Le missile de croisière à capacité duale comme moyen de dissuasion

En matière de non-prolifération, le missile balistique est envisagé comme le vecteur privilégié des armes nucléairesAjey Lele, « The Hague Code of Conduct : Predicting the Future », Special Report, Society for the Study of Peace and Conflict, p. 1.. Sur le plan de la dissuasion nucléaire au contraire, les vecteurs de croisière constituent depuis les années 1950 un segment essentiel des arsenaux des Etats-Unis et de la Russie. La dissémination des technologies de croisière le permettant, d’autres puissances nucléaires les ont adoptés, ou ambitionnent de le faire, comme des vecteurs d’armes non-conventionnelles. En effet, ces vecteurs guidés, dont la trajectoire est généralement effectuée en basse atmosphère (moins de 20 km) et qui utilisent la portance aérodynamique pour se maintenir en volMissile Technology Control Regime, Annex Handbook 2017, p. 33., présentent des performances différentes de celles des vecteurs balistiques, qui les rendent complémentaires. Un rééquilibrage, à la fois en termes de nombre d’Etats intégrant le vecteur de croisière comme arme de dissuasion, et de la place des vecteurs de croisière dans les arsenaux de dissuasion, se manifeste par exemple par l’introduction des missiles de croisière à capacité nucléaire dans les arsenaux indien et pakistanais.

Cet article présente les avantages et inconvénients des missiles de croisière comme vecteurs d’armes nucléaires, et explique leur présence dans les arsenaux de dissuasion. Il examine ensuite les missiles de croisière des arsenaux dissuasifs contemporains, avant d’identifier les avantages découlant de l’articulation d’un arsenal de croisière et d’un arsenal balistique dans les forces de dissuasion.

Le missile de croisière comme vecteur d’armes nucléaires

Un missile de croisière doit, afin de constituer un vecteur crédible de la dissuasion nucléaire, démontrer des performances adéquates en termes de survie, à la fois précédant le lancement et pendant son vol, de promptitude, de ratio portée/charge utile et de précision.

Survie pré et post-lancement

La survie du vecteur de croisière repose sur des atouts différents de ceux du missile balistique ; mais elle est aussi pénalisée sur certains plans.

En raison de leur taille et de leur masse réduite par rapport aux missiles balistiques, les missiles de croisière sont plus faciles à transporter, à dissimuler et un plus grand nombre peut être déployé sur diverses plateformes, accroissant la capacité de survie du système face à une frappe préventive. Il en est ainsi du nouveau missile russe Kalibr, qui est déployé sur des navires de surface, dont certains de petit tonnage, comme sur des sous-marins. Si l’on peut souligner à juste titre qu’un navire de surface n’est pas une plateforme idéale pour une arme de dissuasion nucléaire de seconde frappe, le déploiement de nombreux vecteurs sur une multiplicité de petits navires, option retenue pour le Kalibr, renforce significativement la capacité de survie de l’arsenal ; or, la garantie d’une capacité de seconde frappe est le socle de la dissuasion. La nature duale de nombre de missiles de croisière, les conduisant à être déployés sous forme conventionnelle comme le fut le Tomahawk et l’est le Kalibr russe, ajoute au caractère résilient des arsenaux.

Une arme nucléaire de dissuasion doit voir garantie sa capacité de pénétration : la possibilité d’interception d’une arme nucléaire a des conséquences stratégiques considérables, en particulier pour les Etats dont l’arsenal nucléaire est limité et qui font face à des Etats disposant de défenses anti-missilesIrving Lachow, « GPS-Guided Cruise Missiles and Weapons of Mass Destruction », dans Kathleen C. Bailey, Director’s Series on Proliferation, 1er juin 1995, p. 21. L’Inde et le Pakistan possèdent vraisemblablement moins de 150 têtes nucléaires dans leurs arsenaux respectifs. Cf Hans M. Kristensen et Robert S. Norris, « Indian nuclear forces, 2017 », Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 73, n°4 et Hans M. Kristensen et Robert S. Norris, « Pakistani nuclear forces, 2016 », Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 72, n°6.. Les missiles de croisière présentent un défi différent des vecteurs balistiques pour les radars et systèmes de défense antimissiles. Certes, nombre de missiles de croisière, dont certains à capacité duale, demeurent des vecteurs subsoniques, dont la moindre vélocité constitue un facteur de vulnérabilité par rapport aux missiles balistiquesLe Tomahawk américain possède une vitesse de 880 km/h, le MdCN français de 800 km/h, quand celle du Babur pakistanais est estimée à environ 850 km/h.. Néanmoins, les puissances nucléaires travaillent à l’acquisition de vecteurs supersoniques. Certains missiles de croisière multi-étages combinant moteur-fusée et turboréacteur, comme le Kalibr, atteignent déjà des vitesses supersoniques en phase finale de volLa version 3M54E atteint une vitesse de Mach 2,8 en phase finale de vol.. Les systèmes de propulsion de type statoréacteur, qui équipent par exemple le missile française ASMPA ou le missile russo-indien Brahmos, permettent également aux missiles de croisière d’atteindre des vitesses supersoniques, réduisant considérablement la capacité des défenses anti-missiles à les intercepter.

