L’utilisation par la Chine du système de crédit social pour gérer l’épidémie de Covid-19

La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a eu des conséquences profondes sur la société et l’économie chinoises. Entre arrêt de la production, confinement généralisé, mobilisation de l’ensemble des acteurs, le gouvernement a été confronté à une crise sanitaire sans précédent. L’Etat-parti a été en mesure de mettre en œuvre des mesures fortes grâce un ensemble de facteurs, dont son maillage territorial. Les millions d’agents de sécurité des quartiers et de membres des comités locaux du Parti ont joué un rôle clé, notamment pour faire respecter le confinement. Si une grande attention a été portée aux outils technologiques comme les « QR codes santé » (健康码) développés par Alibaba ou Tencent, peu d’attention a été accordée au rôle joué par le système de crédit social.

Le « système de crédit social » (社会信用体系) est devenu, dans l’imaginaire collectif, un des exemples de l’autoritarisme « orwellien » chinois, un système qui attribuerait une note à chaque citoyen en fonction de son comportement. En réalité, c'est un système bureaucratique mais fragmenté, loin d’un « système de notation universel » fantaisiste. Le système de crédit social est un outil de gouvernance utilisé pour renforcer le pouvoir administratif des administrations locales, et ce, notamment, dans la gestion de la crise sanitaire.

Une prise de conscience ancienne de la nécessité de moraliser la société

Les réflexions sur le système de crédit social débutent dans les années 1990, alors que les politiques de « réformes et d’ouverture » ont entraîné des bouleversements économiques et sociauxSEL Pierre, « Vers un autoritarisme 2.0 ? Analyse du système de crédit social en Chine 1990 – 2020 », non publié, Sciences Po, 2019.. L’essor économique et le capitalisme peu ou mal régulé ont provoqué une explosion de la corruption, des montages financiers frauduleux et, plus largement, des pratiques économiques prédatrices ou immoralesLARDY Nicholas, China’s Unfinished Economic Revolution, Brookings Institution Press , 1998 ; WALTER Carl et HOWIE Fraser, Red Capitalism: The Fragile Financial Foundation of China’s Extraordinary Rise, Jon Wiley & Sons Singapore, 2012 ; LÜ Ying (lang="ZH-CN">吕莹), « La Chine devrait avoir un jour de la crédibilité, interview avec le directeur général de la société de conseil Zhongmaoyuan Modern Commercial Banking » (中国应该有个诚信日”——访中贸远大商务咨询有限公司总经理韩家平), Modern Commercial Banking, (现代商业银行), n° 9, 2001.. Des membres du Parti prennent alors conscience du problème et se demandent pourquoi « certains s’écartent des valeurs, de la foi, de l’idéal socialiste »LI Qi (lang="ZH-CN">李琦), « Les travaux de Jiang Zemin sur ‘gouverner par la morale’ » (江泽民以德治国思想的文献解读), CPCNet, janvier 2009.. En réaction, l’administration de Jiang Zemin lance, en 1996, le concept de « civilisation spirituelle » (精神文明), comme une réponse au délitement des valeurs morales, puis propose l’idée de «combiner le droit et la morale » (把依法治国与以德治国紧密结合起来) pour gouvernerIbid. En 2016, le président Xi Jinping a repris la formule dans un discours tenu dans le cadre d’une réunion de travail du Politburo. Le manque de confiance est alors cité explicitement (XI Jinping, « Persévérer dans la combinaison de la gouvernance par la loi et par la morale » ( lang="ZH-CN">坚持依法治国和以德治国相结合), Qiushu, 2018)..

