Dynamisme et interrogations pour le TICE

Alors que le régime de non-prolifération est souvent décrit comme en crise, le TICE a récemment démontré un dynamisme en enregistrant la ratification de sept nouveaux États sur l’année 2022-2023. Si l’entrée en vigueur reste dans le court terme difficile à concevoirBruno Tertrais, « L’interdiction des essais nucléaires : fragilité juridique, réussite stratégique, incertitudes politiques », Note de la FRS, n°53/2020, 16 juillet 2020., la capacité à attirer de nouveaux États, tout comme le fonctionnement satisfaisant de l’Organisation du Traité (OTICE) 25 ans après l’ouverture à sa signature, sont des signes encourageants. Pour autant, à l’instar d’autres instruments, le TICE souffre des circonstances politiques qui pourraient fragiliser le principe d’interdiction des essais nucléaires.

En août 2021, l’australien Robert Floyd a pris la tête de l’OTICE après une élection mouvementée, notamment en raison de la candidature infructueuse du Secrétaire exécutif sortant Lassina Zerbo, qui dirigeait l’Organisation depuis 2013Daryl Kimball, « States Finally Settle on Next Leader for CTBTO », Arms Control Now, juin 2021.. Ce changement de leadership a pu laisser présager de nouvelles inflexions politiques, reflétant les positionnements personnels de M. Floyd.

Le début de mandat de M. Floyd a été marqué par la vague de ratifications, ayant permis à sept nouveaux États de ratifier le TICE. De fait, dès 2021, la ratification de Cuba et des Comores avait été une nouvelle très positive pour le Traité, et la décision de trois États africains (Gambie, Sao Tomé et Principe, Guinée Équatoriale), trois États d’Asie-Pacifique (Timor-Leste, Tuvalu, Iles Salomon) et un État Caribéen de ratifier le Traité reflète à la fois des efforts de sensibilisation de long terme et un investissement politique fort. Ainsi, le nouveau Secrétaire exécutif n’a pas hésité à multiplier les visites et les rencontres au plus haut niveau dans les États de ces régions n’ayant pas ratifié le Traité. Dans la même veine, la Papouasie Nouvelle-Guinée a annoncé son intention de ratifier« Solomon Islands and Papua New Guinea Commit to Ratify CTBT », CTBTO, 1er décembre 2022.. Ces États ne sont pas des États dits « de l’Annexe 2 », et leur ratification ne permet pas de se rapprocher d’une entrée en vigueur, mais c’est néanmoins un signe positif quant à l’attractivité du Traité 25 ans après sa conclusion. Par ailleurs, il est généralement admis que l’universalisation du Traité permet d’accroître la pression qui s’exerce sur les États de l’Annexe 2 qui bloquent encore l’entrée en vigueur (en particulier les États-Unis).

Il convient de noter que depuis 2017, 10 des 11 États ayant signé et ratifié le TICE sont signataires du TIAN, et huit de ces États ont ratifié le TIAN. Il est très probable que du côté de l’Organisation, un effort ait été particulièrement mené pour s’assurer que les membres du TIAN ne négligent pas de rejoin­dre le TICE pour ne pas donner l’impression que le TIAN, adopté après et reprenant les principales obligations du TICE, mais sans régime de vérification, s’y substitue. Du côté des États et ONG soutenant le TIAN, il y a également une volonté forte, exprimée lors de la première réunion des États partiesEmmanuelle Maitre, « Implementing prohibition: An Overview of the Meeting of States Parties to the TPNW and Possible Ways Forward », Recherches & Documents, FRS, n°08/2022, 6 juillet 2022., de défendre la complémentarité entre les deux régimes. Ces acteurs ont donc activement promu la ratification du TICE, entre autres, comme le signe du soutien de leur communauté d’États parties au régime de non-prolifération. Cela vise notamment à faire taire le reproche des États opposants au TIAN selon lequel celui-ci est dommageable pour les autres traités comme le TNP ou le TICE. Ainsi, le « Nuclear Weapons Ban Monitor », qui s’attache à examiner le respect des dispositions du TIAN par les États de la communauté internationale, incite désormais les États n’ayant pas ratifié le TICE à le faireVoir les profils par États sur https://banmonitor.org/.

