Lancement d’une frappe nucléaire : analyse comparée des procédures et garde-fous prévus par le droit américain, britannique et français

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Introduction

En novembre 2017, un an après l’élection de Donald Trump et dans un contexte de tensions avec la Corée du Nord, le Committee on Foreign Relations du Sénat américain a tenu une audition concernant le pouvoir d’ordonner l’utilisation des armes nucléaires. La dernière fois qu’une audition sur ce sujet avait été tenue, c’était quarante-et-un ans plus tôt sous le mandat de Richard Nixon, pour des raisons similaires. On retrouve en effet les mêmes inquiétudes concernant l’absence de contrôles et de garde-fous encadrant le pouvoir du Président d’initier un conflit nucléaire, alimentées par un comportement impulsif et des déclarations dont l’esprit pourrait s’apparenter à une stratégie de la « théorie du fou »Emmanuelle Maitre, « Un an après l’élection de Trump : réflexions sur les procédures d’utilisation des armes nucléaires américaines », Bulletin mensuel de l’Observatoire de la dissuasion, Fondation pour la recherche stratégique, n° 49, décembre 2017.  .

Si ces inquiétudes sont légitimes, elles ont pu susciter une mise en question du système de commandement et de contrôle américain. Or, si le Président est le seul à avoir le pouvoir de donner l’ordre d’une frappe nucléaire, cela ne signifie pas pour autant qu’il prendrait cette décision seul. Certes, aucune disposition juridique ne lui impose la consultation d’un tiers, mais le système constitutionnel américain est conçu pour que le Président puisse consulter ses conseillers avant toute décision importante. Brian McKeon, ancien sous-secrétaire à la politique de Défense, disait ainsi en 2017 qu’il lui paraissait raisonnable d’estimer qu’ayant trait à la sécurité nationale, la décision d’ordonner une frappe nucléaire serait prise après consultation non seulement des plus proches conseillers civils et militaires du Président, mais aussi du Conseil de sécurité nationale (National Security Council)Brian McKeon, Prepared statement for the United States Senate Committee on Foreign Relations Hearing, « Authority to Order the Use of Nuclear Weapons », 14 novembre 2017.. A supposer qu’elle soit rationnelle, la décision découlerait en effet d’un contexte politique qui donnerait lieu à une anticipation et donc logiquement à une délibération collective sur l’opportunité de faire usage des armes nucléaires. Évidemment, cela ne concerne pas le cas de figure de représailles immédiates qui seraient ordonnées le plus rapidement possible sans qu’il n’y ait du temps pour une délibération collective. On comprend donc que les préoccupations exprimées lors des auditions du Sénat ne peuvent en fait concerner qu’une seule situation particulière : celle d’un Président qui prendrait une décision irrationnelle et soudaine d’ordonner une frappe nucléaire en premier.

Il est donc intéressant de se demander dans quelle mesure les dirigeants d’États dotés de l’arme nucléaire peuvent se voir opposer des contrôles et des garde-fous (« checks and balances » et « safeguards ») quand ils ordonnent une frappe nucléaire. Le problème étant que l’efficacité de la dissuasion repose sur l’assurance qu’un ordre donné par le Président sera exécuté, on constate que ces freins sont parfois peu nombreux, voire inexistants, et que les États-Unis ne sont pas la seule démocratie libérale dotée de l’arme nucléaire dont le système de commandement et de contrôle peut bouleverser les équilibres constitutionnels, dont la division des pouvoirs de guerre. Pourtant, les dirigeants ne peuvent pas pour autant agir en dehors de toute légalité, et, comme l’a souligné le professeur américain Peter Feaver lors de l’audition du Congrès tenue sur la question en 2017, la procédure de lancement d’une frappe nucléaire ne se résume pas à un bouton qui se trouverait sous le bureau du Président, sur lequel il pourrait même appuyer par accident, déclenchant ainsi le lancement immédiat de missiles. Le processus de lancement est une procédure humaine et un Président qui décide d’ordonner le lancement d’une frappe a besoin de la coopération de toutes les personnes qui forment la chaîne de commandement nucléaireUnited States Senate Committee on Foreign Relations Hearing, « Authority to Order the Use of Nuclear Weapons », 14 novembre 2017 (Peter Feaver : « I can't speak in open session about the particularities, but I will say that the system is not a button that the President can accidentally lean against on the desk and immediately cause missiles to fly, as some people in the public, I think, fear it would be. It requires the President to work with military aides who are attending him and who have possession of the materials that he needs. And it requires personnel at all levels of echelon command all the way down to the missile silo to carry out an order. The President by himself cannot press a button and cause missiles to fly. He can only give an authenticated order, which others would follow and then cause missiles to fly », pp. 34-35)..

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