Une nouvelle étape dans le désarmement spatial : le cas des tests de missiles antisatellites à ascension directe
Le désarmement passe par une forme de renoncement. C’est ainsi que, depuis plusieurs semaines, certains États s’engagent, les uns après les autres, à s’abstenir de tester des missiles antisatellites destructifs à ascension directe. Le 29 novembre 2022, la France a officiellement rejoint ces pays, s’engageant elle aussi à ne pas procéder à ce type d’essais, « qu’elle considère déstabilisateurs et irresponsables »France Diplomatie, « Spatial – Engagement de la France à ne pas conduire d’essais de missiles antisatellites destructifs à ascension directe », 29 novembre 2022..
Publiée simultanément sur le site internet du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et de celui des Armées, la déclaration française souligne que ces essais sont à l’origine de nombreux débris qui peuvent compromettre l’intégrité des satellites en orbiteIdem.. Il s’agit donc d’un engagement essentiel pour la sécurité, la stabilité et la sûreté spatiales internationales et, plus largement, la durabilité à long terme des opérations spatiales.
Le 30 novembre 2022, dans le cadre d’une visite d’État aux États-Unis, le président français Emmanuel Macron a profité d’une conférence de presse avec la vice-présidente américaine Kamala Harris pour rappeler la position française en matière de sécurité spatiale. Il a ainsi décrit l’espace extra-atmosphérique comme « un nouveau lieu de conflictualité » et pointé l’importance « d’élaborer de nouvelles règles et de les mettre en œuvre ensemble », présentant ainsi l’engagement français comme s’inscrivant dans un projet internationalÉlysée, Échange avec la vice-présidente Kamala Harris et les acteurs du spatial au siège de la NASA, 30 novembre 2022..
Le désarmement passe par des engagements mais aussi par des actes. Ici, la promesse de restreindre certaines technologies contre-spatiales se combine à la pratique étatique de ne pas tester ce type de système d’armement créateur de débris spatiaux. Cela contribue à réduire les risques de collisions qui pèsent de manière constante, sans distinction, sur tous les États spatiaux et ceux qui aspirent à le devenirZhanna Malekos Smith, When Elephants Fight in Space, CSIS, 12 janvier 2022..
Diplomatie en trois actes : s’engager au désarmement pour renforcer la sécurité et la sûreté dans l’espace
Le Traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967 (Traité sur l’espace), texte fondateur du système juridique actuellement applicable au-delà de notre atmosphère terrestre, est un bon exemple de réussite s’agissant de la diplomatie multilatéraleTraité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra- atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes (Traité sur l’espace), 1967, New York, 19 décembre 1966, RES 2222 (XXI).. Ce traité fournit des principes généraux clés tels que « l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques » et pose certaines limites de comportements dans l’espaceCassandra Steer, « Why Outer Space Matters for National and International Security », Center for Ethics and the Rule of Law, 8 janvier 2020, p. 17.. Il ne contient cependant que très peu d’indications quant à la manière de sécuriser l’espaceAlmudena Azcárate Ortega, Return of ASATs and counterspace technologies: A slippery slope to weaponisation?, Observer Research Foundation, Space Tracker, 19 octobre 2021. Selon les dispositions du Traité sur l’espace, Article IV, l’orientation pacifique du traité se manifeste notamment par l’engagement « à ne mettre sur orbite autour de la terre aucun objet porteur d’armes nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive, à ne pas installer de telles armes sur des corps célestes et à ne pas placer de telles armes, de toute autre manière, dans l’espace extra-atmosphérique » et par l’interdiction faite aux États d’aménager des bases et autres installations militaires et fortifications, et de procéder à des essais d’armes de tous types et à l’exécution de manœuvres militaires sur les corps célestes., ce qui laisse, en théorie, les États libres d’y utiliser des armes conventionnelles tant que ce n’est pas de manière agressive, à l’encontre un autre acteur spatial. Dans la mesure où les États respectent le droit international, en particulier la Charte des Nations unies, ils n’ont aucune limitation précise quant au développement des capacités militaires spatiales, défensives et offensives, qu’ils jugent nécessaires pour protéger leurs intérêts de sécurité nationaleJessica West, Almudena Azcárate Ortega, Space Dossier 7: Norms for Outer Space: A Small Step or a Giant Leap for Policymaking?, United Nations Institute for Disarmament Research, 17 mars 2022, p. 9.. Dans ce cadre, l’absence de règles concrètes portant sur les actes hostiles dans l’espace peut se révéler problématique, en particulier dans un contexte de tensions entre deux ou plusieurs pays qui chercheraient à affirmer leur supériorité militaire.
