Maroc-Espagne : partenariat dynamique et antagonisme géostratégique

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Introduction

Le 7 avril 2022, à l’invitation du roi Mohamed VI, le président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, s’est rendu à Rabat pour inaugurer une nouvelle étape dans les relations bilatérales entre le Maroc et l’Espagne. Le souverain marocain et le chef de l’exécutif espagnol ont convenu d’une ambitieuse feuille de route revitalisant le partenariat bilatéral dans tous les domainesMaroc Diplomatie, « Déclaration conjointe au terme des discussions entre SM le Roi Mohammed VI et le président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez », 7 avril 2022.. Cette visite intervient après plusieurs mois d’une grave crise diplomatique provoquée par l’arrivée en Espagne du secrétaire général du Front Polisario pour y être soigné de la Covid-19. À la mi-avril 2021, Brahim Ghali avait atterri à Saragosse, dans un avion médicalisé de la présidence algérienne, avant de s’enregistrer sous un pseudonyme dans un hôpital de LogroñoMiguel González, « Un favor a Argelia que envenena la relación con Marruecos », El País, 11 mars 2021. . Tandis que la ministre espagnole des Affaires étrangères Arancha González Laya continue à défendre cet accueil comme une « décision à caractère humanitaire envers un citoyen espagnol »« Entrevista con la exministra González Laya : ‘Todo sirvió en la crisis con Marruecos : escuchas, denuncias y campañas de prensa’ », El Periódico, 7 juin 2022., la diplomatie marocaine a dénoncé un « acte grave et contraire à l’esprit de partenariat et de bon voisinage »Maroc Diplomatie, « Maroc-Espagne : Précisions du Maroc en réaction à la multiplication des déclarations des responsables espagnols tentant de justifier un acte grave et contraire à l’esprit de partenariat et de bon voisinage », 8 mai 2021.. En réaction, en mai 2021, le Maroc a rappelé son ambassadrice à Madrid et relâché ses contrôles frontaliers avec Ceuta, provoquant l’afflux d’environ 8 000 candidats à l’immigration sur l’exclave. Le 1er juin 2021, ajoutant à la crise avec Rabat, la justice espagnole a classé sans suite une plainte pour « génocide » déposée par l’Association Sahraouie pour la Défense des Droits de l’Homme (ASADEH) contre Brahim Ghali, qui a pu retourner en Algérie.

Malgré la brouille diplomatique, le Maroc et l’Espagne ont multiplié les gestes d’apaisement. Le 10 juillet 2021, Pedro Sánchez procède à un remaniement ministériel et remplace Arancha González Laya, vilipendée pour sa gestion de la crise diplomatique avec le Maroc, par José Manuel Albares. Le 20 août 2021, le roi Mohamed VI appelle à fonder avec Madrid une nouvelle relation reposant sur « la confiance, la transparence, la considération mutuelle et le respect des engagements »« Mohamed VI aspire à une nouvelle étape, sans précédent, avec l’Espagne », Atalayar, 20 août 2021.. Le 14 mars 2022, Pedro Sánchez fait un pas supplémentaire en adressant une missive au souverain marocain dans laquelle il écrit « reconnaître l’importance du Sahara occidental pour le Maroc » et souligne que « l’Espagne considère la proposition marocaine d’autonomie au Sahara présentée en 2007 comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend »Miguel González, « La carta de Pedro Sánchez a Mohamed VI : ‘Debemos construir una nueva relación que evite futura crisis’ », El País, 23 mars 2022.. Pour rappel, le Royaume chérifien défend sa souveraineté sur cette ex-colonie espagnole comme une réalité historique, une question d’intégrité territoriale et une cause nationale ne pouvant faire l’objet d’aucune négociation. En mettant fin à sa traditionnelle « neutralité active » sur ce dossier, l’Espagne a provoqué l’ire de l’Algérie, son premier pourvoyeur de gaz et le principal soutien du Front Polisario. Le 8 juin dernier, Alger a suspendu le Traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération conclu avec Madrid en 2002. De son côté, le Front Polisario a annoncé rompre tout contact avec le gouvernement espagnol actuel.

En soutenant le plan d’autonomie marocain de 2007, l’Espagne confirme la priorité accordée au Maroc dans sa politique étrangère. Tributaire de la formule du « matelas d’intérêts » (« colchón de intereses »), tout un pan de la pensée stratégique espagnole a longtemps préconisé le développement d’une coopération multisectorielle et d’intérêts communs avec le Maroc comme amortisseur aux contentieux géostratégiques. La présente note explique le dynamisme du partenariat maroco-espagnol à l’aune d’intérêts partagés dans les domaines de l’économie et des luttes contre l’immigration illégale ou le terrorisme. En dépit de cette proximité, le voisinage entre le Maroc et l’Espagne est marqué par une certaine complexité, un manque de confiance mutuelle et un antagonisme géostratégique face auxquels le « matelas d’intérêts » accuse des carences. La persistance de frictions autour du conflit au Sahara, la question de la présence espagnole au nord du Maroc et l’opposition entre les partenariats maroco-espagnol et algéro-espagnol constituent des défis géostratégiques qui altèrent cycliquement les relations bilatérales entre les deux voisins.

 

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