50e anniversaire du TNP : la nécessité de rééquilibrer les piliers

En 2017, la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat avait livré un rapport riche d’informations soutenant la posture de dissuasion françaiseBruno Tertrais, « Dissuasion nucléaire française : que retenir du rapport Pintat / Lorgeoux ? », Bulletin n°45, Observatoire de la dissuasion,été 2017.. Cette année, dans le cadre des 50 ans du TNP, les députés Michel Fanget (La République en Marche) et Jean-Paul Lecoq (PCF) ont mis l’accent sur les questions de prolifération et de statut de l’arme nucléaire à l’échelle mondiale dans leur rapport présenté à la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2018Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du règlement par la commission des affaires étrangères en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 24 octobre 2017 (1) sur l’arme nucléaire dans le monde, 50 ans après l’adoption du Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP) Co-rapporteurs M. Michel Fanget et M. Jean-Paul Lecoq, 11 juillet 2018..

Ce rapport présente l’intérêt de confronter la dépendance toujours forte à la dissuasion des pays nucléaires avec les aspirations pro-désarmement d’une partie de la communauté internationale traduites par l’adoption du TIAN en juillet 2017. Il s’agit d’évaluer dans ce cadre la pertinence du TNP et les moyens de s’assurer de sa préservation au cœur de l’architecture de sécurité internationale. Il est particulièrement utile de comparer la démarche des députés avec celle conclue en 2010 par le Sénat, sous l’impulsion de Jean-Pierre Chevènement, sur un thème très similaireRapport d'information n° 332 (2009-2010) de M. Jean-Pierre Chevènement, Désarmement, non-prolifération nucléaires et sécurité de la France, fait au nom de la commission des affaires étrangères, Sénat, déposé le 24 février 2010.. Ce nouveau rapport se distingue de son prédécesseur sur plusieurs points importants :

  • Une importance bien moindre donnée aux questions de prolifération à proprement parler : une analyse des crises limitée au cas iranien et nord-coréen et l’absence d’ambition pour renforcer les outils de non-prolifération, une perspective qui semble désormais irréaliste
  • Le sujet des usages pacifiques de l’énergie atomique est mentionné avec moins de détails, reflétant la moindre pression de la communauté internationale pour le développement de programmes nucléaires civils
  • Le désarmement est considéré comme une priorité pour « résorber » l’iniquité fondamentale à la base du Traité : les députés se montrent lucides sur la divergence entre les attentes des partisans du TIAN et les efforts ralentis des puissances nucléaires en matière de désarmement et invitent à se recentrer sur cet objectif
  • Un regard global qui sans être négatif sur le bilan du TNP est assez peu ambitieux dans ses recommandations : le contexte du lancement de la mission, caractérisé par les invectives américano-nord-coréennes et le délitement du JCPOA, ainsi que la forte polarisation dans l’enceinte du TNP ont clairement incité à la prudence

En effet, si le rapport consacre une large part aux succès du TNP, il estime néanmoins explicitement que le risque de prolifération perdurera tant que le troisième pilier, lié au désarmement, ne se « concrétisera pas ». L’argument souvent avancé et débattuJeffrey Knopf, « Nuclear Disarmament and Nonproliferation: Examining the Linkage Argument », International Security, vol. 37, n°23, hiver 2012-2013. selon lequel les stratégies des pays dotés sont des incitations à la prolifération est donc repris et développé. Les rapporteurs insistent sur le renouvellement du rôle du nucléaire à l’échelle mondiale et le développement quantitatif (pour quatre Etats) et qualitatifs (pour les autres) des arsenaux mondiaux. Néanmoins, si l’appel à davantage d’efforts pour promouvoir l’élimination des armes nucléaires est clairement exprimé dans ce rapport, ses auteurs confient également l’extrême difficulté de la tâche et la nécessité de procéder par petits pas. Les recommandations fournies sont ainsi une liste d’étapes pouvant contribuer à cet objectif. Pour certaines assez imprécises, ces recommandations pour la France sont assez peu ambitieuses et pour autant restent difficiles à mettre en place dans le contexte actuel :

  1. Rétablir un forum de discussion fonctionnel et régulier entre les puissances nucléaires
  2. Jouer le rôle de facilitateur pour mettre en place un dialogue régional régulier et approfondi autour de l’Inde et du Pakistan
  3. Soutenir résolument une réforme en profondeur de la « machinerie » du désarmement au sein des Nations Unies
  4. Contribuer à apaiser les tensions entre les États-Unis et la Russie et à créer les conditions propices à l’ouverture de négociations sur un nouvel accord bilatéral de réduction des armements nucléaires
  5. Prendre le leadership d’une campagne internationale active en faveur de la ratification du TICE
  6. Poursuivre les efforts en faveur de la négociation d’un Traité FMCT
  7. Accroître son expertise sur la Corée du Nord
  8. Envisager le rétablissement de relations diplomatiques avec la Corée du Nord
  9. Atténuer ses critiques à l’encontre du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN)
  10. Mettre en place, au sein du Parlement, une Délégation permanente à la dissuasion nucléaire, à la non-prolifération, à la maîtrise de l’armement et au désarmement
  11. Mettre les enjeux relatifs au TNP à l’ordre du jour des travaux de l’Organisation internationale de la Francophonie et réinvestir résolument cet espace pour mieux expliquer sa doctrine nucléaire et sa vision sur les moyens de parvenir au désarmement.

Lors de la discussion en commission, les rapporteurs ont rappelé l’utilité de prendre au sérieux l’exigence de désarmement des Etats non-nucléaires, dans un souci de justice, tout en prenant en considération les impératifs de sécurité. Notant les limites du TIAN, ils ont néanmoins jugé que cette norme émergente devait être considérée sans mépris.

Les députés ont bien accueilli le rapport avec des priorités variées et des approches nuancées. La recommandation n°10, sur la mise en place d’une délégation permanente, a notamment été soutenue par plusieurs parlementaires.

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