Rare essai balistique chinois dans le Pacifique

Le 25 septembre 2024, la Chine a réalisé son premier tir de missile intercontinental vers le Pacifique depuis 1980. Le missile utilisé n’a pas été spécifié mais semble être une variante de l’ICBM Dongfeng‑31 connue sous la désignation DF‑31AGSeong Hyeon Choi et Sylvie Zhuang, « What do we know about the DF‑31 variant used in China’s recent ICBM test? », South China Morning Post, 27 septembre 2024.. Contrairement aux DF‑31 originaux déployés en silo, le DF‑31AG possède un lanceur mobile tout-terrain. Il est apparu publiquement pour la première fois lors d’un défilé célébrant le 90ème anniversaire de la République populaire de Chine en 2017. D’une portée annoncée à plus de 13 200 km, ce missile de trois étages utilise du propergol solide. Entre 6 et 7 brigades sont réputées accueillir le DF‑31AG, – 621 à Yibin, 632 à Shaoyang, 641 à Hancheng, 642 à Datong, 643 à Tianshui, 664 à Xiangyang et potentiellement 645 à Yunchuan et 651 à ChifengHans Kristensen, Matt Korda et Elina Reynolds, « Chinese Nuclear Forces, 2023 », Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 79, n°2, mars 2023..

Le missile n’a pour autant pas été testé d’une de ces bases mais d’un site ad hoc sur l’île de Hainan, à environ 1 000 km des zones de déploiement les plus prochesEliana Johns, « Geolocating China’s Unprecedented Missile Launch: The Potential What, Where, How, and Why », Federation of American Scientists, 16 octobre 2024.. Ce choix a permis d’éviter de survoler des parties du territoire chinois ou étranger et ainsi de limiter les risques tout en gardant une trajectoire de vol relativement optimisée et permettant de tester différents capteurs et capacités satellitaires de détection de ce type d’activitésGreg Torode, « Beyond the politics, China's missile test reflects military need », Reuters, 10 octobre 2024.. D’un point de vue technique et opérationnel, cet essai a sans doute eu une valeur importante car se rapprochant davantage de conditions réelles d’emploi.

Selon le Département de la Défense américain, la Chine procède à l’essai d’entre 100 et 200 missiles balistiques par anIbid., mais ces essais ont lieu dans les zones désertiques du pays et ne sont ni annoncés par les autorités, ni même rapportés en source ouverte. Cette discrétion est utile pour Beijing dans la mesure où elle évite une surveillance trop rapprochée de ses adversaires potentiels, mais aussi les critiques des États de la région. En effet, le tir du 25 septembre a suscité des protestations d’États du Pacifique, comme les Kiribati, qui ont indiqué « que le tir d’ICBM chinois n’était pas bienvenu » et ont appelé les États de la région à « arrêter ces actes pour maintenir la paix et la stabilité mondiale »Kirsty Needham, « China's Pacific ally Kiribati criticises Beijing missile launch », Reuters, 8 octobre 2024.. Les gouvernements australien, néo-zélandais, fidjien et des Palaos ont également critiqué l’essaiDenny Roy, « Why Did China Test-fire an ICBM into the South Pacific? », The Diplomat, 2 octobre 2024., le Président des Palaos notant que cet essai « signifie que la Chine pourrait frapper n’importe lequel d’entre nous » et que Beijing devait s’expliquerStephen Dziedzic et Kyle Evans, « China’s launch of an intercontinental ballistic missile criticised by Fiji, Australia, Palau and New Zealand », ABC News, 27 septembre 2024..