Notons que la vitesse grandissante des vecteurs de croisière améliore leur chance de survie, mais aussi leur capacité à frapper leurs cibles promptement, plan sur lequel les missiles de croisière, notamment air-sol, cèdent le pas aux missiles balistiques. Or, la promptitude est un caractère essentiel d’un arsenal dissuasif crédible. En plus des nouvelles technologies de propulsion, les missiles de croisière bénéficient, pour pallier ce désavantage, de l’autonomie de leurs plateformes de lancement : bombardiers, comme navires lance-missiles, peuvent rester en alerte à proximité de leurs cibles éventuelles pendant de longues périodesJoseph Trevithick, « Everything You Need To Know About The USAF's New Nuclear Cruise Missile Program », The Drive, 24 août 2017..

D’autre part, l’interception d’un missile de croisière demande des capacités complémentaires. Le lancement d’un missile de croisière est en effet plus rapide à exécuter et difficile à détecter. De surcroit, l’objet lui-même est plus difficile à repérer par des architectures radars traditionnellesRenaud Chatelus, « Limiting the proliferation of WMD means of delivery : A low-profile approach to bypass diplomatic deadlocks », HCoC Publications, p. 7. Dennis Gormley, « Making the Hague Code Relevant », Nuclear Threat Initiative, 2010, p. 10.. La trajectoire du missile est en effet beaucoup plus complexe que celle d’un vecteur balistique et est généralement exécutée à de très basses altitudesSi la trajectoire adoptée est rasante, certains missiles de croisière peuvent voler à moins de 10 m d’altitude au-dessus de surfaces planes, à l’image du CX-1 chinois. En fonction des besoins opérationnels, la trajectoire peut être haute. Carlo Kopp, « Cruise missiles guidance techniques », Defence Today, vol. 7, n°5, p. 55., ce qui rend le missile difficilement repérable par des radars placés au sol. Les missiles de croisière subsoniques peuvent enfin bénéficier des avantages liés aux matériaux furtifs. Ces éléments confèrent au missile de croisière d’importantes facultés de pénétration propres à produire des effets de surprise. Enfin, moins coûteux, les missiles de croisière à capacité duale autorisent les attaques saturantesGormley, op cit « Making the Hague Code », p10. : un missile équipé d’une arme nucléaire est impossible à discriminer dans une vague de missiles conventionnels, augmentant sa capacité de survie.

Ratio portée/charge utile

La portée d’un vecteur ne doit plus nécessairement être importante pour lui conférer une grande valeur stratégique. Des vecteurs à courte portée peuvent jouer, autant qu’ailleurs un ICBM, un rôle dissuasif dans des zones confinées, comme au Moyen-Orient ou entre l’Inde et le PakistanLachow, op cit, p. 17.. Néanmoins, la portée doit garantir aux plateformes de lancement, notamment les aéronefs, une distance de sécurité vis-à-vis des défenses antiaériennes ou côtières du pays attaqué. Réciproquement, et notamment avec l’utilisation de turboréacteurs à double fluxKopp, op cit., les missiles de croisière proposent aujourd’hui des portées dépassant largement 1000 km. Le SS-N-30A russe, version nucléaire du Kalibr, possède une portée estimée à 2600 kmRoger McDermott et Tor Bukkvoll, « Tools of Future Wars — Russia is Entering the Precision-Strike Regime », The Journal of Slavic Military Studies, vol. 31, n° 2..

