Armes nucléaires au Bélarus : quels enjeux ?

Observatoire de la dissuasion n°124
novembre 2024

Liviu Horovitz et Lydia Wachs étudient de manière approfondie dans cet article les implications politiques et stratégiques du déploiement d’armes nucléaires russes au Bélarus. Leur étude, publiée dans le Washington QuarterlyLiviu Horowitz et Lydia Wachs, « Russian Nuclear Weapons in Belarus? Motivations and Consequences », The Washington Quarterly, 18 septembre 2024., est tout d’abord factuelle en rappelant ce que l’on sait de l’accord de partage nucléaire russo-bélarusse. Les auteurs proposent ensuite des explications théoriques permettant de comprendre l’intérêt des deux États dans l’arrangement. Enfin, ils développent les implications militaires, politiques et normatives liées à ce développement.

Ce travail permet en premier lieu de recenser les informations disponibles sur le déploiement d’armes nucléaires au Bélarus, provenant à la fois de déclarations des deux pays, mais aussi de l’observation d’images satellite. Ils notent que beaucoup d’informations restent floues à ce jour, ce qui induit une incertitude en particulier sur la nature pérenne des déploiements. Les auteurs notent en effet que les deux bases bélarusses n’ont pas nécessairement les mêmes systèmes de protection physiques que les bases nucléaires russes, ce qui leur fait émettre l’hypothèse d’un déploiement transitoire.

En dépit des nombreuses inconnues, les deux experts cherchent à comprendre ce qui a pu justifier cette décision. Du côté de Minsk, les auteurs supposent que la raison principale de la manœuvre est un motif sécuritaire, et en particulier la volonté de renforcer la sécurité du régime. Le Bélarus craindrait une attaque de l’OTAN, qui se combinerait à un effort occidental pour renverser le régime. La présence d’armes nucléaires sur le territoire, quelles que soient les modalités d’emploi et l’implication réelle du Bélarus dans les prises de décision, jouerait un rôle supplémentaire de dissuasion et conforterait l’alliance entre les deux États. Enfin, Loukachenko pourrait profiter d’un rapprochement avec Moscou, d’un point de vue interne mais aussi diplomatique.

Du côté russe, Horovitz et Wachs notent là encore le caractère parcellaire des informations disponibles mais supposent que le principal motif est la consolidation de l’alliance politique avec le Bélarus, le signalement stratégique vis-à-vis de l’Occident, et dans une moindre mesure, potentiellement la création d’un outil de négociation avec Washington. De manière notable, ce déploiement est pour Poutine un moyen d’asseoir son contrôle sur son allié et de restreindre son indépendance stratégique.

Au niveau militaire, Horovitz et Wachs considèrent que ce développement tend à renforcer marginalement la dissuasion russe, mais d’un point de vue opérationnel, cela ne change pas grand-chose aux options de déploiements des armes courte portée russes, qui pouvaient déjà être pré-positionnées à Kaliningrad par exemple. Au contraire, ils estiment que le stationnement d’armes au Bélarus pourrait réduire la capacité opérationnelle de systèmes confiés à des équipes moins bien formées. Ils notent un léger risque d’instabilité supplémentaire, produit par l’ambiguïté des signaux envoyés par les deux pays, qui pourrait causer une escalade involontaire, mais ce risque semble faible tant que la Russie conserve le contrôle des armes. Le risque d’escalade accidentel dépendrait du niveau d’exigence demandé par la Russie concernant le stockage au Bélarus et de sa capacité à faire respecter les mêmes règles de sécurité que sur le territoire russe.

Enfin, d’un point de vue légal, le transfert peut difficilement être considéré comme une violation du TNP. C’est en revanche un renoncement au mémorandum de Budapest, qui, en tant qu’accord politique, n’est pas juridiquement contraignant. De plus, ce déploiement s’oppose aux revendications diplomatiques russes dans la mesure où la Russie contestait depuis des années la pratique de dissuasion élargie américaine. D’un point de vue normatif plus global, les retombées de ce transfert sur le régime de non-prolifération semblent modérées, d’une part car le déploiement d’armes nucléaires dans d’autres pays existe depuis longtemps (OTAN) et de l’autre car cette « transgression » peut sembler minime par rapport aux autres atteintes russes à l’ordre nucléaire global.

En conclusion, les auteurs estiment que le transfert traduit avant tout une tendance plus marquée à la prise de risque du côté russe. Leurs recommandations pour les États de l’OTAN sont de renforcer leurs capacités de défense conventionnelles (y compris antimissile) et de faire pression sur la Russie d’un point de vue diplomatique pour que les règles de sécurité et de sûreté ne soient pas compromises lors du déploiement à l’étranger. Ils estiment en revanche qu’il y a peu de perspectives dans le court terme d’utilisation de ces développements dans des négociations de maîtrise des armements. Enfin, ils invitent la communauté académique à davantage étudier les implications du partage nucléaire au sein d’alliances autres que l’OTAN, en étudiant spécifiquement la relation politique entre le protecteur et le protégé.

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