Par ailleurs, l’effondrement, en 1999, du groupe financier GITIC est un choc pour le gouvernement central, qui cherche à « nettoyer » le secteur financierWALTER Carl et HOWIE Fraser, Red Capitalism: The Fragile Financial Foundation of China’s Extraordinary Rise, op. cit. Le Guangdong International Trust and Investment Corporation (GITIC) était l’une des plus grosses entreprises d’Etat du pays. A la suite d’une mauvaise gestion et d’implications dans des investissements douteux, il a été révélé que l’entreprise était surendettée et elle fit faillite en 1999. L’entreprise ayant une grande ouverture internationale, de nombreux partenaires étrangers prirent conscience de l’état problématique du secteur bancaire et financier chinois.. La même année, un groupe de travail sur « l’étude des systèmes de gestion de crédit » est mis en place à l’Académie chinoise des sciences sociales. Les auteurs, des universitaires spécialistes de la finance, dont certains formés aux Etats-Unis, suggèrent d’adopter un « système national de gestion de crédit », similaire à ce qui existe aux Etats-Unis, mais qui doit aller « plus loin en matière de sanction des entreprises et individus »LIN Junyue, (lang="ZH-CN">林钧跃), « Héritages et innovations théoriques du système de crédit social chinois » (中国社会信用体系相关理论的脉络和创新), Credit Reference (征信), 2012.. Les auteurs proposeront alors la notion de « crédit social » (社会信用).

Si le concept de « crédit social » est à l’époque mal défini, il est cependant clair que le « crédit social » dépasse le cadre strictement financier afin de représenter la « crédibilité » d’un individu ou d’une entreprise sur les plans financier, judiciaire, moral et civique. Dès lors, le « crédit social » est associé dans les documents officiels aux notions de « crédibilité » (诚信) ou d’intégrité (守信 – peut aussi être traduit par « digne de confiance ») ou, à l’inverse, « indigne de confiance » (失信). Le gouvernement souhaite, en bref, se doter d’un outil qui soit à même de « renforcer la confiance dans la société », en évaluant la crédibilité de chacun.

Un système de crédit social complexe, expérimental et à plusieurs échelles

Le terme de « système de crédit social » (SCS – 社会信用体系) ne recouvre pas un programme monolithique, mais un « système de systèmes », au sein duquel différentes initiatives gouvernementales ou non étatiques s’imbriquent les unes dans les autresXIN Dai, « Toward a Reputation State: The Social Credit System Project of China », SSRN Scholarly Paper, 10 juin 2018 ; CREEMERS Rogier, « China’s Social Credit System: An Evolving Practice of Control », SSRN Scholarly Paper, 9 mai 2018 ; ARSENE Séverine, « China’s Social Credit System: A Chimera with Real Claws », Asie Visions, IFRI, n° 110, novembre 2019.. Le document cadre définissant la forme « actuelle » du SCS est publié par le Conseil des Affaires de l’Etat en 2014, i.e. la Feuille de route pour la construction d’un système de crédit social (社会信用体系建设规划纲要). 

A partir de ce document, les gouvernements locaux élaborent leurs propres réglementations locales, et des villes sont désignées en 2015 et 2016 comme pilotes et bénéficient d’une certaine marge de manœuvre pour expérimenter certains outils (mécanismes de notation, bases de données, etc.)DAUM Jeremy, « What is a Social Credit Demonstration City? A Brief Overview of what the Social Credit Demonstration Cities are supposed to be », China Law Translate, 16 août 2019.. Si l’objectif officiel est l’achèvement en 2020 de l’architecture générale du système de crédit social, de la législation et des standards de données, de fortes disparités régionales persistent et de nombreuses administrations ont encore du mal à partager leurs données entre ellesMEISSNER Mirjam, « China’s Social Credit System – A Big-Data Enabled Approach to Market Regulation with Broad Implications for Doing Business in China », China Monitor, 24 mai 2017..

Selon le document publié par le Conseil des Affaires de l’Etat, le système de crédit social vise à « améliorer les conditions [d’opération] sur le marché et à accroître la confiance au sein de la société »Voir la « Feuille de route sur la construction d’un système de crédit social », Conseil des Affaires de l’Etat, 2014.. Si les entreprises et leurs représentants légaux sont les principales cibles, les individus, les organisations, et même les administrations et agences de l’Etat y sont également soumises. Il couvre donc le comportement des personnes physiques et morales dans les affaires économiques, judiciaires, financières et « promeut la transparence dans les affaires gouvernementales ». Les éléments du SCS mis en place par l’Etat-parti au niveau tant central que local reposent sur deux fonctions principales.

