Actualité du programme balistique nord-coréen

La publication lundi 12 novembre 2018 d’un rapport co-écrit par Joseph Bermudez, Victor Cha et Lisa Collins pour le programme « Beyond Parallel » du think tank américain CSIS à Washington, intitulé Undeclared North Korea: Missile Operating Bases RevealedJoseph Bermudez, Victor Cha, Lisa Collins, Undeclared North Korea: Missile Operating Bases Revealed, CSIS, 12 novembre 2018., a relancé outre-Atlantique le débat sur la crise nucléaire coréenneAdam Taylor, « Newly revealed North Korean missile bases cast doubt on value of Trump’s summit with Kim Jong Un », The Washington Post, 12 novembre 2018..

Selon ce rapport, le projet « Beyond Parallel »Le projet « Beyond Parallel » reprend le concept du site 38 North en fondant ses analyses sur l’examen d’une imagerie satellitaire fournie par la société américaine DigitalGlobe forte d’une flotte de huit satellites dédiés à l’imagerie spatiale (six nouveau satellites doivent être lancés en 2019). a identifié treize sites qualifiés de « bases opérationnelles » liées au programme balistique nord-coréen sur une vingtaine au total de sites non déclarés par le régimeSelon ce rapport, une base opérationnelle peut être qualifiée comme telle si elle dispose d’un quartier général, de baraquements, d’infrastructures de soutien et de maintenance, d’installations de stockage, de logements pour le personnel. Les bases opérationnelles nord-coréennes, rudimentaires, ne ressemblent pas à celles dont disposent les puissances balistiques développées mais ne doivent pas être confondues avec d’autres types d’installations plus sommaires ou strictement dédiées aux lancements d’artillerie par exemple.. Il ne s’agirait pas de sites de lancement à proprement parler, même si des lancements d’urgence pourraient sans doute y être opérés, mais de lieux à partir desquels des Transporteurs-Erecteurs-Lanceurs (TEL) mobiles pourraient être déployés puis dispersés sur des sites de lancement « semi-préparés ». Ainsi, ces bases opérationnelles sont décrites dans le cadre de l’effort visant à accroître la capacité de survie de l’arsenal en cas d’attaque préemptive ou dans la conduite d’opérations de guerre en fournissant des bases de soutien technique, l’objectif étant de remédier à l’infériorité balistique et aérienne du pays face à une attaque américano-sud-coréenne. A ce jour, peu d’informations sont disponibles en sources ouvertes sur les bases opérationnelles de la « Force stratégique » de l’Armée Populaire de Corée (APC) qui est responsable des armes balistiques. Mises en place dès la seconde moitié des années 1960, ces bases furent multipliées au cours des années 1980 puis au cours des années 2000 soit en adaptant une base militaire existante aux besoins des forces, soit ex nihilo. Les bases balistiques opérationnelles sont réparties dans trois ensembles cohérents selon la portée des engins : une ceinture dite « tactique » près de la DMZ, une ceinture « opérationnelle » au nord-ouest de la capitale, une ceinture « stratégique » au nord du paysVoir carte. (voir illustrations).

Le chiffre de soixante-cinq bases opérationnelles que l’on peut retrouver dans la littérature ouverte semble être largement exagéré selon les auteurs du rapport qui indiquent entre quinze et vingt bases au plus. La première base décrite par le programme « Beyond Parallel » porte sur le site de Sakkanmol삭간몰 dans la ceinture tactique au nord de la province de Hwanghae à quatre-vingt-cinq kilomètres de la DMZ et à cent trente-cinq kilomètres au nord-ouest de Séoul. Base opérationnelle pour les missiles Hwasong 5 et 6, elle fut construite entre le début des années 1990 (entre 1991 et 1993) et la fin de l’année 2001.

©CSIS/BEYOND PARALLEL

Ce premier rapport du CSISJoseph Bermudez, Victor Cha, Lisa Collins, Undeclared North Korea: The Sakkanmol Missile Operating Base, CSIS, 12 novembre 2018. sera complété par l’analyse des douze autres bases que le projet estime avoir identifié. Il ne s’agit donc pas tant d’une révélation en tant que telle – au contraire de ce que la presse américaine a pu commenterVoir par exemple : David E. Sanger, William J. Broad, « In North Korea, Missile Bases Suggest a Great Deception », The New York Times, 12 novembre 2018. – que d’un essai pour clarifier le déploiement des capacités balistiques du régime depuis cinquante ans.

Quatre jours après la parution du rapport du CSIS, l’agence de presse nord-coréenne « Korean Central News Agency » (KCNA) annonçait que le leader Kim Jong-un avait visité un site d’essai pour superviser un « nouveau missile tactique de haute technologie » décrit comme « ultra-moderne » à l’Académie des sciences de défense (Academy of Defence Science) située à Pyongyang et connue pour être notamment en charge du programme balistique nord-coréen.« Kim Jong-un observes North Korean testing of new ‘hi-tech tactical weapon’, state media says », South China Morning Post, 16 novembre 2018. Benjamin Haas, « North Korea's Kim Jong-un supervises test of 'new ultramodern weapon' », The Guardian, 16 novembre 2018.

