leur impact à plus long terme sur la gouvernance mondiale pourrait être très significatif si un signal fort n’était pas donné par la communauté internationale, y compris en Europe.

Cette accélération du processus d’affirmation de puissance de la Chine concerne également les capacités militaires, et l’APL est désormais appelée à parachever ses objectifs de modernisation avant 2020, dans le but de crédibiliser les capacités d’interdiction de la RPC.

Paradoxalement, cette stratégie d’affirmation de puissance de la Chine en Asie a toutefois abouti à un affaiblissement de ses positions au profit des États-Unis et du Japon, perçus aujourd’hui bien plus favorablement dans l’ensemble d’une zone qui s’inquiète et cherche à équilibrer les avancées de la puissance chinoise.

Mais au-delà des ambitions régionales, qui répondent d’abord, pour le pouvoir chinois, à la volonté de renforcer la légitimité du régime en s’appuyant sur une rhétorique nationaliste, c’est l’ensemble de l’ordre international fondé sur un système de valeurs et de normes démocratiques que Pékin tente de remettre en cause, dans les faits, si ce n’est dans les discours publics.

La RPC peut reconnaître la validité des règles qui régissent le système international pour ses propres intérêts économiques, qui dépendent massivement de la globalisation. Par ailleurs, Pékin s’oppose à toute réforme du système international qui pourrait remettre en cause le statu quo hérité de la Seconde Guerre mondiale établissant une division claire entre vaincus et vainqueurs. Mais dans le même temps, Pékin souhaite remettre en cause un statu quo normatif perçu comme essentiellement imposé par les États-Unis.

25 ans après la fin de la Guerre froide, on constate paradoxalement que la division idéologique entre la Chine et les ‘valeurs’ du monde occidental se renforce et que, contrairement à ce qui avait pu être espéré, notamment en Europe, la convergence progressive entre les deux systèmes est non seulement illusoire mais considérée comme un risque majeur par les dirigeants chinois. Pour Pékin, la première des menaces est en effet la menace idéologique du changement de régime, dont l’un des vecteurs serait justement la mise en œuvre d’un système de valeurs démocratiques universelles.

Pour le régime chinois, le caractère universel de ces normes est contesté, et leur mise en œuvre résulte d’un calcul constant mettant en balance les intérêts nationaux et plus encore ceux du parti communiste. La Chine a également lancé une série d’initiatives destinées à imposer – dans la mesure du possible – son propre système de normes. L’AIIB (Asian Infrastructure Investment Bank) – bras financier du programme « One Belt One Road » en constitue un exemple. Si la mise en œuvre de projets concrets semble difficile, et si l’entrée des puissances européennes peut permettre un meilleur contrôle du fonctionnement de l’AIIB, l’objectif initial était bien d’imposer des normes nouvelles et plus souples en matière d’investissements et d’attribution de crédits.

Autre initiative pour contourner les règles dont la Chine pourrait difficilement s’affranchir au sein d’une AIIB élargie aux puissances démocratiques occidentales, le fond d’investissement d’État Silk Road Fund, qui n’est soumis à aucun contrôle extérieur en termes de respect des normes internationales, et pourrait être plus facilement utilisé comme vecteur de la puissance chinoise en Asie centrale, avait été créé à la fin de l’année 2014 http://www.silkroadfund.com.cn/enwap/27363/index.html. Cette « caractéristique chinoise » se retrouve également sur le continent africain, ou en Amérique latine, où l’exemple de la faillite du Venezuela vient mettre en évidence les dangers d’un soutien exclusivement motivé par des considérations stratégiques.

La menace directe de la Corée du Nord

Si la Chine pose un défi de sécurité qui doit être pris en compte au-delà du contexte régional, la Corée du Nord – qui multiplie les essais nucléaires et balistiques – pose elle un défi de sécurité direct et immédiat. Des interrogations subsistent quant à la capacité nucléaire de la Corée du Nord, mais d’ores et déjà la Corée du Sud ainsi que le Japon et les bases américaines dans l’archipel sont à portée de tirs des missiles Nodong qui pourraient être équipés d’une tête nucléaire.

Par ailleurs, la crédibilisation des capacités nucléaires de la Corée du Nord pourrait augmenter le risque de provocations ou d’une attaque conventionnelle, à l’abri d’une capacité nucléaire limitée mais étayée par l’image de jusqu’au-boutisme cultivée par le régime nord-coréen. En cas de conflit, la Corée du Nord pourrait également être tentée d’utiliser son arsenal avant tout risque de frappe de décapitation.

Face à cette menace directe, la question pour le Japon, mais aussi pour la Corée du Sud, est celle de la dissuasion élargie, y compris dans sa dimension nucléaire, et des garanties de sécurité offertes par l’allié américain. Le déploiement de systèmes de défense anti-missiles apparaît comme une réponse crédible face à la Corée du Nord, mais ne lève pas totalement l’hypothèque de l’engagement des États-Unis. En cas d’abandon du Japon entraînant de fait une rupture de l’alliance nippo-américaine, c’est toute l’architecture de sécurité régionale qui s’effondrerait et le Japon lui-même pourrait être tenté, en dépit des contraintes auxquelles il est soumis, de se doter d’une capacité de dissuasion autonome.