  • « Le système d’information de crédit » (信用信息体系) correspond aux bases de données dans lesquelles sont stockées et échangées les « informations de crédit » des citoyens, entreprises, ou administrations. Il existe plusieurs types d’information de crédit : les informations dites « publiques » (公共信用信息), venant d’agences de l’Etat, et les informations dites « de marché » (市场信信用信息), générées par des entreprises non étatiques. Ces informations sont soit « basiques » (jiben – nom, prénom, etc.), soit « positives » (zhengmian – faire du volontariat, etc.), soit « négatives » (fumian – avoir enfreint une loi ou une réglementation, etc.). La gestion et le partage de ces informations sont très encadrés. Les agences de l’Etat n’ont par exemple pas le droit de collecter des informations liées à la santé ou la religion des individus. Les informations négatives sont, à l’heure actuelle, toujours liées à une infraction d’une loi ou d’une réglementation. Ce point est crucial et fait du « système d’information de crédit » une sorte de casier judiciaire, une archive du respect des lois et de la capacité d’un acteur à honorer les condamnations prononcées contre lui.
     
  • Le « mécanisme de sanctions pour les personnes indignes de confiance » (激励和失信联合惩戒制度) est le bras armé du système de crédit social. Ce mécanisme repose sur des listes noires (pour les sanctions) et des listes rouges (pour les récompenses). Ces listes sont gérées par les différentes agences de l’Etat – comme l’administration en charge de la sécurité alimentaire, les tribunaux, les agences environnementales, etc. L’ajout d’une entreprise ou d’un individu sur une liste noire ou une liste rouge est lié aux informations de crédit correspondantes. Une fois sur une liste noire (ou rouge), des sanctions (ou récompenses) correspondantes sont appliquées. Les sanctions (ou récompenses) varient selon les provinces ou les agences de l’Etat en charge de la listewww.chinalawtranslate.com.

La liste noire la plus emblématique est celle de la Cour suprême, qui punit les personnes ne s’étant pas acquittées des décisions présentées à leur égard par un tribunal. Cette liste noire est appuyée par 41 administrations différentes pour appliquer des sanctions qui vont de l’interdiction d’exercer dans certains secteurs d’activité à des « limites sur les hautes dépenses » comprenant l’interdiction temporaire de résider dans des hôtels étoilés ou de voyager en classe affaire. Cette liste concerne principalement les personnes qui ne remboursent pas leurs dettesARSENE Séverine, « China’s Social Credit System: A Chimera with Real Claws », op. cit.. Selon Xinhua, depuis sa création, il y aurait eu au total 14 millions d’entrées sur la liste, ce qui ne signifie toutefois pas que 14 millions de personnes y ont été inscrites« 14 millions d’entrées piégées comme laolai » (1400多万人次身陷老赖的背后), Xinhua, 12 novembre 2019..

Une utilisation protéiforme du système de crédit social dans la gestion de l’épidémie de Covid-19

En tant qu’outil, le système de crédit social est principalement utilisé pour punir les personnes n’honorant par leurs dettes et qui refusent de se plier aux condamnations des tribunaux à leur encontre. En fin d’année 2019, plusieurs figures publiques, comme Luo Yonghao ou Wang Sicong, ont été placé sur liste noire. A partir de fin janvier 2020, alors que les autorités font face à l’épidémie de Covid-19 qui se propage dans le pays, certains gouvernements locaux commencent à utiliser le SCS pour imposer les mesures de quarantaine et de distanciation sociale.

Ainsi, les systèmes de crédit social locaux visent le plus souvent à punir les gens qui mentent sur leur historique médical ou cachent leurs symptômes« De nombreuses autorités locales publient des méthodes de gestion du crédit pendant l’épidémie » ( lang="ZH-CN">多地就疫情发布信用管理办法), WeChat, 23 février 2020.. Pour ce faire, les autorités locales ont recours aux outils décrits précédemment : les listes noires. Cependant, il n’existe pas de standards unifiés à l’échelle nationale pour la définition des motifs d’inclusion sur liste noire ni pour les sanctions. Par conséquent les autorités locales sont « libres ». Ainsi, on constate des divergences dans leur utilisation au niveau local.