D’après certaines sources, le leader aurait effectivement assisté à un essai qui aurait été probant même si aucune information n’a filtré sur le type d’engin testéSelon les termes de la KCNA traduits en anglais, "Kim Jong Un inspected the testing of a newly developed high-tech tactical weapon at the Academy of National Defence Science", In : « North Korea 'tests high-tech new weapon': KCNA », The Nation by AFP Séoul, 16 novembre 2018.. Il s’agirait d’un vecteur « innovant » (« groundbreaking ») selon la formulation officielle, résultant d’une longue phase de développement initiée et supervisée personnellement par le père du dictateur actuel, et apte à « renforcer de manière significative les capacités de combat du pays », selon ses termes. D’après d’autres sources, rien ne permet d’affirmer que la visite de Kim Jong-un était liée à la réalisation d’un essai, ni même que cette visite doit avoir un sens particulier dans une nouvelle montée des tensions dans la péninsule coréenneVoir par exemple Robert Carlin, « Look Before You Tweet: The Perils of Rushing Analysis », 38 North, 19 novembre 2018..

A plusieurs reprises au cours de l’année 2018, l’arsenal nord-coréen a donné des signes de développement, depuis l’exposition d’un nouveau système de courte portée à combustible solide possiblement développé sur la base du missile russe Iskander (9K720) lors d’une parade le 8 février 2018 pour l’anniversaire des soixante-dix ans de l’APCMichael Elleman, « North Korea’s Army Day Military Parade: One New Missile System Unveiled », 38 North, 8 février 2018 jusqu’au dernier essai avéré du régime nord-coréen le 28 novembre 2017. Il s’agissait alors vraisemblablement d’un Hwasong‑15, version améliorée de l’engin à vocation intercontinentale testé les 4 et 28 juillet de la même année, mettant un terme à une campagne annuelle d’une ampleur inédite. D’après des sources gouvernementales sud-coréennes, le régime nord-coréen aurait également testé au cours du mois de novembre 2018 des lance-roquettes multiples.

Les informations apportées par le rapport du CSIS ne contredisent pas, stricto sensu, la lettre de la déclaration conjointe de Singapour agréée par le président Trump et le leader Kim (12 juin 2018). Kim Jong-un ne s’était pas engagé à mettre un terme au programme balistique et nucléaire du pays mais à s’inscrire dans un processus de dénucléarisation qu’il reste à définir, à encadrer, à mettre en place, à vérifier.

La visite du 16 novembre 2018 s’inscrit en revanche dans un contexte caractérisé par l’absence de progrès réel dans la mise en œuvre de ce processus depuis bientôt six mois. S’exprimant dans une émission télévisée la dernière semaine du mois d’octobre dernier, le secrétaire d’État américain Michael Pompeo avait estimé que l’absence d’essai nord-coréen en 2018 est une marque de succès du processus de négociation en cours : « We’re still happy that they haven’t conducted a nuclear test in an awfully long time and they haven’t launched a missile in an awfully long time »Simon Denyer, « North Korea threatens to restart nuclear program unless U.S. lifts sanctions », The Washington Post, 3 novembre 2018.. Mais une réunion prévue la première semaine du mois de novembre 2018 entre le secrétaire d’État et le négociateur nord-coréen Kim Yonh Chol avait été reportée par Pyongyang mercredi 7 novembre alors qu’elle devait préparer, selon le département d’État, la tenue d’un second sommet bilatéral début 2019Adam Taylor, « Trump’s North Korea diplomacy quietly stalls », The Washington Post, 7 novembre 2018.. Un premier avertissement avait été publiquement émis par Pyongyang vendredi 2 novembre, indiquant qu’en l’absence d’efforts américains dans le sens de la levée des sanctions économiques contre le pays, le programme nucléaire pourrait être relancé : « le mot ‘byungjin’ pourrait refaire son apparition et un changement de politique pourrait être sérieusement envisagé », avait alors fait savoir KCNACité par Le Point, « Mise en garde de Pyongyang sur un retour à sa politique nucléaire », 4 novembre 2018.. Pour mémoire, le « byungjin » désigne le développement dual de l’économie et de la force de dissuasion nucléaire du pays. Sa « relance » aujourd’hui aurait un sens alors que le leader nord-coréen avait annoncé la fin du « byungjin » au mois d’avril 2018 pour pouvoir se concentrer exclusivement sur le développement de l’économie nationale, ce qui avait été justement perçu comme un signe d’apaisement en préparation du sommet du printemps 2018 avec les États-Unis.

Quels que soient les commentaires que l’on peut en faire, la visite du 16 novembre illustre que la pause opérée par la Corée du Nord après le sommet de Singapour est circonstanciée, partielle, volontaire, réversible. Elle ne constitue pas un moratoire au sens strict, ni dans les termes ni dans l’esprit, qu’il s’agisse de lancements proprement dits comme du développement des programmes. A l’évidence, c’est au moins l’un des messages transmis par le communiqué de KCNA. De son côté, le nouveau rapport du CSIS illustre la nécessité de disposer d’une déclaration vérifiable de l’ensemble des sites nord-coréens liés au développement du programme balistique du pays dans le cadre du processus de négociation en cours. Les deux événements sont à lire dans le cadre de ce processus qui, depuis Pyongyang, continue d’être conduit comme une offensive diplomatique destinée à desserrer l’étau économique sur le pays depuis le renforcement significatif du régime multilatéral de sanctions opéré au milieu de la décennie actuelle. Ainsi éclairé, ce renforcement apparaît aujourd’hui en négatif comme un instrument de coercition qui commençait sans doute à porter des effets dissuasifs. C’était avant le sommet de Singapour.

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