Quel avenir pour la maîtrise des armements ?
Observatoire de la dissuasion n°94
Emmanuelle Maitre,
février 2022
Entre octobre 2020 et août 2021, le Center for Security Studies d’ETH Zürich a convoqué un groupe d’experts transatlantiques pour évoquer le futur de la maîtrise des armements. Suite à ces discussions, un rapport vient d’être publiéAnna Péczeli, Brad Roberts, Jonas Scheider, Adam Thomson, Olivier Thränert et Heather Williams, Redesigning Nuclear Arms Control for New Realities, CSS Policy Perspectives, vol. 9, n°8, novembre 2021.. Tout d’abord, le rapport invite à envisager la question de la maîtrise des armements dans le temps long, dépendante des conditions politiques conjoncturelles tout comme de l’évolution de la compétition stratégique. Il note l’importance de renouveler la capacité d’initiative dans ce domaine, qui s’est longtemps trouvée principalement aux Etats-Unis mais gagnerait à se diversifier. Cela nécessite un investissement dans le capital humain permettant de disposer d’experts combinant recul historique et connaissance des enjeux liés aux nouvelles technologies.
Sans surprise, ils notent l’importance de préserver voire d’approfondir les dialogues stratégiques à de multiples niveaux, et de se centrer sur les risques nucléaires, et pas seulement les arsenaux. En effet, l’apparition de nouvelles technologies complique l’adoption de mesures restrictives. Cela pourrait en particulier passer par des engagements politiques, des mesures de confiance ou des codes de conduite. Dans l’immédiat, le rapport estime que la maîtrise des armements doit renforcer la dissuasion en recherchant la transparence, la prédictibilité et la retenue. Ainsi, le groupe estime qu’il est nécessaire de re-calibrer les discours publics afin non seulement de limiter les attentes irréalistes mais aussi d’indiquer clairement la logique de compromis qui caractérise l’arms control. L’Europe, et en particulier ses deux Etats dotés, ont tout intérêt à s’impliquer davantage sur ce sujet, en poursuivant par exemple les réflexions sur la réduction des risques, le cyber ou l’espace.
Dans une perspective très différente, Eric Elderman propose de s’inspirer des efforts de maîtrise des armements menés entre la première et la seconde guerre mondiale dans le domaine navalEric Edelman, « Arms Control: Can Its Future Be Found in Its Past? », CSBA, 17 septembre 2021.. En effet, cela lui semble une étude de cas intéressante du fait de la prise en compte de la multipolarité et de l’intégration des théâtres asiatique et européen. Il juge que ces efforts ont aussi montré l’importance de moderniser ses propres forces pour s’en servir de levier de négociation, mais surtout le caractère essentiel des facteurs politiques dans le succès ou l’échec des initiatives considérées. Ainsi, il estime, en s’appuyant sur différents travaux historiques, que le focus sur une catégorie d’armements, jugée particulièrement dangereuse, plutôt que sur les facteurs politiques alimentant la course aux armements, est à l’origine de l’échec des différents dispositifs mis en œuvre durant cette période. L’auteur note que cet exemple historique d’un effort pour réguler la compétition stratégique entre grandes puissances pourrait être plus éclairant pour la période actuelle que la volonté de retourner au supposé « âge d’or » de la maîtrise des armements bilatérale de la guerre froide.