Une utilisation variée des listes noires au niveau local

Ainsi, dans les deux premières semaines de février 2020, plusieurs localités ont pris des mesures. Ainsi, la municipalité de Nanjing, dans son document intitulé « Mesures pour lutter efficacement contre l’épidémie de nouveau coronavirus – au sujet du travail de renforcement de la gestion du crédit »« Nanjing lance les méthodes de gestion de crédit relatives à l’épidémie, cacher des symptômes du nouveau coronavirus constitue une ‘perte de crédibilité’ » (南京出台防疫信用管理办法 隐瞒新冠肺炎病情列为失信), Xinhua, 20 février 2020., considère que « cacher ses symptômes, séjourner hors de chez soi en zone épidémie ; ne pas déclarer un contact récent avec une personne malade ou supposément malade, refuser des soins ou des tests constitue une rupture de la confiance » et est donc passible d’inclusion sur liste noire. D’autres attitudes et comportements, comme la collecte, la contrebande, la spéculation ou autres méthodes pour influer sur le prix des masques ; la vente de masques ou équipements contrefaits, voire les repas communaux en grand comité peuvent être considérés comme des comportements « indignes de confiance »Par exemple à Shanghai une personne vendant de faux remèdes contre le Covid-19, voir : « Il a mis au point un médicament contre le Covid, pourquoi est-il une ‘personne manquant de crédibilité’ » (​研发出抑制新冠病毒特效药的人,竟然是个失信被执行人!), Yuandian Credit, 12 mars 2020.  .

Des mesures similaires ont été prises dans plus d’une dizaine de municipalités dont Shanghai, Xi’an ou encore Hangzhou« Dans un contexte épidémique, qu’est-ce que la collecte de crédit ? » ( lang="ZH-CN">科普|疫情当下,征信黑名单到底是个啥 ?»), Ocean, 5 mars 2020.. Dans la plupart des cas, la responsabilité (pénale) est individuelle, mais d’autres villes, comme celles de Guyuan ou Nantong, l’étendent aux entreprises (personnes morales) et leurs représentantsIbid.. Cependant d’autres municipalités (comme celle de Yantai) ont ordonné de ne pas ajouter sur liste noire des personnes physiques ou morales qui auraient caché leurs symptômes, ces comportements ne constituant pas de fautes « suffisamment graves ».

Un exemple de document encadrant l’utilisation du système de crédit social dans la lutte contre l’épidémie est celui publié par la municipalité de Yingchuan, dans le NingxiaNotice au sujet des services et de la gestion de crédit durant la lutte contre l’épidémie d’un nouveau type de coronavirus (lang="ZH-CN">关于做好新型冠状病毒肺炎疫情防控期间信用管理和服务的通知).. Il donne un bon exemple de l’organisation concrète du système et notamment des administrations qui le gèrent. Ainsi, au sujet du « renforcement de la gestion des informations concernant les comportements indignes de confiance », l’autorité de supervision des marchés (市市场监管局), le bureau de la sécurité publique (公安局), la commission pour l’hygiène et la santé (卫健委) et la commission pour le développement et les réformes (发改委) sont chargés de surveiller et d’inclure sur listes noires les personnes physiques et morales qui tenteraient de « perturber le fonctionnement du marché en stockant du matériel médical, vendant des produits de contrefaçon, ou mettent en danger les traitements médicaux ». Les entreprises ou individus ainsi épinglés seront affichés sur la plateforme « Yinchuan Credit » (信用银川) et Credit China (信用中国).