 

Liste des derniers États ayant        rejoint le TICE

2023

  • Iles Salomon (ratification)

2022

  • Dominique (signature et ratification)
  • Guinée Equatoriale (ratification)
  • Gambie (ratification)
  • Sao Tomé et Principe (ratification)
  • Timor Leste (ratification)
  • Tuvalu (ratification)

2021

  • Comores (ratification)
  • Cuba (signature et ratification)

2019

  • Zimbabwe (ratification)

2018

  • Thaïlande (ratification)

 

Statut des ratifications du TICE (créée avec Mapchart)

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Ces succès enregistrés, il est très probable que le Secrétariat exécutif tourne désormais son attention vers les États de l’Annexe 2, avec notamment des initiatives possibles vis-à-vis de la Chine et des États-Unis. Néanmoins, il est difficile d’être optimiste à ce stade, car si l’administration Biden a indiqué soutenir officiellement le Traité, il est clair que le Traité ne sera pas présenté devant le Sénat dans les années qui viennent. Par ailleurs, Washington continue d’accuser la Russie de conduire des essais nucléaires de faible intensité, ce qui ne peut pas conduire les élus, en particulier républicains, à lever leur scepticisme quant à la pertinence de rejoindre le régime. Dans ce contexte, une déclaration politique de soutien, unilatérale ou prise avec la Chine, semblerait déjà un élément de progrès, refermant officiellement la parenthèse Trump durant laquelle l’hypothétique reprise des essais par les États-Unis avait été mentionnéeJohn Hudson et Paul Sonne, « Trump administration discussed conducting first U.S. nuclear test in decades », The Washington Post, 22 mai 2020..

Dans le contexte actuel, plusieurs questions se posent pour le TICE et son Organisation. La première concerne l’avenir d’un Traité dont l’entrée en vigueur semble impossible. Des experts ont noté qu’il était important de se centrer avant tout sur le travail de l’OTICE et la solidité de la norme d’interdiction des essais, décrite comme « véritable réussite stratégique »Bruno Tertrais, op. cit.. Mais d’autres s’interrogent sur la pérennité d’une « norme » jamais entérinée juridiquement par le droit international. Dans ce contexte, plusieurs propositions ont été émises et examinées, allant de la négociation d’un nouveau Traité ayant des conditions d’entrée en vigueur moins difficilesJohn Carlson, « Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty: Possible Measures to Bring the Provisions of the Treaty into Force and Strengthen the Norm Against Nuclear Testing », VCDNP, March 2019. au découplage du système de surveillance international (SSI ou IMS en anglais) de l’OTICE et sa mise à disposition de la communauté internationale sous la forme d’un observatoireFrancesca Giovannini, « The CTBT at 25 and beyond », Arms Control Today, septembre 2021..

À ce jour, l’OTICE a largement réussi à faire vivre son institution et à mobiliser ses États membres grâce à son travail technique et à la constitution de l’IMS. 92% des stations sont désormais opérationnelles et ce succès signifie logiquement que les progrès et les ambitions de l’OTICE au niveau technique et scientifique sont moins importants pour la période actuelle et à venir. L’épidémie de COVID a également eu un rôle négatif dans ce domaine, puisque les discussions techniques et scientifiques ont été plus difficiles pendant cette période. Par ailleurs, si l’OTICE a su se valoriser en développant les applications civiles liées à ses installations (prévention des tsunamis, surveillance des volcans et aide à l’aviation, détection d’accidents nucléaires civils), certains États refusent désormais d’élargir le spectre de ce qui est traité à Vienne en estimant qu’il ne convient pas d’étendre le domaine d’application d’un Traité qui n’est pas encore entré en vigueur. La reprise, en 2022, d’entraînements au mécanisme d’inspection sur site, et l’organisation à venir de la conférence bisannuelle majeure « Science et Technologie », prévue en juin 2023, permettent dans une certaine mesure de rappeler cette dimension technique.

Néanmoins, il semble que depuis plusieurs d’années, les débats politiques prennent de l’ampleur à l’OTICE au détriment des discussions techniques et scientifiques, un phénomène amplifié par la guerre en Ukraine. À l’instar des autres enceintes dédiées, l’OTICE subit d’une certaine manière la détérioration de l’environnement stratégique, avec un dialogue de plus en plus compliqué entre États parties et une tendance à utiliser le Traité à des fins politiques, en particulier pour Moscou qui cherche largement à discréditer Washington en raison de sa non-ratification du Traité.

Le TICE et son Organisation doivent donc faire face à plusieurs types de difficultés dans un contexte où l’on redoute la réalisation d’un 7e essai nucléaire par la Corée du Nord. En 2018, Kim Jung-un avait annoncé en grande pompe mettre fin aux essais nucléaires et vouloir se rapprocher « des efforts internationaux pour interdire les essais nucléaires ». Il avait alors été question de diverses initiatives pouvant rapprocher Pyongyang du TICE, avec potentiellement un statut intermédiaire avant une signature lui permettant de visualiser les opportunités liées à sa participation au régimeQiyang Niu, Haeyoon Kim et Zhaniya Mukatay, « DPRK and the CTBT: What Could Come Next after the Moratorium? », Journal for Peace and Nuclear Disarmament, 2022.. Aujourd’hui, la question nord-coréenne est perçue très différemment. Si, paradoxalement, la réalisation par Pyongyang d’un essai rappellerait l’importance du TICE et la valeur de l’IMS, de l’autre bien entendu, la norme d’interdiction des essais serait une fois de plus fragilisée, en particulier si le Conseil de sécurité des Nations Unies ne parvenait pas à condamner unanimement et fermement un tel essai.

 

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