Où en est l’arsenal d’ICBM de la Corée du Nord
Observatoire de la dissuasion n°125
Emmanuelle Maitre,
décembre 2024
Le 31 octobre 2024 a eu lieu le dernier tir nord-coréen d’ICBM, en présence de Kim Jung-un. Le vol a duré, selon les autorités japonaises et sud-coréennes, 87 minutes, une durée record parmi les essais d’ICBM menés par le pays jusqu’à présentHelen Regan, Gawon Bae, Brad Lendon et Yumi Asada, North Korea says it conducted new ICBM test, days ahead of US election, CNN, 31 octobre 2024.. Pyongyang l’a décrit comme introduisant un nouveau missile, le Hwasong-19, à propulsion solide.
ICBM nord-coréens réputés en service
Les efforts de Pyongyang pour disposer d’une capacité de frappe intercontinentale s’étalent sur près de vingt-cinq ans, comme en témoignent les efforts menés pour développer les véhicules de lancement Taepodong-1 et Taepodong-2, entre 1998 et 2006. En 2012, la présentation du Hwasong-13 (KN-08) lors d’un défilé à Pyongyang, a montré les ambitions du régime dans ce domaine. Le modèle exhibé, un ICBM à trois étages et à propulsion liquide, n’a jamais fait l’objet d’essai en vol, pas plus qu’une version à deux étages déployées lors d’un autre défilé en 2015Hans Kristensen, Matt Korda, Eliana Johns et Mackenzie Knight, North Korean nuclear weapons, 2024, Bulletin of the Atomic Scientists, 15 juillet 2024..
La Corée du Nord dispose a priori aujourd’hui de cinq modèles d’ICBM différents, dont quatre sont vraisemblablement en service (voir figure). Le premier, le Hwasong-14 (ou KN-20 selon la nomenclature américaine) a été annoncé comme opérationnel en 2017 mais certains analystes le jugent désormais retiré du serviceIbid.. Ce missile à propulsion liquide est composé de deux étages et est lancé par un TEL à 8 essieux. Sa portée théorique estimée est à 10 000 km. Ce missile n’a pas été vu depuis 2018 et pourrait n’avoir été qu’un prototype intermédiaire avant le déploiement de systèmes plus sophistiqués. Légèrement plus gros, le Hwasong-15 (KN-22) a été lancé la même année et dispose de caractéristiques similaires, nécessitant néanmoins un véhicule de lancement à 9 essieux. Il pourrait avoir une portée de 13 000 km lui permettant d’atteindre une grande partie du territoire américain. Il est intéressant de souligner que sur les photos publiées lors des trois essais signalés du Hwasong-15, le missile apparaît comme présentant des variantes, notamment concernant les étages propulsifs et le corps de réentrée. Il a pu être supposé que lors du deuxième essai en particulier, le modèle utilisé avait des réservoirs lui permettant d’emporter davantage de carburant pour une masse inerte réduite. Les modifications subies par le vecteur à chaque essai et sur une période de cinq ans montrent le travail technique des ingénieurs coréens pour perfectionner leurs systèmesChristian Maire, Stéphane Delory et Antoine Bondaz, « Tir d’un ICBM le 18 février 2023 : les progrès technologiques du Hwasong-15 », Programme Corée sur la sécurité et la diplomatie, FRS, mars 2023..
Dernier ICBM à propulsion liquide introduit dans l’arsenal nord-coréen, le Hwasong-17 (initialement présenté sous le nom de Hwasong-8, ou KN-22) dispose d’une taille encore plus imposante (véhicule à 11 essieux) ce qui a alimenté les spéculations sur une capacité d’emport de têtes multiples ou d’aides à la pénétrationVann van Diepen, March 16 HS-17 ICBM Launch Highlights Deployment and Political Messages, 38 North, 20 mars 2023.. En 2023, Pyongyang a mis à l’essai son premier ICBM à propulsion solide, le Hwasong-18. Celui-ci utilise un TEL de dimensions proches de celles du Hwasong-15National Air and Space Intelligence Center, Ballistic and Cruise Missile Threat, Defense Intelligence Ballistic Missile Analysis Committee, 2020.. Il peut s’éloigner des routes bitumées comme en témoignent les essais réalisés en 2023. Comme souligné dans une étude récente, l’enchainement de trois essais réussis en 2023 semble traduire la capacité de Pyongyang à produire un propergol de qualité et quantité suffisantes, mais également sa maîtrise de procédés complexes, tels que « l’éjection à froid du missile, l’allumage, la séparation des étages, les modifications de trajectoire, ou encore la tenue mécanique des étages »Christian Maire et Stéphane Delory, « Analyse de l’ICBM Hwasongpho-18 (HS-18) », Programme Corée sur la sécurité et la diplomatie, FRS, janvier 2024.. Le 31 octobre 2024, Pyongyang a conduit le premier essai du nouveau Hwasong-19, un missile légèrement plus long que le Hwasong-19, ce qui pourrait lui permettre d’emporter des charges plus lourdes voire des charges multiplesVann van Diepen, « North Korea Tests New Solid ICBM Probably Intended for MIRVs », 38 North, 5 novembre 2024..
Comme pour les missiles de courte portéeStéphane Delory Antoine Bondaz, Christian Maire, « North Korean Short Range Systems, Military consequences of the development of the KN-23, KN-24 and KN-25 », In-depth Report, HCoC Programme, FRS, 2022., la Corée du Nord semble avoir fait le choix de lancer plusieurs programmes concurrents, combinant les avantages de plusieurs choix technologiques et de plusieurs caractéristiques, en termes de propulsion, de taille, de charge utile, … Bien que source de coûts additionnels, mener de front des programmes alternatifs permet également de limiter les vulnérabilités si un des programmes connait des difficultés. La mise à l’essai régulière de différentes options technologiques contribue de manière large à la crédibilité de la dissuasion nucléaire nord-coréenne dans la mesure où cela accroit les chances qu’un des systèmes déployés fonctionnent de manière nominale en cas d’utilisation. Le déploiement de différents types de missiles sur l’ensemble du territoire complique également les efforts adverses pour neutraliser l’ensemble de l’arsenal de manière préventive.