Autre exemple de liste noire, celle récemment mise en place par les douanes chinoises« Entrer dans le pays et cacher ses symptômes, c’est risquer une amende allant jusqu’à 30 000 yuans et être bloqué dans tous les domaines » (lang="ZH-CN">入境隐瞒疫情,最高罚3万!还将一处失信、处处受限), Yuandian Credit, 7 avril 2020 https://tinyurl.com/um93plg.. Lors d’une conférence de presse tenue le 6 avril, le sous-directeur du département de l’hygiène au sein des douanes a annoncé que les personnes cachant leurs symptômes ou mentant sur leur déclaration de santé seraient inscrites sur une liste noire de l’agence. Les conséquences pour une personne (ou une entreprise) ajoutée vont d’une fouille systématique des valises, bagages et courriers de la personne à des mesures restrictives dans les déplacements pour une période donnée et une amende pouvant monter jusqu’à 30 000 RMB (4 000€).

Exemples de l’utilisation de mécanismes de notation

Le système de crédit social ne prévoit pas de recourir à une notation unique et généralisée de l’ensemble des citoyens chinois. Toutefois, les autorités centrales permettent aux gouvernements locaux d’expérimenterL’expérimentation est une méthode courante du pouvoir chinois pour construire des politiques publiques.. Ainsi, depuis la publication du document-cadre, deux séries de villes ont été désignées villes pilotes (en 2015 et en 2016) pouvant aller plus loin que les objectifs présentés dans la Feuille de route, que ce soit dans la construction des bases de données, dans la rationalisation des pratiques de collecte et de classification des informations de crédit, des listes noires, ou encore dans la mise en place de systèmes de notation locaux, qui ont le plus souvent un rôle « pédagogique » pour la population.C’est-à-dire que ces mécanismes ont un rôle incitatif et n’impliquent pas nécessairement des sanctions en cas de points négatifs. Pour plus de détail, voir DAUM Jeremy, « Getting Rongcheng Right », ChinaLawTranslate, 29 mars 2019.

Rongcheng est l’une des municipalités pilotes qui expérimentent les systèmes de notation. Dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, la municipalité a souhaité encourager les dons. Ainsi, donner de l’argent aux autorités et aux fondations caritatives permet de gagner des points par centaine de RMB données aux charités officielles, dans une limite de 1 000 RMB. Les entreprises qui contribuent au-delà de 10 000 RMB reçoivent un point tous les 1 000 RMB, dans une limite de 40 points. Toujours côté scores, la ville de Zhucheng (Shandong) est allée plus loin encore dans le cadre de son programme d’expérimentation. La municipalité dispose d’un mécanisme de notation similaire à celui d’Alibaba, le score « 舜德分 » (shundefen). Dans le cadre de l’épidémie, et à la différence de Rongcheng, une attitude jugée indigne de confiance peut faire perdre des points et amener des sanctions graves.

Ne pas respecter la quarantaine, cacher des symptômes ou son historique médical peuvent faire perdre de 10 à 50 points, tandis que les infractions les plus sérieuses pouvant conduire à une détention administrative constituent « une rupture grave de la confiance » (严重失信行为). Une telle qualification fait passer l’individu en « catégorie C » pour trois ans au maximum. La ville de Zhucheng a en effet mis en place des catégories de citoyens en fonction de leur comportement, de A à D. Les sanctions pour une personne inscrite en catégorie C incluent une interdiction de participer aux concours d’entrée à l’université pendant trois ans, une interdiction de demander des licences commerciales, de demander un visa, la restriction d’accès à certains emplois. La ville de Fuzhou aurait mis en place un système similaire, tandis que la ville de Xiamen prévoit une sanction de restriction d’accès aux appels d’offres gouvernementaux ou l’inégibilité aux aides économiques ou sociales locales.

D’autres municipalités ont mis en place des récompenses pour les citoyens engagés dans la lutte contre le coronavirus. La ville de Zhengzhou permet à différents types de travailleurs (personnels médical, policiers, agents de circulation, etc.) de demander une certification de « bon crédit » (个人良好信用).