Le danger est d’autant plus pressant que, selon certains analystes, le Japon et les bases américaines dans l’archipel, pourraient constituer aux yeux de la Corée du Nord un maillon faible dans la chaîne de la dissuasion. Le risque de voir Pyongyang considérer qu’une frappe sur l’archipel pourrait ne pas entraîner de riposte des États-Unis, et risquer une stratégie d’emploi ou de menace d’emploi en cas de conflit, n’est pas négligeable. Cette hypothèse est renforcée par les incohérences capacitaires, alors que les missiles non stratégiques à portée intermédiaire peuvent être équipés de têtes nucléaires.

Comme la plupart des puissances nucléaires, la Corée du Nord semble considérer que les capacités nucléaires, mêmes limitées, permettent de contrôler l’escalade d’un conflit conventionnel ou même nucléaire, dans une rupture majeure avec le concept de dissuasion qui pose comme principe qu’un conflit nucléaire impliquant des grandes puissances ne peut pas être contrôlé.

Dans le cas de la Corée du Nord, dans un contexte d’asymétrie de puissance conventionnelle, la capacité nucléaire a en effet aussi comme objectif d’accroître les marges de manœuvre et la capacité d’action des États les plus faibles, au risque d’une montée aux extrêmes. Et la question qui est soulevée à Pyongyang, est celle de l’asymétrie de la détermination entre des puissances démocratiques gouvernées par la raison et des puissances autoritaires ou totalitaires jouant au contraire des risques de crise.

Dans ce contexte, en réponse à la menace nord-coréenne, le renforcement de la coopération de sécurité entre les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud est essentiel. Le possible déploiement du système anti-missile THAAD en Corée du Sud, longtemps retardé, pourrait jouer en faveur de cette coopération accrue, sous la forme notamment d’échanges d’informations.

De même, les doutes qui pèsent sur la dissuasion élargie en Asie doivent être levés, non seulement auprès des alliés des États-Unis, mais plus encore peut-être auprès de la Chine et de la Corée du Nord, et un équilibre opérationnel doit être trouvé entre moyens conventionnels et nucléaires de la dissuasion.

Mais le défi posé par la Corée du Nord est également un défi posé à l’ensemble de la communauté internationale. Pour Pyongyang, il apparaît clairement que la force nucléaire ne constitue pas – si cela a jamais été le cas – une monnaie d’échange, mais bien une capacité que Pyongyang souhaite acquérir et crédibiliser.

Pour le régime nord-coréen, comme pour la Chine, les armes nucléaires apparaissent en effet, au-delà de la simple dissuasion au sens classique du terme, comme des atouts indispensables à la survie du régime qui permettent de sanctuariser non-seulement le territoire mais aussi le système politique. A Pékin comme à Pyongyang, l’argument de la chute des régimes irakien et libyen, qui ne possédaient pas d’armes nucléaires, est régulièrement avancé.

Face à la stratégie de provocation de Pyongyang, les grands États démocratiques semblent toutefois démunis et les sanctions adoptées à l’ONU ne sont effectives qu’à la mesure de leur mise en œuvre par l’ensemble des États concernés. Si la RPC a condamné fermement la nucléarisation de la Corée du Nord, la priorité pour le régime chinois demeure de préserver l’atout stratégique que cette dernière représente dans un contexte perçu comme plus menaçant par la communauté stratégique chinoise. Face aux États-Unis et à la stratégie du rééquilibrage vers l’Asie prônée par l’Administration Obama, la RPC n’est pas prête à mettre en œuvre des mesures qui pourraient aboutir à un effondrement du régime nord-coréen La RPC et la DPRK sont toujours liées par un Traité mutuel d’aide, d’alliance et d’amitié signé en 1961..

Dans ce contexte, la reprise éventuelle d’un dialogue à six qui n’a pas fait ses preuves, dont le succès éventuel impliquerait d’importantes concessions au régime de Pyongyang, ne peut apparaître comme une solution. Et pour certains analystes en effet, la solution de la question nucléaire en Corée du Nord ne pourra passer que par une évolution profonde du régime et un changement de priorité, de la confrontation à la coopération.

Le rôle ambigu de la Russie

Trait d’union entre l’Europe et l’Asie, la Russie peut également apparaître comme un point de divergence, au moins dans les analyses, entre les acteurs asiatiques, dont le Japon, et les acteurs européens. Des similitudes existent, entre les empiétements de la Russie en Ukraine et le changement de statu quo territorial avec l’annexion de la Crimée – qui constitue un véritable changement de paradigme depuis la fin de la Guerre froide - et la stratégie de la Chine en mer de Chine méridionale.