Pour des Etats proliférants disposant de têtes nucléaires de première génération, la charge utile et le diamètre limités des missiles de croisière sont susceptibles de représenter un obstacle sérieux à leur emploi. La charge utile de la plupart des missiles de croisière aujourd’hui déployés ne dépasse pas les 500 kg, pour des diamètres généralement compris entre 0,5 et 0,6 m. A l’inverse, les puissances nucléaires peuvent miniaturiser et alléger de manière satisfaisante les têtes nucléaires. Des Etats comme l’Inde et le Pakistan disposent de missiles de croisière à vocation nucléaire, d’un diamètre de 0,5m et possédant une charge utile de 400 kg, ce qui signifie qu’ils disposent d’armes miniaturiséesLa petite taille des vecteurs de croisière pakistanais suggère aux spécialistes des armes nucléaires miniaturisées utilisant du polonium. Hans M. Kristensen et Robert S. Norris, « Pakistani nuclear forces, 2016 », op. cit..

Précision

La précision enfin, constitue un facteur important de l’intérêt des missiles de croisière, en particulier lorsque l’appareil dissuasif doit être capable d’exécuter des frappes sur des objectifs de faible superficie, ou en minimisant les dommages collatéraux. Lorsque les portées s’allongent, la sophistication du guidage est essentielle : les technologies inertielles doivent être doublées de dispositifs annexes. La précision s’accroit avec la diffusion des technologies de guidage, en particulier de type GPSLachow, op cit, p. 1., opérationnelles depuis les années 1980 et devenue progressivement extrêmement précises, qui restent néanmoins vulnérables au brouillageKopp, op, cit, p. 56.. Les technologies TERCOM et DSMAC, pertinente pour les vecteurs aux trajectoires basses, requièrent certes des ressources considérables pour collecter les données nécessaires à leur mise en œuvre mais sont maîtrisées par les puissances nucléaires. Les missiles de croisière détenus par ces puissances présentent désormais des erreurs circulaires probables de l’ordre du mètre.

La place du missile de croisière dans les arsenaux dissuasifs contemporains

Depuis l’utilisation du Tomahawk pendant la guerre du Golfe, l’intérêt pour les technologies de croisière et notamment d’attaque au sol (Land Attack Cruise Missile ou LACM) s’est considérablement renforcé. Les signes d’une diffusion de ces vecteurs deviennent visibles dans les années 2000Dennis Gormley, Missile Contagion: Cruise Missile Proliferation and the Threat to International Security, Praeger, 2008, p. 47. : le quasi-monopole détenu sur ces technologies, en particulier celle du LACM, par les Etats-Unis et la Russie, se dilueGormley, op cit « Making the Hague Code », p. 4..

La version nucléaire du Tomahawk, vecteur subsonique d’une portée dépassant les 1500 km, a été retirée en 1992 mais les Américains disposent du missile à capacité duale AGM-86, emporté par les bombardiers stratégiques B-52H, destiné à être remplacé par le missile Long-Range Stand Off (LRSO), également dual. Enfin, comme l’annonce la Nuclear Posture Review de 2018, les Etats-Unis envisagent de diversifier leurs moyens de dissuasion : un missile de croisière mer-sol, à capacité duale, devrait résulter de ces projetsAlexey Arbatov, « The vicissitudes of Russia missile defense », Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 74, n°4..

Certains spécialistes qualifient les missiles de croisière à capacité duale détenus par la Russie de forces « non-stratégiques »Hans M. Kristensen et Robert S. Norris, « Russian nuclear forces, 2017 », Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 73, n°2., mais celles-ci ne participent pas moins d’une force de dissuasion. Les penseurs militaires russes n’utilisent d’ailleurs pas systématiquement la dichotomie armes nucléaires stratégiques/armes nucléaires tactiquesKristin Ven Bruusgaard, « Russian Strategic Deterrence », International Institute for Strategic Studies, vol.58, n°4, août-septembre 2016, p. 12.. La Russie dispose d’un arsenal divers de LACM dont au moins cinq sont à capacité duale, sans que tous ne disposent de têtes nucléaires déployées2017 Ballistic and Cruise Missile Threat Report, National Air and Space Intelligence Center, 2017.. La Russie a développé dans les années 1990 le missile de croisière furtif Kh-101, d’une portée estimée à 2500 km, et sa version nucléaire Kh-102, tous deux étant propulsés par un turboréacteur à double flux« Kh-101 Air Launched Cruise Missile », Military Today, 18 novembre 2017.. Le nouveau missile fétiche de Moscou est le Kalibr, dont usage a été fait au cours de la guerre en Syrie, depuis des navires et sous-marins naviguant en mer Caspienne. Celui-ci, d’une portée comprise entre 1500 et 2500 km, possède une capacité duale et la version nucléaire, « SS-N-30A » pour l’OTAN, sera vraisemblablement déployée sur plateformes sous-marines mais pourrait l’être sur des navires lance-missilesKristensen et Norris, « Russian nuclear forces, 2017 », op. cit.. Vladimir Poutine a enfin dévoilé le projet Burevestnik de missile de croisière à propulsion nucléaire pendant son discours du 1er mars 2018.

