Les enjeux de coopération multilatérale en Asie

IntroductionCette note a été rédigée au mois de janvier 2022 et actualisée au mois de juin.

L’Asie, zone de tensions, avec un concentré de risques traditionnels et non traditionnels, et d’opportunités économiques, est au cœur des questionnements stratégiques qui touchent directement l’Union européenne (UE) et la France. Ces questionnements concernent aussi la pertinence et la viabilité des formats multilatéraux qui tissent un réseau particulièrement dense dans cette région. Ils concernent également la marge de mobilisation de ces formats pour résoudre des problèmes globaux, en impliquant un ensemble de plus en plus marqué par la bipolarisation entre la République populaire de Chine d’un côté et les tenants d’un « Indo-Pacifique libre et ouvert » de l’autre, notamment sur son versant Asie Pacifique.

Cette bipolarisation ne se réduit pas à un simple « piège de Thucydide » entre d’un côté le régime chinois, de l’autre les puissances qui se définissent comme démocratiques, aux côtés des États-UnisGraham Allison, Destined for War: Can America and China Escape Thucydides’s Trap, Houghton Mifflin Harcourt, Boston, 2017.. Elle pèse sur toute l’architecture multilatérale qui s’est mise en place en Asie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et rend plus complexe l’insertion de l’Union européenne et de la France.

Dans ce contexte, l’élément le plus problématique est sans doute celui qui concerne l’intégration de la puissance chinoise. Cette dernière est indispensable à la solution de nombreux défis globaux, mais elle est également à la source de la majorité des tensions, au niveau régional comme au niveau global. Derrière un discours qui prend en compte les grands enjeux globaux, le régime de Pékin ne les utilise bien souvent que comme des instruments de puissance et de positionnement sur la scène mondiale.

Un autre défi, tout particulièrement en Asie, où les tensions n’interdisent pas le dialogue et la recherche d’un certain consensus, est la multiplication des formats multilatéraux. Chaque « minilatéral » apparaît ainsi comme autant de « territoires » à contrôler. De la confusion du « bol de nouilles » des années 1990 on est passé à l’échiquier de GoDans le jeu de Go chaque joueur tente de s’emparer des territoires contrôlés par l’adversaire..

L’Union européenne doit pour sa part résoudre le paradoxe de la nature de sa puissance. L’Europe n’est pas un acteur mineur en Asie. L’UE est le premier investisseur dans la région, le premier partenaire commercial de l’Inde, le premier marché de la Chine et le troisième du Japon. Mais sur les questions de sécurité « dure » (hard security) qui s’imposent dans l’agenda, elle ne peut rivaliser avec les États-Unis. Même si beaucoup d’États de la région ne souhaitent pas être enrôlés dans un choix exclusif entre Washington et Pékin, la notion de « troisième voie » et de refus des blocs est peu audible alors que la perception et la réalité de la menace chinoise s’aggravent.

Le choix des partenaires est également complexe, même s’il existe désormais un consensus sur le concept d’Indo-Pacifique, du Japon à l’Union européenne en passant par l’ASEAN et l’Inde, et la nécessité d’appréhender stratégiquement cet ensemble. La Chine ne voit un intérêt dans l’UE que si cette dernière joue son rôle traditionnel d’équilibre et, dans certains secteurs, comme les transferts de technologie ou l’accès aux marchés, de recours face aux États-UnisMao Zedong avait déjà formalisé, dans les années 1970, la théorie des trois mondes où le deuxième monde, constitué des pays développés, dont l’Europe, pouvait être stratégiquement exploité face aux deux superpuissances hégémoniques américaine et soviétique. .

L’ensemble des autres partenaires stratégiques de l’Union européenne et de ses États membres est essentiel pour la redynamisation des formats multilatéraux, mais les agendas, en dépit de déclarations réitérées sur les « valeurs communes » et un Indo-Pacifique libre et ouvert, ne coïncident pas toujoursPartenariats stratégiques avec la Chine (2003), l’Inde (2004), la République de Corée (2010), le Japon (2019), l’ASEAN (2021)..

Pourtant, sur nombre de sujets plus brûlants depuis la pandémie de Covid‑19, des dénominateurs communs peuvent être trouvés qui permettent de relancer le multilatéralisme en Asie sur des bases opérationnelles. L’initiative Global Gateway, présentée le 1er décembre par Ursula Von der Leyen, peut en être l’un des vecteurs. Les enjeux de santé et d’accès aux vaccins sont – et seront pour longtemps – au cœur des thématiques actuelles, comme l’a souligné à plusieurs reprises le ministre Le Drian. Au-delà, le changement climatique, le développement durable, la sécurité maritime sous toutes ses formes constituent un socle sur lequel développer des initiatives portées par l’Union européenne.

Mais cette dernière doit être aussi capable de revendiquer pour elle-même la notion de puissance par-delà différentes visions qui s’expriment en son sein. Sur tous les plans, sécuritaire, capacitaire, économique, diplomatique, normatif, l’Union européenne – et certains de ses États membres – pèsent en Asie d’un poids dont elle n’a pas toujours conscience. C’est cette prise de conscience qui doit lui permettre de mieux s’insérer et de peser dans les formats multilatéraux en Asie.

 

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