La dissuasion et l’espace, un début de débat politique

Il est rare que la dissuasion nucléaire fasse l’objet d’un débat public entre représentants nationaux, et l’on ne peut que se féliciter de l’échange qui a eu lieu, par médias interposés, entre députés de la France Insoumise (MM. Jean-Luc Mélenchon et Bastien Lachaud) et de La République en Marche (M. Fabien Gouttefarde).

L’échange est d’autant plus notable qu’il ne se réduit pas, comme cela a été trop souvent le cas par le passé, à la question du désarmement ou aux jugements à l’emporte-pièce sur la pertinence de la dissuasion nucléaire. La France insoumise prend traditionnellement des positions assez mesurées sur cette question : elle exige un « débat public largement ouvert et approfondi » sur la dissuasion mais sans réclamer l’abolition des armes nucléairesAmendement n°9 (Rect), Programmation militaire pour les années 2019-2025, Assemblée Nationale, 15 mars 2018..  

En novembre 2021, à propos d’une question sur la militarisation de l’espace, M. Mélenchon posait la question de l’efficacité de la dissuasion nucléaire : « Je pose la question : est-ce que la dissuasion nucléaire, […] dont je reste partisan [...], est-ce que c’est encore une rame efficace maintenant que l’on sait que la guerre peut avoir lieu et aura lieu d’abord depuis l’espace […] est-ce que la dissuasion nucléaire n’est pas dépassée ? »Jean-Luc Mélenchon, Face à BFM, BFM TV, 26 novembre 2021, disponible sur Jean-Luc Mélenchon, Twitter, 26 novembre 2021..

Renchérissant sur son blog, M. Mélenchon posait la question de l’éventuelle obsolescence de la dissuasion nucléaire et évoquait, sans s’appesantir, une dissuasion spatiale ou une « flotte d’avions hypersoniques » qui pourraient remplacer les SNLEJean-Luc Mélenchon, « La dissuasion nucléaire a-t-elle encore un sens », L’ère du peuple, 27 novembre 2021..

M. Gouttefarde, dans une tribune au Monde, a répondu à son collègue par une défense à la fois raisonnée et passionnelle de la dissuasion nucléaire française. Il sépare les deux questions et rappelle que l’hypothèse d’une vulnérabilité des SNLE (détection depuis l’espace, repérage et neutralisation par un adversaire) semble très lointaineFabien Gouttefarde, « Oui, la dissuasion nucléaire a encore un sens », Le Monde, 31 décembre 2021..

MM. Mélenchon et Lachaud lui ont à leur tour répondu dans une autre tribune sur le même médiaJean-Luc Mélenchon et Bastien Lachaud, « La garantie de la dissuasion nucléaire n’est-elle pas déjà contournée par les moyens techniques contemporains ? », Le Monde, 11 janvier 2022.. Ils confirment leur attachement à la dissuasion nucléaire « sans alternative effectivement disponible », mais en en soulignant les limites. C’est ici que leur argumentation devient hasardeuse. Ils prétendent ainsi que « sur un territoire comme le nôtre, un seul coup porté par un ennemi peut nous éliminer », la dissuasion étant asymétrique, alors que « pour certains pays très étendus, il faudrait […] être capables de plusieurs frappes pour être dissuasifs ». Les auteurs semblent ainsi découvrir l’asymétrie dissuasive, pourtant prise en compte par ce que l’on appelait au temps de la Guerre froide la dissuasion du faible au fort, qu’implicitement ils jugent donc inopérante. Ils mentionnent un scénario précis, « une frappe sur nos installations nucléaires civiles ou nos installations chimiques », affirmant qu’une telle frappe serait « mortelle ». Le pari intellectuel est audacieux. Ils affirment ensuite que le danger serait double, les puissances majeures développant à la fois des armes hyper-véloces, qui empêcheraient selon eux toute riposte, et des moyens de détection des SNLE, soit à partir de leurs émissions d’antineutrinos, soit à partir des câbles sous-marins. Ils demandent donc la recherche de moyens alternatifs de dissuasion en s’intéressant à l’espace, à la fois pour pouvoir « neutraliser les communications » adverses (vers l’espace) et « détruire les stocks nucléaires » de l’ennemi (depuis l’espace). 

Ce débat laisse perplexe. Si l’on ne peut que se féliciter de voir des responsables politiques discuter de ces questions complexes sous des angles assez nouveaux en France, on peut tout autant regretter que ce débat soit peu informé sur le plan technologique et hasardeux sur le plan stratégiqueVoir pour mémoire la réaction du Général Norlain à ce débat : Bernard Norlain, « Parler de la dissuasion comme la garantie ultime, c’est promettre une ligne Maginot nucléaire », Le Monde, 22 janvier 2022..

 

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