Un débat sur l’utilisation du crédit social

Ces exemples d’utilisation du crédit social dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de nouveau coronavirus ne font pas l’unanimité. Xue Jun, de l’université de Pékin, rappelle que d’autres lois peuvent être utilisées dans la lutte contre l’épidémie et qu’il n’est pas utile de mobiliser les ressources du crédit social à cette fin« De nombreuses autorités locales publient des méthodes de gestion du crédit pendant l’épidémie » ( lang="ZH-CN">多地就疫情发布信用管理办法), WeChat, 23 février 2020.. De même, des représentants de la Commission nationale pour le développement et les réformes ont critiqué un usage trop généralisé des scores et mécanismes de notation, et appelé à un « développement raisonné et approprié des systèmes de crédit social ». On retrouve ici la préoccupation des chercheurs chinois contre le risque d’utilisation arbitraire du système de crédit socialSur les risques d’utilisation arbitraire du système de crédit social, voir le travail de Séverine Arsène..

Dans un article, des professeurs de l’université Zhongnan de droit et d’économie d’une unité du Hebei critiquent ceux qui perçoivent le système de crédit social comme une « clé suprême » capable de résoudre tous les problèmesHU Honghong (lang="ZH-CN">胡弘弘) et LIU Yufei (刘宇飞), « Ne pas porter de masques dans un lieu public est-il un manque de confiance ? Se prémunir contre les utilisations abusives du SCS » (公共场所不戴口罩算失信社会信用制度要防滥用), WeChat, 22 mars 2020.. La propension à utiliser le crédit social et ses mécanismes de sanctions pour tout type de comportement le rendrait moins efficace, et le système aurait besoin d’une loi encadrant les motifs d’inclusion sur liste noire et les sanctions. Ces inquiétudes ne sont d’ailleurs pas nouvellesSEL Pierre, « Vers un autoritarisme 2.0 ? Analyse du système de crédit social en Chine 1990 – 2020 », op. cit.. Les auteurs de l’article appellent à considérer plusieurs facteurs dans l’application des sanctions dues au système de crédit social : les comportements indignes de confiance doivent comporter une « intentionnalité active » (主动故意), avoir causé un tort, et les mesures prises doivent être légitimes et proportionnées, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas « restreindre de manière disproportionnée les libertés et droits des personnes sanctionnées ».

Ces débats sont révélateurs des tendances qui s’opposent dans la construction du système de crédit social. Dai Xin, chercheur à la China Ocean University, a montré que les différentes administrations centrales, locales ou les entreprises privées voient dans la construction du SCS des avantages différents, voire divergentsXIN Dai, « Toward a Reputation State: The Social Credit System Project of China », SSRN Scholarly Paper, 10 juin 2018.. Le crédit social est certes conçu comme un outil de gouvernance visant à améliorer l’action des gouvernements locaux mais son étendue, son rôle ou encore son fonctionnement sont l’objet de débats.

Elaborer un outil de gouvernance moderne

Le système de crédit social est, nous l’avons dit, conçu comme un outil de gouvernance, une « boîte à outil » à disposition des autorités locales et centrales visant à renforcer les capacités du gouvernement à faire appliquer les lois et les réglementations. C’est un appareil administratif qui vise à améliorer l’efficacité de l’action de l’Etat. L’application du système de crédit social pour sanctionner des comportements problématiques dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 illustre toutes les ambiguïtés de ce système, à tel point que son utilisation abusive est critiquée tant par les autorités centrales que par les intellectuels. Ce débat sur l’utilisation du système de crédit social et ses limites est d’ailleurs bon signe : il signifie que les autorités sont conscientes des problèmes rencontrés. Il ne faut toutefois pas douter de l’importance de ce système : il participe à la modernisation de l’appareil administratif chinois, un élément important de l’agenda du 4e Plénum du Comité central du Parti communiste.

Si la réalité derrière le crédit social n’est pas celle d’un système de surveillance orwellien, étudier son mode opératoire et son utilisation offre une fenêtre importante sur le fonctionnement de l’appareil bureaucratique chinois et sa modernisation. A l’heure où les Etats européens et français réfléchissent à « l’Etat plateforme », à des formes de surveillance « limitée » ou « compatible avec les libertés fondamentales » pour lutter contre l’épidémie de coronavirus, l’étude des méthodes chinoises peut nous éclairer ou à l’inverse nous mettre en garde sur la marche à suivre.

 

Télécharger au format PDF