La possession par la Chine de missiles de croisière dotés de têtes nucléaires n’est pas certaineHans M. Kristensen et Robert S. Norris, « Chinese nuclear forces, 2018 », Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 74, n°4.. Il est clair néanmoins que la Chine dispose des technologies et programmes nécessaires pour construire un arsenal de croisière nucléaire. A-travers la série des Hong Niao (HN), la Chine a acquis des vecteurs de croisière à capacité stratégique, en récupérant par rétro-ingénierie les technologies de croisière soviétiques et américaines. Les HN possèdent des charges utiles de l’ordre de 400 kg, permettant l’emport de têtes nucléaires. Le HN-2 possède une portée de 1 800 km et une ECP de moins de 10 m« Hong Niao Series », MissileThreat, 12 août 2016.. Le HN-3, entré en service en 2007, possèderait une portée de 3000 kmIbid.. La Chine s’emploie aussi à développer les technologies supersoniques : les missiles de croisière chinois à statoréacteur possèdent des portées plus élevées, comme le YJ-12A, missile air-surface portant à 400 km. Il n’est pas certain toutefois que des versions nucléaires de ces missiles soient opérationnelles.

En Asie du Sud, Inde et Pakistan sont en compétition pour l’acquisition de capacités de croisière. En coopérant avec la Russie qui a mis à disposition le design de son modèle Oniks, l’Inde a pu déployer le Brahmos, missile de croisière doté d’un statoréacteur lui permettant d’atteindre des vitesses supersoniques de l’ordre de Mach 5. Le Brahmos, d’un diamètre de 0,67 m, peut emporter une charge de 300 kg à 300-350 km, ce qui lui permettrait probablement de vectoriser une arme nucléaire moderne« Brahmos », Military Today, 12 février 2015.. Grâce au Brahmos, l’Inde possède les technologies de statoréacteur nécessaires pour produire des missiles hypersoniques, l’ambition du projet Brahmos-II.

L’Inde s’attache parallèlement à développer de manière indigène un modèle de croisière subsonique à capacité duale, dénommé Nirbhay, doté d’une portée comprise entre 800 et 1000 km. L’Inde vise un vecteur déployable sur diverses plateformes et capable de réaliser des trajectoires complexesNotamment des rotations au-dessus de la cible. Franz-Stefan Gady, « India Successfully Test Fires Indigenous Nuclear-Capable Cruise Missile », The Diplomat, 8 novembre 2017.. Son diamètre est de 0,5 m et sa charge utile atteint 450 kg, autorisant la vectorisation d’une arme nucléaire de petite taille. L’Inde semble toutefois rencontrer des difficultés pour concevoir le turboréacteur du missileIbid.. Aussi, à ce jour, la force indienne de dissuasion semble uniquement composée de missiles balistiques, qui possèdent seuls des portées nécessaires à la mise en œuvre d’une dissuasion contre la ChineKristensen et Norris, « Indian nuclear forces, 2017 », op cit.. Il est vraisemblable que les nouveaux missiles de croisière viennent dans les années à venir compléter la capacité de dissuasion face au Pakistan.