Le président de la Polynésie française Moetai Brotherson a également regretté le manque d’information sur le sujetPatrick Decloitre, « China’s missile test triggers diplomatic shockwaves in French Polynesia », RNZ, 30 septembre 2024., le territoire étant le plus directement concerné puisque le véhicule de réentrée serait retombé à environ 700 km des îles Marquises (mais hors de la zone d’exclusion économique française). Cette vague de critiques est intéressante à deux titres. D’une part, elle montre que les essais balistiques symbolisent pour beaucoup d’États les efforts de modernisation des arsenaux nucléaires par les États dotés. À ce titre, ils sont dénoncés par les États hostiles à la dissuasion nucléaire. Cette tendance à considérer qu’un essai balistique est mécaniquement source d’instabilité a pu être renforcée par les condamnations globales des essais nord-coréens, sans qu’il soit bien évident pour toute la communauté internationale que dans le cas de Pyongyang, le problème de légitimité est avant tout lié au fait que la Corée du Nord développe un programme balistique en conjonction avec un programme nucléaire en dépit des injonctions des Nations Unies et de ses engagements internationaux. Quoi qu’il en soit, le coût politique d’un essai balistique, réalisé à des fins techniques et opérationnelles, et sans signal politique particulier, semble s’accroître. Il sera intéressant à ce titre de regarder si les prochains tirs des missiles français M51 ou américains Trident D5 II provoqueront également des réactions fortes des États les plus proches des zones d’essais, par exemple dans les Caraïbes ou dans le Pacifique.

Deuxièmement, il est souvent noté que la Chine est très efficace dans les enceintes consacrées à la non-prolifération pour convaincre les États hostiles à l’arme nucléaire de sa bénignité et échappe ainsi largement aux critiques. À cette occasion, des États proches de la Chine, comme les Kiribati ou les Fidji n’ont pas hésité à faire part de leur mécontentement.

Les circonstances dans lesquelles ont eu lieu cet essai sont également intéressantes. En effet, Beijing a selon les informations publiquement disponibles notifié les États-Unis, la France et la Nouvelle-Zélande avant le tir. Les notifications ont cependant été particulièrement tardives, ne permettant pas, dans le cas de la France, de relayer avant le tir l’information aux différents services concernés (notamment en Polynésie). L’Australie, le Japon ou encore les Philippines auraient également été informées de potentielles retombées de débris spatiaux en merGreg Torode, op. cit.. La décision chinoise de ne pas transmettre d’information préalable aux nations du Pacifique a été coûteuse politiquement puisqu’elle a largement alimenté les réactions négatives suite à l’essai.

Ce partage d’information a cependant été décrit comme « un pas dans la bonne direction » par le PentagoneDeputy Pentagon Press Secretary Sabrina Singh Holds a News Briefing, Transcript, U.S. Department of Defense, 25 septembre 2024.. En effet, Washington encourage la Chine à mettre en place un accord bilatéral sur la pré-notification mutuelle des essais de missiles balistiquesRyo Nakamura, « U.S. considers missile launch notification framework with China », Nikkei, 11 décembre 2023.. Le sujet aurait été abordé selon la Maison Blanche en novembre 2023 lors d’une rencontre entre le Président Biden et Xi Jinping ayant abordé entre autres les sujets liés à la maîtrise des armements et à la non-prolifération. Ce point a sans doute été évoqué lors des discussions techniques organisées début 2024 entre les deux pays. Néanmoins, en juillet, la Chine a annoncé interrompre le second cycle de consultations sur la maîtrise des armements et la non-prolifération, en réaction aux ventes d’armes américaines à destination de Taïwan« China says it has halted arms-control talks with US over Taiwan », Reuters, 17 juillet 2024.. Le projet d’accord bilatéral n’a donc vraisemblablement pas pu aboutir à ce jour.

Pour autant, ce type de mesures de confiance existe entre la Chine et la Russie. Signe d’un certain pragmatisme, cet accord ne concerne que les missiles chinois tirés vers le Nord-ouest et les missiles russes tirés vers le sud-est, et donc, pas celui lancé de HainanEmmanuelle Maitre et Antoine Bondaz, « Essais balistiques chinois : développements récents et opacité », Bulletin n°101, Observatoire de la dissuasion, FRS, septembre 2022.. Le tir du mois de septembre 2024 pourrait servir de base à une reprise des discussions entre Beijing et Washington à ce sujet mais également à promouvoir la signature par la Chine du Code de Conduite de la Haye contre la prolifération des missiles balistiques (HCoC), qui prévoit justement un système multilatéral de notification des essais de missilesAntoine Bondaz, Dan Liu et Emmanuelle Maitre, « The HCoC and China », HCoC Research Paper n°8, FRS, septembre 2021..

 

Télécharger le bulletin au format PDF