Dans nos sociétés modernes, les technologies spatiales prennent une place de plus en plus importante et stratégiqueChloé Duffort, « L’application du droit international humanitaire dans l’Espace : une impasse ? », Revue Diplomatique, n° 13, Institut EGA, p. 160.. L’émergence de nouvelles formes de conflits s’appuyant sur les applications satellitaires stratégiques s’est accompagnée de l’essor de technologies contre-spatiales, parmi lesquelles les missiles antisatellites destructifs à ascension directe.
Par conséquent, depuis les années 1980, au sein de la Conférence du désarmement de l’ONU, les États débattent de l’arsenalisation de l’espace dans le cadre d’une résolution intitulée « Prévention d’une course aux armements dans l’espace »Résolution 36/97C, Assemblée Générale de l’ONU, 36ème Session, Prévention d’une course aux armements dans l’espace, 9 décembre 1981 ; Benjamin Silverstein, Daniel Porras, John Borrie, Space Dossier 5 – Alternative Approaches and Indicators for the Prevention of an Arms Race in Outer Space, UNIDIR 9 (2020).. Au cours des discussions multilatérales récentes, il a été reconnu que « le régime juridique applicable à l’espace extra-atmosphérique ne garantit pas à lui seul la prévention d’une course aux armements dans l’espace » et qu’il est nécessaire « de consolider et de renforcer ce régime et d’en accroître l’efficacité »Résolution 75/35, Assemblée Générale de l’ONU, 75ème Session, Prévention d’une course aux armements dans l’espace, 16 décembre 2020, p. 3 (texte original : « the legal regime applicable to outer space by itself does not guarantee the prevention of an arms race in outer space […] there is a need to consolidate and reinforce that regime and enhance its effectiveness […] »)..
Les échanges qui ont lieu à la Conférence du désarmement portent notamment sur certains types de comportements dits « irresponsables » dans l’espace. Cette approche permet de ne pas directement et individuellement mettre en cause des États mais plutôt d’encadrer certaines activités ou pratiques. A titre d’exemple, les actions intentionnelles ayant une incidence directe ou indirecte sur la sécurité des opérateurs et systèmes spatiauxLaetitia Cesari Zarkan, « What’s in a word? Notions of ‘security’ and ‘safety’ in the space context », Commentary, United Nations Institute for Disarmament Research, 2020..
Au cours des débats, les États travaillent également sur certaines propositions de maîtrise des armements dans l’espace, en particulier le placement d’armes dans l’espace et la manière de définir les menaces et de vérifier le respect par les États de leurs obligations internationalesVoir Jessica West, Almudena Azcárate Ortega, op. cit., p. 27.. Le dialogue contribue à renforcer la prise de conscience des États, utilisateurs ou bénéficiaires d’applications spatiales, quant à l’importance des enjeux liés à la sécurité de l’espace extra-atmosphériqueVictoria Samson, Earth-to-space threats by States to space systems, Speech to the Open-Ended Working Group on reducing space threats through norms, rules, and principles of responsible behaviours, 13 septembre 2022.. A l’heure actuelle, de plus en plus d’acteurs étatiques et non étatiques s’impliquent dans les travaux de la Conférence du désarmement, notamment sur la prévention d’une course aux armements dans l’espace, car ils bénéficient directement des services, données et applications issus des systèmes spatiaux. Cela concerne le développement économique, la protection de l’environnement et les réponses en cas de catastrophe naturelle.
Ainsi, le 1er novembre 2022, la Première Commission de l’ONU a approuvé une résolution intitulée « Essais de missile antisatellite à ascension directe et à visée destructrice », présentée par les États-UnisRésolution A/C.1/77/L62, Première Commission, Assemblée Générale de l’ONU, 77ème Session, Essais de missile antisatellite à ascension directe et à visée destructrice, Prévention d’une course aux armements dans l’espace, 13 octobre 2022.. Un mois après l’adoption de cette résolution, l’Australie, le Canada, l’Allemagne, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la République de Corée, la Suisse, le Royaume-Uni, les États-Unis et, désormais, la France ont déjà rejoint le groupe des États qui se sont engagés à ne pas procéder à de tels essais.