Dans les deux cas, le choix de la rupture avec une stratégie précédente plus favorable à l’intégration au système international semble avoir été fait. Dans le cas de la Russie, il s’agit d’un véritable recul, qui s’explique aussi par des facteurs de politique intérieure liés à une recherche de légitimité du pouvoir fondée sur le nationalisme alors que le pays fait face à de graves défis économiques. Phénomène que l’on retrouve également en Chine.

Ce recul est également sensible au Conseil de sécurité, où la Russie a utilisé à plusieurs reprises son droit de veto, et dans les négociations sur le contrôle des armements. Par ailleurs, cette évolution négative de la stratégie russe pourrait remettre en cause la stratégie du rééquilibrage vers l’Asie mise en œuvre par l’Administration Obama.

Pourtant, les enjeux stratégiques autour du rôle de la Russie en Europe et en Asie ne sont pas identiques. En Europe – et aux États-Unis – la menace russe, y compris dans sa dimension nucléaire, inquiète. En Asie, et notamment au Japon mais pas uniquement, si la dimension militaire de la menace russe n’est pas totalement écartée, et si on note un important déficit de confiance stratégique, ce sont les risques liés à un rapprochement stratégique trop étroit entre Pékin et Moscou qui semble l’emporter. Pour nombre d’analystes japonais, le renforcement des capacités militaires de la Russie en Asie, y compris les capacités nucléaires, s’explique aussi, si ce n’est avant tout, par la volonté de préserver une forte capacité de dissuasion face à la puissance chinoise.

Et en la matière, des marges de manœuvre existent. La Russie et la RPC partagent, face aux États-Unis, des intérêts communs et sont liés par un partenariat stratégique qui s’est notamment traduit par une montée en puissance qualitative des échanges militaires Des accords prévoyant la fourniture à la Chine de batteries de missiles S400 et d’avions SU 35 ont été signés.. Pourtant, sur les questions maritimes, en dépit de déclarations récentes du ministre des Affaires étrangères Sergei Lavrov dénonçant « l’internationalisation du conflit en mer de Chine », la Russie semble paradoxalement partager les positions de la communauté internationale sur la liberté de circulation et le respect du droit international. Moscou doit en effet répondre aux attentes de ses alliés dans la région, dont le Vietnam.

Lors d’un sommet Russie-ASEAN qui s’est tenu à Sotchi au mois de mai 2016, si l’accent a été mis sur le développement des échanges économiques, la Russie aurait également exprimé son soutien aux positions de l’ASEAN sur la liberté de circulation maritime et de survol, la condamnation de l’usage ou de la menace d’usage de la force et le respect du droit international Miles Maochun Yu, « Russia’s Pacific Pivot : the Moscow Beijing Shadow Boxing Continues », The National Interest, 27-05-2016..

Conclusion

En dépit de l’éloignement géographique, l’évolution du contexte stratégique entraîne un rapprochement des théâtres européens et asiatiques. Les menaces sont à la fois régionales, en mer de Chine en Asie, sur le pourtour russe en Europe, mais également globales. Tout empiètement territorial, toute atteinte non sanctionnée au droit international, met en danger la stabilité d’un système de sécurité international fondé sur le respect de normes communes.

Face à ces risques multiformes, qui ne sont pas toujours perçus de manière identique aux deux extrémités du continent eurasiatique, l’approfondissement du dialogue entre l’Europe et l’Asie sur les questions de sécurité, aboutissant à des prises de positions claires et coordonnées, est essentiel. Ainsi, en accord avec les positions des pays membres du G7, le Japon a cherché à préserver un équilibre entre la poursuite des sanctions contre la Russie et une aide financière très importante apportée à l’Ukraine et la nécessité de reconstruire un dialogue stratégique essentiel avec la puissance russe. De même, l’ensemble des pays du G7 ont réaffirmé lors du sommet de Iseshima la primauté du droit international fondé sur des valeurs communes et le rejet de toute intimidation, coercition ou recours à la force ; principe qui ne peut que s’appliquer aux questions de sécurité maritime en Asie.

En dépit de ces évolutions très positives, en termes de perception, des fossés importants subsistent toutefois. La politique du Japon en matière d’engagement sur la scène internationale et d’aide aux réfugiés, la nature des tensions sur les questions historiques auxquels il est confronté en Asie sont mal comprises en Europe. Inversement, les attentes de Tokyo en matière d’engagement de sécurité en Asie de la part d’États européens, dont la France, peuvent apparaître comme disproportionnées ; et les évolutions importantes en matière de perception de la puissance chinoise en Europe ne sont pas suffisamment reconnues.

Mais ce dialogue passe aussi par la reconnaissance par les États-Unis, garants de la stabilité en Asie et en Europe, de la nécessité d’intégrer et d’encourager le renforcement de ce dialogue euro-asiatique sur les questions de sécurité.

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