After Nuclear First Use, What?
Observatoire de la dissuasion n°55
juin 2018
Dans cette publicationVince A. Manzo et John K. Warden, « After Nuclear First Use, What? », Survival, vol. 60, n°3, juin-juillet 2018., les auteurs s’interrogent sur les conséquences d’une frappe nucléaire « de désescalade » par un adversaire tel que la Russie ou la Corée du Nord et des réponses américaines pour limiter le nombre de victimes sans céder au chantage nucléaire. Dans un tel scénario, les intérêts américains seraient de défendre les objectifs initiaux à l’origine du conflit, mais aussi d’éviter une nouvelle frappe nucléaire et de préserver le système d’alliance américain malgré l’incapacité à éviter une frappe nucléaire. Les États-Unis devraient également essayer de rétablir la norme de non-emploi pour les armes nucléaires et surtout d’obtenir la paix dans des conditions légitimes et durables.
La réponse américaine prendrait naturellement en compte le volume et la nature de l’arsenal nucléaire adverse, les objectifs de l’affrontement conventionnel en cours et les éventuelles menaces et lignes rouges exprimées lors de l’escalade du conflit. Les motivations de l’adversaire seraient également des variables clés, tout comme les raisons de son attaque, ses conséquences et les réactions internationales.
Dans un tel cas, Washington devrait avant tout décider s’il limite ses ambitions (par exemple en excluant un changement de régime), les préserve ou les étend (pour au contraire renverser un gouvernement en punition), et ensuite doser son intervention militaire. A titre illustratif, les auteurs proposent quatre études de cas.
- Cas n°1 : agression surprise nord-coréenne et invasion d’une île sud-coréenne, frappe nucléaire nord-coréenne au-dessus de la mer du Japon en démonstration
Deux cas de figures seraient possibles. Les États-Unis pourraient répéter leurs objectifs initiaux et convaincre Pyongyang de renoncer à toute nouvelle frappe nucléaire. Un changement de régime pourrait également être envisagé mais il faudrait pour cela avoir le soutien de Tokyo et de Séoul, la possibilité de se prémunir des représailles nord-coréennes et la conviction qu’il s’agirait de l’option la moins risquée. Dans ce contexte, des frappes de contre-force seraient nécessaires, conventionnelles ou nucléaires selon un calcul coût-avantage à faire.
- Cas n°2 : escalade de tensions en mer, débouchant sur des tirs d’artillerie mutuels, intervention alliée en Corée du Nord et frappe nucléaire nord-coréenne sur Busan
Ce cas de figure est moins tranché, car Pyongyang semble avoir franchi le cap nucléaire justement pour éviter un changement de régime et les objectifs stratégiques américains sont moins clairement définis. La priorité semble d’être de limiter les effets du conflit et de convaincre la communauté internationale de la légitimité de l’action américaine. La première option serait manifestement de procéder à une désescalade en renonçant publiquement à un changement de régime et en retirant certaines forces de leurs positions avancées. Mais une frappe nucléaire de représailles pourrait également aider à détruire certaines forces ennemies et pourrait recevoir le soutien de l’opinion publique américaine soucieuse de ne pas capituler à la pression nucléaire. Le choix serait difficile entre préserver sa crédibilité et éviter une escalade nucléaire incontrôlable.
- Cas n°3 : frappe nucléaire russe visant à terminer un conflit conventionnel croissant en Lituanie
Dans cette situation, la légitimité de l’OTAN à défendre le territoire lituanien serait claire, mais la maîtrise de l’escalade périlleuse. Si la frappe russe était motivée par des préoccupations défensives, les États-Unis auraient intérêt à privilégier une sortie de crise diplomatique assortie d’une démonstration de sa détermination à éviter tout nouveau recours au nucléaire. Au contraire, si son objectif était de préserver les gains territoriaux réalisés, il serait opportun de poursuivre les opérations militaires pour reconquérir le territoire lituanien envahi, voire de procéder également à une frappe nucléaire limitée pour marquer sa détermination, en évitant potentiellement le territoire russe pour limiter les risques d’escalade.
- Cas n°4 : frappes nucléaires russes sur des cibles militaires de l’OTAN en Pologne et dans la zone balte au cours d’un conflit conventionnel plus avancé et à l’avantage de l’Alliance Atlantique
Ce scénario est beaucoup plus grave au sens où le conflit est déjà entré dans une phase avancée et où la frappe a des conséquences importantes, aux niveaux humain et militaire. D’un côté, cela pourrait rendre plus probable une riposte américaine nucléaire à des fins de punition, de rétablissement de la dissuasion pour l’avenir mais aussi dans une optique militaire. De l’autre, les craintes de Moscou pour la survie de son régime paraîtraient crédibles et encourageraient à une posture de retenue. Une posture intermédiaire pourrait consister à procéder à une frappe nucléaire punitive sur un site de valeur russe éloigné du champ de bataille tout en renforçant les efforts diplomatiques pour mettre fin au conflit.
Pour les auteurs, la réflexion autour de ces scénarios montre la difficulté de prendre une décision suite à une frappe nucléaire et l’impact de différentes variables politiques et militaires sur l’option retenue in fine. Des simulations leur semblent nécessaires pour préparer au mieux ce type de situation et anticiper les options militaires possibles pour optimiser les chances de succès et limiter les risques d’escalade. Ils concluent sur l’importance de conserver des forces de dissuasion, utiles pour répondre à ce type d’agressions, que le choix de riposte soit nucléaire ou non.