La dissuasion : quelle évolution sur l’échiquier politique britannique ?
Observatoire de la dissuasion n°71
Emmanuelle Maitre,
janvier 2020
Jeudi 12 décembre 2019, les électeurs britanniques ont été appelés à voter pour des élections générales et ont donné une large victoire au parti conservateur mené par Boris Johnson (365 sièges). Si le score ne présente aucune surprise et permet d’imaginer une forte continuité dans la politique qui sera menée par le gouvernement, en particulier en termes de sécurité, la campagne a présenté un certain intérêt. Bien entendu, le sujet majeur pour les candidats et les électeurs a été la question du Brexit. Pour autant, l’avenir de la dissuasion nucléaire britannique a été évoqué par chaque parti et a permis de faire émerger un paysage de plus en plus tranché.
Ainsi, à l’occasion d’interviews, ou lors du grand débat télévisé, les sept candidats ont notamment pu s’exprimer sur le programme de renouvellement des Trident, ainsi que sur une question désormais rituelle pour des candidats au poste de Premier ministre : « Si le pays était victime d’une attaque nucléaire, auriez-vous recours aux armes nucléaires pour le défendre ? ».
Parmi les principaux partis en compétition, seul le parti conservateur apparaît désormais comme un soutien franc de la politique actuelle. Ainsi, son programme officiel indiquait « Nous maintiendrons le système Trident, qui garantit notre sécurité »« Get Brexit Done. Unleash Britain’s Potential ». The Conservative and Unionist Party Manifesto, 2019.. Les représentants du Parti ont tous indiqué sans équivoque qu’ils seraient prêts à faire usage du système en cas de besoin.
Pour ce qui est du parti travailliste (loin derrière avec 203 sièges), les positions continuent d’être marquées par une certaine ambiguïté du fait des positions historiques antinucléaires du leader du Parti aux élections, Jeremy Corbyn. Officiellement, le parti avait indiqué qu’il soutenait le renouvellement du Trident dans son format actuel. Un certain nombre de représentants du parti semblent s’opposer à cette décision, mais la commission nationale a jugé qu’il était préférable de ne pas revenir dessus et rouvrir ce dossier controversé en interne. Au niveau personnel, et sans surprise, Jeremy Corbyn est resté très évasif sur la politique qu’il mènerait s’il était élu, insistant sur les questions de non-prolifération, en Asie et au Moyen-Orient, jugeant notamment que « dans le cadre du Traité de non-prolifération, les armes nucléaires de tous les pays rentrent dans l’équation » et que « les problèmes du monde ne sont plus ceux de la Guerre froide »Jeremy Corbyn, « The Andrew Marr Show », BBC, 7 novembre 2019.. Devant la question d’une éventuelle riposte nucléaire, il a indiqué qu’il « ferait son maximum pour s’assurer qu’une menace est traitée à un stade précoce, par des négociations et des discussions. L’idée que quiconque utilise un jour une arme nucléaire n’importe tout sur la planète est absolument effroyable et terrifiante ».Henry Zeffman, « Jeremy Corbyn hedges bets on future of Trident under Labour », The Times, 18 novembre 2019.
Devant le choix du chef du parti de rester aussi flou que possible, Emily Thornberry, responsable des affaires étrangères au sein du Shadow Cabinet, a été longuement interrogée sur le paradoxe apparent au sein du Labour. En effet, le parti s’engage à renouveler un système très coûteux mais le leader du parti semble peu crédible dans la mise en œuvre effective de la dissuasion. Elle a ainsi estimé que les questions fermées étaient peu pertinentes à ce stade, qu’il était impossible de se positionner en amont sur l’utilisation éventuelle d’une arme nucléaire, qu’il était au contraire préférable de rester ambigu sur les conditions d’emploi d’une arme, ce qui est la politique traditionnelle britannique en particulier mise en œuvre par Margaret Thatcher. Elle a laissé entendre que « vu la manière dont Jeremy [Corbyn] travaille », une telle décision serait probablement prise à la suite d’une discussion collective au sein du Cabinet.Emily Thornberry, « Good Morning Britain », ITV, 11 novembre 2019.
Enfin, le Labour a intégré dans son programme le fait que le pays jouerait sous sa gouvernance un « rôle actif pour mener les efforts multilatéraux liés à l’application du TNP visant à créer un monde sans arme nucléaire », et la création de pensions de 50 000 livres pour les vétérans des essais nucléaires britanniques.« A New Internationalism », Labour Party Manifesto, 2019.
Concernant le parti Lib-Dem (11 sièges), la position est depuis 2015 un soutien au renouvellement du Trident, mais dans un format réduit de trois SNLE avec un abandon de la posture de continuité à la mer.Plan for Britain’s Future, Liberal Democrats, 2019.
Parmi les trois autres partis s’étant exprimés sur le sujet, l’opposition à la dissuasion est en revanche nette. Avec 48 sièges, le SNP est clairement le premier parti à porter la contestation nucléaire au Parlement. Nicola Sturgeon, chef du Parti et Première ministre écossaise, a clairement indiqué qu’elle n’emploierait jamais une arme nucléaire, dans aucune circonstance, car « cela conduirait potentiellement à la mort de dizaine de millions de personnes et éradiquerait des pans de notre civilisation ».BBC Election Debate, 29 novembre 2019. Le programme du parti appelait sans surprise à construire une coalition permettant de supprimer le système Trident « aussi rapidement et sûrement que possible ». Une Ecosse indépendante, selon le document, serait un « avocat pour le désarmement à l’échelle mondiale ».SNP Manifesto, « Defence », 2019. Beaucoup de spéculations ont circulé sur un éventuel accord de coalition de gouvernement entre le SNP et le Labour, et Nicola Sturgeon a indiqué que dans un tel scénario, l’abandon du Trident serait un point non-négociable pour le SNP, sur lequel la candidate avait une « objection morale ».
Les autres opposants à la dissuasion nucléaire ont réalisé des scores très faibles aux élections. Les Verts ont appelé à l’abandon du Trident et à rejoindre le TIAN.If Not Now, When ?, Manifesto 2019, Green Party. Plaid Cympru a qualifié la dissuasion nucléaire d’inefficace et de superflue, indiquant qu’il s’opposerait au rapatriement des SNLE sur le territoire du pays de Galles en cas d’indépendance écossaise.« Peace and Security », Wales, It’s Us, Plaid Cymru General Election Manifesto, 2019.
Si les élections n’ont donc pas eu comme enjeu la question nucléaire, dans un contexte très particulier de la vie politique britannique, il est néanmoins intéressant de constater que se positionner sur la dissuasion est désormais un passage obligé des partis politiques du pays aux élections nationales, avec une fragmentation des positions sur un sujet qui reste clivant.