Les normes volontaires peuvent constituer une première étape dans les efforts multilatéraux si un certain nombre d’États décident d’y adhérer. Cela implique un engagement politique qui s’accompagne d’actes : les États sont ainsi censés dire ce qu’ils font et faire ce qu’ils disent, donc adopter une attitude compréhensible, claire et transparente combinée à une communication ouverte et constante entre puissances spatiales.
Renoncer à certaines capacités contre-spatiales pour garantir la stabilité et la durabilité de l’espace
L’avantage stratégique qu’offre l’intégration de systèmes spatiaux dans les opérations militaires en font un atout, mais également un objectif militaire potentiel. Si jusqu’à présent certaines technologies contre-spatiales non destructrices ont été employées dans le cadre d’opérations militaires, notamment dans le cyberespace, aucun État n’a jamais utilisé de système dit « physique cinétique » qui dispose de la capacité de détruire en frappant directement un objet placé dans l’espace contre un autre État. De plus, seul un nombre limité d’États a testé ce type de capacités contre-spatiales dans le passéValentin Degrange, Peter Hugo, Laetitia Cesari Zarkan, « Entre force et diplomatie spatiale : le missile russe Nudol s’invite à la table des négociations », Notes d'actualité de l'IESD, Institut d'Études de Stratégie et de Défense, 1er décembre 2021, p. 3. . En saluant l’engagement des États-Unis à ne pas effectuer de tests antisatellites destructifs tirés depuis le sol dès le 21 avril 2022France Diplomatie, États-Unis – La France salue l’engagement des États-Unis à ne pas effectuer de tests anti-satellites destructifs tirés depuis le sol (21 avril 2022), 21 avril 2022., puis en s’engageant formellement le 29 novembre 2022, la France a d’ailleurs rappelé à deux reprises n’avoir elle-même jamais procédé à de tels essais.
Cependant, si le renforcement de la sécurité et de la stabilité spatiales implique une nécessité de désarmer, renoncer à un système d’armement a des conséquences stratégiques. Le fait pour un État de s’engager à se défaire d’une technologie contre-spatiale stratégique est significatif. En plus de constituer une marque de puissance par laquelle les États peuvent démontrer leur force de frappe, même en temps de paixNivedita Raju, « A Proposal For A Ban On Destructive Anti-Satellite Testing: A Role For The European Union? », Non-Proliferation and Disarmament Papers, n° 74, Stockholm International Peace Research Institute, EU Non-Proliferation and Disarmament Consortium, avril 2021, p. 6., une technologie contre-spatiale est également un vecteur de menace. Disposer d’un tel système est un moyen de s’assurer de la possibilité de neutraliser l’accès à des technologies spatiales intégrées dans une stratégie de défense ou de sécurité nationale et d’affaiblir ainsi les capacités militaires de puissance rivales. De plus, la création de débris, qui résulte de l’impact, peut également être une manière de déstabiliser un environnement spatial très prisé par les forces militairesErin Pobjie, « The Meaning of Prohibited ‘Use of Force’ in International Law », MPIL Research Paper, Max Planck Institute for Comparative Public Law, 2022-27, 18 novembre 2022, p. 26.. Au cours des discussions multilatérales, un État a suggéré d’ajouter à cet engagement des mesures concrètes portant sur l’abandon de la production et du développement de ce type de systèmesUnited Nations, « Approving 21 Drafts, First Committee Asks General Assembly to Halt Destructive Direct-Ascent Anti-Satellite Missile Tests in Outer Space », 77ème session de la Première Commission, Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, Meeting Coverage, 1er novembre 2022.. Par ailleurs, cette résolution ne parle que de tests mais n'empêche pas leur utilisation en temps de conflit ni ne prévoit le démantèlement des systèmes existants, déjà testés par certaines puissances spatialesIdem..
