Les missiles des Houthis : prolifération balistique et groupes armés non-étatiques
Recherches & Documents n°11/2018
Jean Masson-Chérel,
20 décembre 2018
Introduction
Les missiles balistiques possèdent une valeur stratégique et sont revêtus d’un prestige symbolique que souligne l’histoire de leur prolifération et de leur emploi. Cette prolifération suscite depuis les années 1980 de fortes préoccupationsAaron Karp, Ballistic Missile Proliferation, The Politics and Techniques, Oxford University Press, 1996, p. 8.. Néanmoins, en raison des efforts engagés depuis pour l’endiguer, du coût et de la sophistication de ces armements, un nombre limité d’Etats en dispose aujourd’hui. Il est encore plus rare que ceux-ci soient détenus et employés par des groupes armés non-étatiques. Or, depuis juin 2015 et jusqu’à ce jour, Ansar Allah, la rébellion houthiste du Yémen, a employé contre le territoire de l’Arabie saoudite plusieurs dizaines de missiles balistiques de courte et moyenne portée, dotés de charges conventionnelles.
Cette campagne de frappes est l’une des facettes du conflit armé ouvert début 2015 et opposant la rébellion, qui contrôle le nord-ouest du pays, dont la capitale Sanaa, à une coalition internationale emmenée par Riyad. Or, l’intervention de la coalition au Yémen est dès l’origine partiellement justifiée par la présence de stocks de missiles balistiques dans le pays, qui risquent alors d’être employés par les Houthis. Ceux-ci contrôlent Sanaa depuis septembre 2014 et sont présentés par les Etats du Conseil de coopération du Golfe (CCG) comme une menace pour la stabilité de la péninsule arabique. La destruction des capacités de frappe balistiques du Yémen est en conséquence définie comme un des objectifs principaux de la campagne aérienne initiée en mars de la même année. Cet objectif est déclaré atteint par les coalisés au mois d’avril suivantJeremy Binnie, « Yemeni Rebels Enhance Ballistic Missile Campaign », Jane’s IHS Market, 2017, p. 3..
L’annonce de ce succès se révèle prématurée : l’été 2015 voit l’emploi des premiers missiles balistiques contre l’Arabie saoudite depuis les territoires contrôlés par les Houthis au nord du Yémen, dans la région de Sa’ada. Défiant l’intensité des bombardements aériens, l’insurrection déploie progressivement des capacités de frappe lui permettant d’attaquer la région de Riyad, à plus de 900 km des frontières septentrionales du Yémen.
Il ne fait guère de doute que les Houthis n’ont pu produire de tels vecteurs avec leurs propres ressources. Au contraire, le contexte géopolitique, les caractères de la campagne de frappe et les caractéristiques techniques des missiles employés contre l’Arabie saoudite corroborent l’hypothèse d’une coopération entre les Houthis et l’Iran dans le domaine des missiles. Il s’agit donc, selon toute vraisemblance, d’un phénomène inhabituel de prolifération balistique caractérisé par le transfert de moyens de frappe dans la profondeur par un Etat pour soutenir un groupe armé non-étatique contre un autre/d’autres Etats, dans un contexte de guerre asymétrique.
Cette note fait état des caractères des opérations de frappes conduites par les Houthis, avant d’éclairer le phénomène de prolifération balistique, qui est au cœur d’une relation transactionnelle entre l’Iran et l’insurrection. Cette étude de cas permet d’examiner les enjeux spécifiques liés à la prolifération de vecteurs balistiques lorsqu’elle concerne une organisation armée non-étatique et non un Etat Or, de tels enjeux pèseront sur les négociations pour la paix au Yémen, dont le discrédit grandissant de l’Arabie saoudite pourrait faciliter l’avancée. Enfin, ce phénomène constituant une émanation du programme balistique iranien, il constitue un facteur du retrait américain du Plan d’action global conjoint sur le nucléaire iranien de 2015. La prolifération balistique au Yémen est donc susceptible de peser dans toute future démarche diplomatique relative aux programmes nucléaire et balistique de l’Iran.
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Les missiles des Houthis : prolifération balistique et groupes armés non-étatiques
Recherches & Documents n°11/2018
Jean Masson-Chérel,
20 décembre 2018