Le Pakistan dispose de deux missiles de croisière à capacité duale, le Babur (Hatf 7) et le Ra’ad (Hatf 8). Le Pakistan a lancé le développement du Babur dans les années 1990 afin de diversifier son arsenal de vecteurs d’armes nucléaires, invoquant justement son besoin de renforcer sa capacité de dissuasion. Il s’agit d’un missile subsonique propulsé par un turboréacteur d’origine chinoise ou ukrainienneJane’s Strategic Weapons « Hatf 7 (Babur) ».. Si le Pakistan planifie le déploiement d’une version dotée d’une portée de 1000 km sur diverses plateformes (terrestres, de surface et sous-marines), certaines estimations attribuent au Babur une portée limitée à 350 kmNational Air and Space Intelligence Center, op cit. p. 37.. D’un diamètre de 0,52 m, le missile peut emporter une charge utile comprise entre 450 et 500 kg : il serait ainsi couplé à une arme nucléaire de 35 kTIbid. En 2016, des spécialistes estiment le nombre de têtes nucléaires déployées sur Babur à 12Kristensen et Norris, « Pakistani nuclear forces, 2016 », op. cit..

Le Pakistan possède également depuis 2003 un programme de vecteur de croisière air-sol furtif dénommé Ra’ad. Sa charge utile est comprise entre 400 et 450 kg pour un diamètre de 0,53 m et le missile peut emporter, selon les sources, une charge nucléaire de 15 kTJane’s Strategic Weapons, « Ra’ad ».. Le directeur général de la division de la planification stratégique des forces armées pakistanaises décrit par exemple le Ra’ad comme « a major step towards strengthening Pakistan’s full spectrum credible minimum deterrence capability »Jane’s Strategic Weapons, « Ra’ad »..

Conjuguer missiles balistiques et de croisière : augmenter capacité de survie la flexibilité

Pour les Etats aux forces nucléaires limitées, le missile de croisière à capacité nucléaire possède à ce jour une place marginale dans les arsenaux de dissuasion. Celle-ci est néanmoins appelée à s’accroitre. Certes, sur les trois critères examinés plus haut, les avantages du missile de croisière comme vecteur d’armes nucléaires seul ne sont pas évidentsLachow, op cit, p. 21., d’autant que la précision des missiles balistiques a fait l’objet d’importantes avancéesNational Air and Space Intelligence Center, op. cit.. Aussi, certains jugent qu’une capacité de dissuasion de croisière est redondante, à l’image des contempteurs du programme LRSO aux Etats-UnisTrevithick, op. cit.. Deux observations expliquent toutefois l’intérêt des Etats nucléaires pour le missile de croisière. D’une part, il constitue un vecteur pertinent (coût/efficacité) pour des têtes nucléaires de faible puissance notamment pour les Etats ne disposant pas d’arsenaux balistiques diversifiés (pays occidentaux notamment)C’est notamment l’ambition annoncée des nouvelles capacités américaines et russes.. D’autre part, c’est dans leur complémentarité vis-à-vis des missiles balistiques que les missiles de croisière trouvent leur intérêt. A l’image de ce qu’entreprennent l’Inde et le Pakistan, l’acquisition de missiles de croisière à capacité duale relève d’une logique d’expansion et de diversification des arsenaux de dissuasion.

Cette articulation complique une première attaque massive, et renforce les chances de succès d’une frappe contre les défenses anti-missiles. Les difficultés des défenses sont accrues si les deux types de vecteurs sont combinés dans une même attaqueGormley, Missile Contagion, Cruise Missile Proliferation and the Threat to International Security, op. cit, p. 8.. Le missile de croisière trouve donc son intérêt seul, mais aussi en complément de l’arsenal balistique et constitue un vecteur attractif de seconde frappe.

Les missiles de croisière seront probablement combinés aux missiles balistiques dans des plans de frappes conçus pour dépasser les défenses antimissilesIbid, p. 6.. Comme énoncé par Vladimir Poutine, les nouvelles capacités russes de frappe nucléaires ont justement comme objectif déclaré d’assurer la crédibilité de la dissuasion russe vis-à-vis des défenses anti-missiles américainesDiscours du 1er mars 2017, op. cit.. Les vecteurs russes actuels surpassent déjà aisément les défenses antimissiles américaines et la politique de Moscou reflète sans doute plutôt les intérêts militaro-industriels russes, ainsi que la volonté du Kremlin de répondre à la Nuclear Posture Review américaine. Il demeure que, de manière générale, cela contraint les Etats à consolider leurs défenses antimissiles avec des capacités complémentaires. Celles-ci devraient être, finalement, aisément surpassées par l’émergence des missiles de croisière hypersoniques, qui contribuera assurément à la popularité de ces vecteurs comme outils de la dissuasion.

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