Il s’agit pour les différents gouvernements de faire un choix politique et diplomatique. Si les États peuvent être particulièrement réticents à l’idée de se restreindre ou d’abolir leurs capacités contre-spatiales, la réduction de ce type de menaces, qui passe par le désarmement, est aussi la clé de la stabilité. Cela concerne toute particulièrement « les petites et moyennes puissances pour lesquelles la paix mondiale, le contrôle des systèmes d’armements et le désarmement sont des manières d’améliorer la sécurité nationale »Emmanuelle Maitre, Pauline Lévy, « Becoming a disarmament champion: the Austrian crusade against nuclear weapons », The Nonproliferation Review, 26:5-6, p. 538.. Ainsi, la garantie d’une certaine prédictibilité de l’environnement spatial et des objets qui y sont lancés et y évoluent relève de l’intérêt de l’humanité tout entière. Comme le rappelle le Traité de l’espace de 1967 dans son préambule, « l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique devraient s’effectuer pour le bien de tous les peuples, quel que soit le stade de leur développement économique ou scientifique ».
Sur le long terme, cette mesure volontaire permet la construction d’un mode d’action pour réduire les tensions. La renonciation aux tests de missiles antisatellites destructifs à ascension directe est une première étape vers la désignation d’un certain nombre de comportements « irresponsables », ce qui permet le développement de normes portant sur la conduite des États dans l’espace extra-atmosphérique. Dans une certaine mesure, décider de s’abstenir de mener de tels tests semble être le strict minimum en matière de désarmement spatial : une mesure simple, à la portée de tous les ÉtatsAlmudena Azcárate Ortega, Laetitia Cesari Zarkan, « The road to a moratorium on kinetic ASAT testing is paved with good intentions, but is it feasible? », Notes de la FRS, n° 22/2022, Fondation pour la recherche stratégique, 23 mai 2022.. Cela est d’autant plus vrai au vu de la quantité de débris générés par ce type d’opérations et de ce que cela implique pour la sûreté de l’environnement spatial, comme évoqué précédemment. De plus, la perception de ce type de frappes destructrices est extrêmement négative dans un contexte de tensions internationalesRajeswari Pillai Rajagopalan, ASAT weapons: A real threat to the future of Space, Observer Research Foundation, Space Tracker, 11 octobre 2022.. Comme le soulignent certains experts, « non seulement le développement et la démonstration de telles capacités ne diminuent en rien les menaces auxquelles un pays est confronté [mais en plus] ils accentuent les insécurités dans la région, laissant chaque partie dans une situation plus difficile »Ibid..
Conclusion
L’un des arguments principaux soulevés par les États-Unis au moment de présenter leur projet de résolution concernait les dangers que posent les débris générés par ces tests. La force de l’impact crée des difficultés pour les opérateurs spatiaux car elle détruit des systèmes spatiaux entiers et provoque l’apparition de milliers d’objets de petite taille susceptibles d’entrer en collision avec des satellites opérationnels. De plus, ces débris peuvent se disperser au-delà de l’objet détruit, ce qui réduit la possibilité d’en suivre la trajectoire précise et augmente également la durée que ceux-ci passent en orbite : plus l’altitude des objets spatiaux est haute, plus ils mettent de temps à désorbiter vers notre atmosphère terrestre pour s’y consumer.
Cela rend plus difficile les échanges d’information sur les manœuvres qui sont conduites dans l’espace. L’apparition de débris peut avoir un impact sur les opérations de certains objets et les forcer à effectuer des manœuvres d’évitement pour minimiser les risques de collision, ce qui réduit leur durée de vie.
Les tests de missiles antisatellites destructifs à ascension directe représentent ainsi une double menace pour les objets spatiaux : ils peuvent consister en des frappes distinctes avec une cible précise mais également créer, de manière indirecte et indiscriminée, un risque d’impact entre les débris générés et des satellites en orbite. Les missiles antisatellites à ascension directe ont la capacité de bouleverser l’équilibre existant dans l’espace extra-atmosphérique. Les raisons pour lesquelles les États prennent la décision de développer et éventuellement d’utiliser ces systèmes d’armement sont multiples. Cependant, le choix du désarmement spatial repose sur des engagements individuels qui auront, à terme, des conséquences collectives positives et concrètes sur l’environnement spatial. Il s’agit ainsi d’ouvrir la voie à un projet d’envergure : le renforcement de la sécurité spatiale pour assurer, sur le long terme, la durabilité des activités conduites dans l’espace extra-atmosphérique.
Crédit image : Marc Ward/Shutterstock.com
Une nouvelle étape dans le désarmement spatial : le cas des tests de missiles antisatellites à ascension directe
Note de la FRS n°39/2022
Laetitia Cesari,
7 décembre 2022